CENSEUR, ENCENSEUR
Ibe Niang Ardo, j'ai lu avec intérêt, mais sans passion votre texte. Démosthène en aurait été jaloux tant vos lignes ont déserté le champ des idées pour se perdre dans la surenchère des attaques ad hominem
Quand on m'a informé qu'Ibe Niang Ardo avait répondu à mon texte sur la tragédie de Mina, j'avais hâte de taper www.SenePlus.Com pour consulter le site. Je m'attendais à un argumentaire de haute facture intellectuelle qui allait passer au crible les limites et les insuffisances de mon impertinente intervention. Que nenni ! Je fus désappointé.
Ardo, j’ai donc lu avec intérêt, mais sans grande passion votre éditorial à SenePlus aux allures d’une véritable philippique contre ma personne. Démosthène en aurait été vraiment jaloux tant vos lignes fumasses ont déserté le champ des idées pour se perdre dans la surenchère des attaques ad hominem.
Faute de n'avoir pas effectué le déplacement à La Mecque, vous vous êtes évertué avec votre tas de pierres à faire ton Sanni Jamarat sur mon insignifiante personne pour m'envoyer finalement chez ton homonyme Ardo.
Je précise que vous n'aviez pas besoin de rappeler malhabilement mes confrontations confraternelles et fécondes avec un autre éditorialiste de SenePlus.Com, Grand Momar Seyni que vous qualifiez astucieusement de "recadrage" pour vous accorder un imprimatur. Ainsi dans un exercice scripturaire laborieux, vous avez renoncé à la mission première d'un véritable intellectuel qui est de combattre les arguments par des contre-arguments pour revêtir la toge bicolore d'un gladiateur-contempteur-censeur et appariteur-zélateur-encenseur des Saoudiens.
Et la lucidité de l'homo intelligens que je connais a vite viré à l'aveuglement de l'homo demens qui, empêtré dans une sorte de délirium tremens, a déversé son extrême-onction bilieuse sur le pécheur que je suis comme pour exorciser cette part de mécréance qui m'habite encore.
Vous déblatérez que je suis une personne insensée (j'ose croire que vous vous êtes trompé sur la graphie du mot "sensé"), et mal éduquée, un damnateur de Dieu et un canonisateur de satan. Un diffamateur, un menteur, un bluffeur, un blasphémateur. Et voilà, les sept pierres de votre Jamarat ont lapidé ce satan qui, emmitouflé dans les oripeaux d'un éditorialiste impertinent et hérétique, a, peut-être, eu le toupet d'offenser Dieu en critiquant l'organisation défaillante des hajj par l'Arabie Saoudite depuis plusieurs années.
Tous ces qualificatifs manichéens qui me font tant d'honneurs-horreurs laissent entrevoir que je ne suis qu'un vil mécréant qui n'a rien à envier à Belzébuth, le prince des démons.
En 2006, l'effondrement d'un immeuble de neuf étages à La Mecque et une bousculade à Mina avaient fait respectivement 76 et 362 morts. J'avais écrit dans le journal Témoin que "La Mecque était devenue un mouroir, une foire où l'esprit mercantile a chassé le culte de Dieu et de son prophète Mahomet (PSL)". Péché véniel ou péché mortel ? En tout cas, courroucé par mon blasphème, un séide de l'ambassadeur de l'Arabie Saoudite au Sénégal n'avait pas manqué de me traiter sans retenue de pantin stipendié par des lobbys judéo-franc-maçonniques télécommandant ma plume serve contre les musulmans.
Attaque gratuite qui n'a émoussé en rien mes convictions profondes sur l'organisation calamiteuse du hajj par la monarchie wahhabite parce qu'habitué à voir mes écrits hérétiques être classés dans l'Index librorum prohibitorum des gardiens de la foi musulmane.
Dans la même veine, Monsieur Niang, vous non plus, vous ne parvenez pas à contenir les gouttes d'insultes fielleuses qui débordent de votre courroux jupitérien pour me vouer aux gémonies.
Salmigondis d'insanités
Ainsi dans votre texte composé de dénégations stériles, d'accusations débiles, d'assertions futiles, vous vous contorsionnez comme un bretzel pour nier l'incontournable réalité des faits et l'implacable vérité des chiffres. Vous réduisez mon texte à un simple monceau d'affabulations dont l'unique finalité est de bluffer les lecteurs de SenePlus par des chiffres et des dates tendancieux.
En fait, votre phobie paranoïaque des chiffres vous pousse à commettre ce que vous me reprochez : manipuler malicieusement les chiffres. Vous avancez que "sur la base d'une moyenne d'un million de pèlerins, 4495 morts en quarante ans donne un ratio de 0,01 décès annuellement". Donc à vous entendre, 4495 morts par bousculade pendant 40 ans de pèlerinage constitue une roupie de sansonnet. Pourtant vous aurez pu dire simplement à nos lecteurs que la moyenne annuelle des tués par hajj en quatre décennies est de 112.
Ainsi vous ripolinez les 112 victimes par an en 0,01 sur la base d'un million de pèlerins choisi mesquinement pour montrer qu'un tel chiffre, en réalité, abusif, n'est qu'une goutte de sang dans la mer des milliers de fidèles victimes du "hajj-business" mal organisé.
Saviez-vous qu'en 1975, quand 200 pèlerins passaient de vie à trépas à cause de l'explosion négligente d'une bouteille de gaz, le nombre de fidèles qui ont accompli le hajj était de 400 mille seulement ? Mais c'est un pont aux ânes que de vouloir nier des chiffres qui résistent aux intempéries de falsification ou aux moisissures d'altération du temps.
Ce qui me surprend Ardo, c'est votre enfermement mental, votre rétivité opiniâtre à accepter des chiffres dérangeants, voire traumatisants, qui mettent à nu ce que l'ambassadeur saoudien au Sénégal tente de maquignonner en accusant lâchement l'Iran de vouloir politiser l'hécatombe de Mina. L'Iran n'a pas, tout comme le Sénégal, le Mali, le Niger, la Côte d'Ivoire, la Somalie, le Bénin, le Pakistan, le Nigeria, le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, l'Algérie, la Tanzanie, la Libye, le Burundi, la Hollande, l'Inde, l'Indonésie, l'Egypte, le Maroc et la Tunisie, inventé ses 464 morts (pour l'instant).
Tiens, Tiens ! Aucun mort parmi les 400 000 pèlerins saoudiens. Sacré hasard ! Il y a de quoi politiser ce drame que vous et ces pseudo-prêcheurs locaux et islamologues fatalistes, supplétifs des princes saoudiens, voulez imputer à la seule volonté d'Allah. Ce sont des esprits étriqués et rétrogrades de votre acabit, rechignant à mener toute réflexion structurée, toute rationalité devant des drames de ce genre, qui ont poussé le sage Karl Marx à soutenir que "la religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une situation sans esprit. C'est l'opium du peuple".
Vous semblez vous offusquer de mon impudeur et de mon impudence. Pourtant dans une publication du 19 mars 2015 sur SenePlus, vous avez traité, à juste raison, de papelards les maîtres coraniques qui exploitent ignoblement le travail des chérubins talibés. Alors pourquoi me refuser ce que vous vous permettez ? Je n'ose pas croire que vous, Ardo-Le Juste, vous êtes un adepte des deux poids deux mesures.
Voir La Mecque et mourir
Pour mieux mettre en exergue ma très mauvaise foi, vous dites, de façon péremptoire, que "tous les habitués du voyage n'arrêtent pas de clamer leur fascination devant les progrès continus, qu'ils découvrent chaque année". Et pourtant beaucoup de ces connaisseurs et néophytes du hajj en déréliction ont trouvé la mort à La Mecque à cause de ce que vous qualifiez de "progrès continus". À moins que ces progrès ne soient des progrès à l'envers.
Concernant La Mecque, vous auriez dû ajouter par substitution cette fameuse expression utilisée par les Napolitains pour dire que leur ville est d'une telle beauté, qu'une fois qu'on l'a vue, le reste n'a plus aucune importance et on peut mourir en paix : "Vedi Napoli e poi muori !" Mais je ne crois pas, nonobstant les jardins d'Eden promis par les Saoudiens, les pseudo-prêcheurs "éberlueurs" et les islamologues fatalistes qu'un seul pèlerin aurait accepté de laisser sa vie pendant le hajj. Il n'est le souhait d'aucun musulman de trépasser, asphyxié, écrabouillé et réduit en charpie sous les pieds d'autres coreligionnaires sous prétexte qu'on veut finir sa vie dans cet autre Naples (La Mecque) et aller au paradis.
Aussi est-il indécent de votre part, qu'en ce moment de deuil qui frappe plusieurs de nos compatriotes, vous vous faites, avec la même véhémence et le même aveuglement, le chantre des réalisations merveilleuses, malheureusement mortifères, des organisateurs du hajj dans le seul but de chloroformer les consciences endolories.
Vous me flétrissez de réduire à néant les efforts des autorités qui ont le mérite indéniable, avec les milliards d'euros qu'elles thésaurisent à partir du business du pèlerinage, d'avoir transformé La Mecque grâce à de "nouvelles infrastructures qui n'ont rien à envier aux industries touristiques, et ce à la grande satisfaction des pèlerins". Mais pensez-vous que ce complexe ultra-moderne comportant plusieurs tours, les Abraj Al Bait Towers, construit au sud de la Mosquée Sainte et composé d'hôtels 5 étoiles et de restaurants de luxe, est destiné à ces pauvres pèlerins sénégalais dont la plupart sont obligés de déployer un trésor de débrouillardise pour s'acheter un billet pour La Mecque ? Pensez-vous que ces palaces au luxe insolent dont la seule nuitée coûte au bas mot 900 euros (589 500 francs CFA) et dont la condition d'occupation sine qua non est d'en réserver au moins 7 d'affilée sont destinés à ces pauvres pèlerins qui, souvent, peinent à assurer financièrement de bout en bout leur hajj ?
Cela montre que, même aux lieux saints de l'Islam, la tenue blanche de sacralisation (l'Ihram) composée de deux pièces (le izar et le rida) que doit porter tout pèlerin, quel que soit son statut ou son origine, ne parvient pas gommer les disparités sociales. Cette iniquité atteindrait son point d'orgue s'il était avéré que le convoi du Prince Mohammad Bin Salman Al Saoud a causé la bousculade meurtrière de Mina. C'est donc dire que cette ultra-modernité que vous chantez tant ne touche pas encore le trajet cauchemardesque de Mina qui constitue le chemin de croix des pèlerins où, souvent, la fatigue extrême et la mort naturelle ou par négligence pour la plupart, sont au rendez-vous.
Même étant un mauvais musulman qui refuse de se laisser envelopper dans les ténèbres de l'obscurantisme religieux, mon seul souci est que la Terre sainte ne soit pas, in fine, un grand tombeau pour ces milliers de fidèles qui y vont à résipiscence, non pas pour mourir (même si vous Ardo, les Saoudiens et leurs supplétifs locaux leur assurez le visa pour le paradis), mais pour accomplir, sains et saufs, le cinquième pilier de l'Islam et retourner au bercail en chair et en os. Et je reste chevillé à ces convictions inoxydables jusqu'au trognon, n'en déplaise aux cerbères ou caudataires qui veulent exonérer la dynastie Al Saoud de la kyrielle de tragédies qui ensanglante l'Ihram des pèlerins à chaque hajj.