MALHEUREUSEMENT, LA TORTURE EXISTE AU SÉNÉGAL
Même si aucun pays n’aime être accusé de torture mais la pratique existe au Sénégal. Seydi Gassama, Directeur exécutif d’Amnesty International/Sénégal en est convaincu
Inutile de se voiler la face. Le recours à la torture est bien une réalité chez nous. Même si aucun pays n’aime être accusé de torture mais la pratique existe au Sénégal. Seydi Gassama, Directeur exécutif d’Amnesty International/Sénégal en est convaincu. Pis, c’est devenu un fait récurrent que des détenus dénoncent de telles pratiques dans les lieux de privation de liberté. Le défenseur des droits humains qui dénonce et pointe du doigt l’Etat qui n’ouvre pas d’enquêtes sur ces allégations, revient sur ce qui expliquerait la tendance à recourir à cette pratique pourtant interdite en toute circonstance et comment y mettre un terme.
«Je veux d’abord dire que la torture est interdite en toute circonstance. Un Etat ne peut absolument évoquer aucune circonstance, même une circonstance exceptionnelle, pour soumettre une personne à la torture. Ça ce sont des obligations qui encombrent à tous les États qui ont signé et ratifié (donc des États parties à) la Convention des Nation unies contre la torture… Donc un aveu obtenu après une torture ne peut être utilisé pour juger et condamner quelqu’un devant un tribunal. Une autre exigence, c’est qu’à chaque fois qu’il y a une torture, le parquet est tenu d’ouvrir une enquête sérieuse pour faire la lumière sur ces allégations-là. Or ce qui s’est passé pendant ces périodes a été quand-même inquiétant, surtout à Diaobé.
À Diaobé, nous avons un groupe de jeunes qui, à la suite de l’incendie de la Brigade de la ville, ont étés convoqués à Véligara et ont décrit, dans des détails près, la manière dont ils ont étés torturés par des gendarmes de Véligara. Une situation extrêmement grave. Nous pensons aujourd’hui que l’Etat du Sénégal est tenu d’ouvrir une enquête sur la situation de ces jeunes de Diaobé. Le Procureur de Kolda n’a pas à entendre que les jeunes de Kolda viennent porter plainte, ils ont fait des allégations publiques à la presse. Ils doivent autosaisir, ouvrir une enquête et faire la lumière sur ces allégations-là. Nous avons demandé aux jeunes de chercher des certificats médicaux, on ne sait pas s’ils l’ont fait, mais en tout cas, d’aller voir un médecin. Mais, même sans certificats médicaux, au vue de ce qu’on a vu dans la presse et que ses jeunes lui ont dit, le Procureur de Kolda est tenu d’ouvrir une enquête sérieuse pour faire la lumière et poursuivre les gendarmes qui ont commis ces actes, si ces actes sont avérés. On a également entendu un activiste comme «Thiat» de «Keur-gui» dire combien il a été giflé ; il a avoué avoir subi de mauvais traitements pendant son arrestation.
«IL NE S’AGIT PAS DE NIER, MAIS POUR L’ETAT DE METTRE FIN A CETTE PRATIQUE ILLEGALE, HONTEUSE DONT AUCUN ETAT AU MONDE N’AIMERAIT ETRE ACCUSE
Aucun pays n’aime être accusé de torture. Mais, malheureusement, la torture, elle existe au Sénégal, comme elle existe dans tout les autres pays. Il ne s’agit pas de nier ; il s’agit pour l’Etat de s’engager à mettre fin à cette pratique illégal, une pratique honteuse, une pratique dont aucun Etat au monde n’aimerait être accusé et qui, malheureusement, persiste dans notre pays. À chacun fois qu’il y a des situations où la Gendarmerie doit coûte que coûte trouver un coupable, où la Police doit coûte que coûte trouver un coupable, on a évidemment des cas de torture. C’était évidemment le cas des jeunes de Colobane qui étaient accusés de tuer le policiers Fodé Ndiaye. Ils ont étés torturés. Fort heureusement, à un appel, le juge a annulé leur condamnation parce que tout simplement les aveux qu’ils avaient donnés étaient l’histoire de torture. Ici aussi (à Dioabé, ndlr), parce qu’une brigade a été brûlé, parce que des armes ont étés volées, il faut tout faire tout pour retrouver ses armes. Et c’est cela qui a conduit à cette situation de torture à laquelle on fait cas aujourd’hui à Diaobé.
COMMENT ARRIVER AMETTRE UN TERME AU RECOURS A LA TORTURE?
Pour mettre fin à ses tortures, nous, entant qu’Amnesty, nous avons travaillé pendant une dizaine d’années pour amener l’Etat du Sénégal à ratifier un instrument international important, un traité international important : c’est le deuxième Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture. On a amené l’Etat du Sénégal à ratifier ce texte, à mettre en place l’Observateur des lieux de privation de liberté qui est une institution administrative indépendante qui aurait dû avoir, aujourd’hui, beaucoup de moyens pour pouvoir intervenir partout où la torture est allégé. Partout où il y a un risque de torture, l’observatoire doit pouvoir être présent et pouvoir se déporter dans ces lieux-là. Malheureusement, cette institution n’a pas de moyens ; l’État donne des budgets dérisoires par rapport à ce que donne beaucoup d’autres Etats à des institutions comme celle-là. Donc elle a une capacité d’action très limitée. Malgré tout, quand l’observatoire a été mis en place, en 2012, nous l’avons soutenu pour faire la formation des membres des Force de défense et de sécurité, la Police, la Gendarmerie, dans toutes les régions du Sénégal. On a également fait plusieurs sections à l’Ecole de Police, à l’Ecole des officiers de la Gendarmerie, plusieurs sections de formation dans d’autres écoles. L’observatoire lui-même a reçu le soutien de l’Union européenne et a pu faire des formations pendant 2 (deux) où 3 (trois) ans aux membres des Forces de défense et de sécurité. Mais, on se rend compte que ces formations sont inutiles parce que, malgré toutes ces formations qu’on a faites, que l’observatoire a fait depuis 2012, on s’est rendu compte que la torture persiste encore.
CONTINUER A FORMER DES AGENTS DES FORCES DE L’ORDRE OU ORIENTER LES RESSOURCES VERS LA POURSUITE DES AUTEURS DE CRIMES?
Donc, aujourd’hui, faut-il continuer à faire ses formations où faut-il orienter les ressources vers la poursuite des auteurs de crimes ? Nous, nous pensons que, de plus en plus, on va orienter nos ressources vers l’assistance judiciaire, ici au Sénégal, mais aussi à la Cour de justice de la CEDEAO, au niveau des mécanismes onusiens pour que d’abord le personnel, à titre individuel, soit poursuivi devant les cours et tribunaux du Sénégal, mais pour que l’Etat du Sénégal soit poursuivit devant la Cour de justice de la CEDEAO et devant les mécanismes onusiens de droit. Je pense qu’on a trop fait de formations. On ne voit pas le bénéfice de la formation parce que les tortures et mauvais traitements continuent. Donc, il faut vraiment orienter notre ressource vers le soutien au victimes d’injustice ; cela signifie les aider à porter des plaintes au Sénégal, à suivre les plaintes mais aussi à porter plainte contre l’Etat du Sénégal au niveau des juridictions africaines mais aussi au niveau des mécanismes des Nations unies.
LOI SENEGALAISE : LES COUPABLES DE TORTURE ENCOURENT DE LOURDES PEINES ET LA RADIATION
La loi sénégalaise est très claire. À chaque fois qu’il y a torture, c’est une infraction extrêmement grave. Donc les auteurs de torture encourent de lourdes pleines de prison. Et s’ils sont condamnés à des peines de prison ferme, ils encourent la radiation. Donc les peines sont là, elles sont bien prédites par la loi. Le problème que nous avons aujourd’hui, c’est la protection que l’Etat accorde aux Forces de défense et de sécurité. La loi est là, elle punit la torture. Mais pour qu’un policier ou un gendarme soit puni, c’est vraiment le Chemin de Croix parce que l’Etat protège ces Force de défense et de sécurité. Quand un civile commet un délit au Sénégal, on l’arrête et on le met en prison où il croupit pendant très longtemps. Et lorsqu’un militaire, un policier où un gendarme commet de tels actes au Sénégal, c’est la croix et la bannière pour le faire poursuivre parce que vous avez de côté les ordres de poursuites ; les ordres de poursuites sont les autorisations que le ministre doit donner. Et même si les ordres de poursuites sont donnés, le Procureur, généralement, ne fait pas le travail qu’il doit faire pour enquêter et pour poursuivre la personne susceptible d’avoir commis ses actes de tortures. L’autre difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c’est que bien que la torture soit interdite et qu’on puisse l’utiliser n’est jamais extorquer des aveux pour juger et condamner quelqu’un, nous avons eu plusieurs cas où des gens, devant un tribunal, ont dit : «nous avons été torturés» ; certains se sont mêmes déshabillés pour montrer les traces de torture sur leurs corps. Et même malgré ça, des juges se sont permis de les condamner à des peines de prison en leur disant : «Oui, nous allons vous juger et vous condamner pour ensuite aller porter plainte».
Mais les personnes qui sont torturés sont des gens faibles, se sont des gens qui, très souvent, ont peur de la Police, de la Gendarmerie. Et ce n’est pas eux qui vont aller porter plainte, s’ils n’ont pas la chance de rencontrer une organisation des droits humains qui veut les assister à faire ce travail là. Or, malheureusement, ce ne sont pas tout les victimes du torture qui viennent vers les organisations des droits humains pour faire ce travail. Beaucoup de gens qui sont torturés, qui sont menacés, lorsqu’ils sont libérés, ne veulent plus avoir à faire avec la Police où à la Gendarmerie.»