BODÉ, LIEUX DE GERMINATION DES IDÉAUX DE LA RÉVOLUTION TOROODO
Patelin situé au cœur du Fuuta, dans le département de Podor, Bodé a vu naître Thierno Souleymane Baal. Cet éminent érudit est le concepteur des percepts de l’almamiyat, nouvelle forme d’Etat instaurée, dans le Fuuta Toro, en 1776
C’est un matin calme. Tout le long d’une voie goudronnée circulent peu de véhicules. Des villages apparemment paisibles défilent devant les yeux du visiteur novice, séduit par le cadre bucolique. La voiture roule à vive allure et les tableaux d’indication dévoilent des dénominations de contrées : Ndioum, Gamadji Saré, Dodel…Halte. Bienvenue à Bodé ! Un village situé, administrativement, dans la région de Saint-Louis, département de Podor. Mais, sur le plan historique, sociologique et culturel, on est bien dans le Fuuta.
Au premier abord, le visiteur a l’impression d’aller à l’aventure. Les lieux dégagent un paysage inachevé presqu’inhabité. Seule la mairie, située à l’entrée de la localité, tient debout sur un espace désespérément vide de tout habitat. Devant le bâtiment de la représentation municipale, un homme, en tenue d’Agence de sécurité de proximité, tee-shirt bleu, casquette et pantalon noirs. Après les salutations d’usage et la déclinaison du but de la mission, nous voici édifiés. Il faut parcourir encore un kilomètre avant de voir se dévoiler, à l’horizon, les premières demeures de Bodé.
Le temps est caniculaire. La plupart des habitants sont cloîtrés chez eux. Partout où elle passe, la voiture blanche à bord de laquelle se trouvent des «étrangers masqués» reçoit un curieux et discret coup d’œil. Les concessions ne sont pas espacées. La délimitation des maisons est étroite, s’alignant le long des voies argileuses exigües.
Au centre du village se ploient de gros arbres qui libèrent une précieuse ombre, dans un milieu conquis par une forte chaleur. Moutons, chèvres et bœufs, bien gavés, paissent aux alentours des concessions. L’herbe est abondante, en cette période pluviale. Des poules repues sautillent entre les demeures. Des enfants encore à l’âge de l’insouciance s’adonnent à un jeu de cache-cache. La chaleur de plomb n’enfreint point leur bonne humeur.
Deux minarets imposants trônent fièrement dans la cité. Ici, se côtoient des cases en pisé et quelques maisons construites en dur. Voilà Bodé, lieu de naissance, vers 1720, de Thierno Souleymane Baal, personnage emblématique de l’histoire du Sénégal, de manière générale, plus particulièrement de celle du Fuuta. Il est l’une des figures principales de la révolution foutanké, communément appelée «Révolution toroodo», intervenue en 1776.
Sur indication d’autochtones, nous atterrissons dans la demeure des Dia. Un groupe de jeunes sirotent tranquillement le thé préparé autour d’un fourneau rempli de charbons de bois. Rien que l’évocation du nom de Thierno Souleymane Baal captive toutes les attentions. Pour cause, à Bodé, on est fier de compter parmi ses fils, le leader du mouvement théocratique qui a mis en place, dans la Moyenne vallée, un Etat fondé sur des principes de démocratie, de justice et d’équité. Débarrassant ainsi le Fuuta de la dynastie des Deniyanké dont le pouvoir s’était délité face aux invasions maures.
Thierno Souleymane Baal, le visionnaire
Tout le monde connaît l’histoire de cette «fierté du terroir, un visionnaire sans commune mesure», indique Alassane Dia, la trentaine. Trouvé au milieu de la concession familiale, cet étudiant à Sup de Co, tout comme les autres jeunes autour de la théière, fait montre d’une disponibilité et d’une chaleur dans l’accueil qu’on ne voit que dans les villages. Dia accepte de partager gracieusement avec nous les pans qu’il maîtrise de l’histoire de Souleymane Baal avant de nous conduire dans la demeure familiale du leader de la Révolution Toroodo. Des descendants de l’illustre homme habitent encore la concession. L’accueil est avenant. Des membres de la famille, arrière-petits-enfants de Thierno Souleymane Baal, s’affairent autour d’une marmite au milieu de la cour familiale.
Dans cet immense espace, un lieu est jalousement entouré d’une rangée de briques formant un cercle. L’endroit est dépouillé. Seuls quelques vestiges de mur affaissé témoignent, qu’autrefois, ce lieu fut le centre d’activités humaines, un espace porteur de sens. Il s’agit, selon les explications d’Abou Aliou Djigo, conseiller municipal et proche de la famille, «de l’endroit où Thierno Souleymane Baal enseignait le Coran à ses disciples, appelés ‘’doudal’’ en pulaar».Un de ses descendants, Hamdou Raabi Baal, a repris le flambeau de la vocation enseignante de son prestigieux aïeul. «Quand il revient au village, c’est sur cette même place qu’il regroupe ses disciples le soir pour l’apprentissage du Coran, d’où ces traces de cendres récentes que vous voyez», ajoute Aïssata Djigo, épouse du grand-frère de Hamdou Raabi qui, lui, est devenu un florissant commerçant établi à Aéré Lao, la grande agglomération voisine de Bodé.
Non loin de là, trois canaris d’eau sont superposés. C’est là qu’était autrefois érigée la chambre du saint homme, indique Aliou Djigo. «Il enseignait ici le jour avant d’effectuer son retrait spirituel, la nuit, dans sa chambre», précise-t-il. Pour qui connaît un peu la dimension et l’apport de cet illustre homme, se retrouver dans pareil emplacement procure un sentiment ineffable. «On peut dire que c’est ici qu’il a pensé, prôné, enseigné avant de mettre en place un mode de gouvernance démocratique inédit basé sur la bonne gouvernance, la justice et la liberté», souligne, avec fierté, Alassane Dia.
Aujourd’hui, l’endroit a des allures ordinaires, mais hier, ce fut le lieu de germination des idéaux qui ont conduit à la chute du régime mis en place par Koli Tenguela deux siècles et demi plus tôt. Nous sommes en 1776, lorsque celui qui autrefois avait occupé ces lieux devenus décombres, ruines, débris, invitait les Foutanké à prendre pour chef un imam savant, scrupuleux et honnête. Il conviait ce même peuple, une fois qu’il aura consciencieusement choisi son dirigeant, de révoquer ce dernier sans ménagement s’il s’enrichissait sur son dos. Le trône n’est point héréditaire, leur disait-il. «Elisez un homme de science et d’action de n’importe quelle origine sociale. Ne laissez pas le trône comme monopole d’une même tribu. Que quiconque le mérite devienne votre roi», ainsi parlait et agissait Thierno Souleymane Baal, rappelle Abdou Aliou Djigo.
Devant la charge historique de ce lieu, les ressortissants de Bodé invitent les autorités à l’ériger en «patrimoine classé». Cette invite s’adresse également à tout individu ou bonne volonté qui seraient dans les dispositions de contribuer à l’érection de cet endroit en un lieu symbolique. «Notre appel s’adresse en premier au Président de la République, défenseur du patrimoine et des lieux de culte de l’histoire du Sénégal», insiste Alassane Dia.
Appel pour réhabiliter la mosquée de Bodé
Sous l’ère du premier Almamy du Fouta, Elimane Abdoul Kader Kane(1776-1807), plusieurs mosquées ont vu le jour dans le Fuuta. Les dignitaires de l’époque choisirent, à la suite d’une réunion tenue à Appé Sakhobé, différentes localités pour y ériger les premiers édifices. Dans un premier temps, sept mosquées ont été construites à Orkadiéré, Horéfondé, Mbolo Birane, Seno Palel, Ogo, Kobilo et Fanaye.
Sept années s’écoulèrent et d’autres lieux de culte sont érigés, cette fois-ci à Nabadji Civol, Kanel, Diaba, DoumgaWouro Thierno, Pété, Bodé et Aéré-Lao. D’autres mosquées seront édifiées sous l’almamiyat d’Abdoul Kader Kane. Au total, le nombre varie entre trente et quarante, souligne le Professeur Mamadou Youry Sall, auteur d’ouvrages sur le parcours de Thierno Souleymane Baal, leader de la révolution du Fuuta Toro.
La mosquée de Bodé fait donc partie des premiers lieux de culte édifiés au Sénégal. Des années sont passées, l’édifice tient encore debout. Toutefois, il est frappé par le poids de l’âge. Devant les agressions du temps, ce lieu hautement symbolique requiert quelques travaux de réhabilitation. «Nous lançons un appel à l’ensemble de la Oumma, pour une contribution collective, dans la réhabilitation de cette mosquée située dans la localité d’origine de Thierno Souleymane Baal», lance Mamadou Djigo, conseiller municipal à Bodé et proche de la famille Baal. «C’est avec joie et fierté que nous avons vu l’érection de la moquée Thierno Souleymane Baal de Guédiawaye, mais nous serions plus heureux si la mosquée où priait quotidiennement Thierno Souleymane est réhabilitée », dit-il. En plus d’être un lieu de culte ouvert à tous les musulmans, cette mosquée porte les marques de l’histoire de la propagation de l’Islam au Sénégal.