CES ZONES D’OMBRE DU DOSSIER DES 94 MILLIARDS
Au-delà de la polémique, l’affaire opposant Ousmane Sonko à Mammour Diallo soulève plusieurs zones d’ombre que la Commission d’enquête parlementaire devra éclairer.
Comment les héritiers de Djily Mbaye ont pu être indemnisés, alors que le litige sur le terrain était pendant devant la justice ? Pourquoi l’Etat a décidé de payer à Tahirou Sarr, malgré une décision de justice accordant le droit aux familles Ndiaga Ndoye et consorts ? Quels sont les intérêts du député Ousmane Sonko dans cette affaire ? La liste des questions sur la table des parlementaires est loin d’être exhaustive. La commission n’a plus que 2 mois environ pour boucler ses travaux.
L’affaire est bien plus complexe que l’on veuille le faire croire de part et d’autre. Il ne s’agit pas d’un détournement simple de 94 milliards de francs Cfa opéré par Mammour Diallo, au détriment de familles léboues et du contribuable sénégalais. Mais il est aussi très simple de vouloir faire croire que l’ancien directeur des Domaines, dans cette affaire, est clair comme de l’eau de roche. Dans tous les cas, hier, la Commission d’enquête parlementaire présidée par le député-maire de Ndindy, Cheikh Seck, a entendu certaines personnes impliquées dans cette affaire complexe. Ont ainsi été cuisinés les journalistes Madiambal Diagne et Mamadou Mouth Bane, respectivement propriétaire du journal “Le Quotidien’’ et directeur de publication de “Dakartimes’’. Ce dernier s’est confié à Seneweb, après l’audition. « Tout tournait autour de l’affaire des 94 milliards de francs Cfa du titre foncier TF1451R. En fait, puisque j’ai eu à faire des sorties là dessus, ils ont voulu en savoir plus et avoir accès aux documents que j’avais. Et j’ai mis à leur disposition ces documents », indique-t-il. En effet, dans une sortie antérieure, il disait détenir des preuves qui attestent que le leader de Pastef a raconté un tissu de “contrevérités’’. Ces deux journalistes ont en commun d’avoir tous proféré un certain nombre d’accusations contre le leader de Pastef, une des pièces du puzzle. Même si Ousmane Sonko est le plus médiatisé avec l’ancien directeur des Domaines Mammour Diallo, il n’en demeure pas moins que, dans ce dossier, il est aussi question du rôle des milliardaires Djily Mbaye et Seydou Tahirou Sarr ainsi que des familles Ndoye et consorts, propriétaires du TF 1451/R. Qui seront sans doute entendus dans le cadre de cette commission d’enquête parlementaire
Un terrain, plusieurs versions
Tout est parti d’une plainte déposée par le leader de Pastef devant le procureur, l’Inspection générale d’Etat et l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). Dans la plainte, Ousmane Sonko accuse le nommé Seydou Sarr de s’être tapé la rondelette somme de 94 783 159 000 F Cfa sur le dos du contribuable sénégalais, avec la complicité de Mammour Diallo. Comment ? Il faut souligner que le processus est long et complexe, si l’on en croit les révélations de l’ancien candidat à la Présidentielle sénégalaise. Nous sommes en 1978. La société Saim Indépendance, propriété de la famille Djily Mbaye, selon Ousmane Sonko, “acquiert’’ le TF 1451/R qui appartient aux familles Ndoye et consorts. Laquelle acquisition est contestée par les propriétaires. Dans une interview au journal “l’Observateur’’, Mammour Diallo, lui, affirmait qu’en fait, les deux familles léboues qui en étaient propriétaires ont “vendu’’ le terrain. Toujours à propos du même terrain, si l’on en croit le journaliste Mamadou Bane, il s’est agi, en fait, d’une hypothèque au bénéfice de Djily Mbaye qui avait prêté 50 millions de francs Cfa aux familles, par l’entremise d’un de leurs représentants. Selon toujours M. Bane, la famille avait fait des investissements qui n’ont malheureusement pas été rentables. Ils se sont alors retrouvés dans l’impossibilité de payer au milliardaire. Ce dernier décède, entre-temps, et ses héritiers ont mis la main sur le titre. S’ensuivit une longue procédure qui a duré, de la fin des années 1970 à 2012. A cette date, coup de tonnerre ! Le tribunal de grande instance de Dakar donne raison aux familles léboues au détriment des héritiers de Djily Mbaye. Or, il se trouve que ces derniers, expropriés pour cause d’utilité publique, du fait d’un décret datant de 1997, avaient déjà été indemnisés par l’Etat. Et le terrain en question affecté par l’Etat à la Sn/Hlm qui avait fini de l’aménager. Première incongruité : Comment se fait-il que l’Etat ait accepté d’indemniser les héritiers de Djily Mbaye, alors qu’un litige concernant le terrain était déjà pendant devant la justice ?
La cession de créance de Seydou ou Tahirou Sarr
Fort de cette décision de justice, les Lébous, uniques propriétaires, enclenchent une procédure pour être indemnisés par l’Etat, vu que leur terrain n’était plus disponible. Hélas, ils se heurtent aux lenteurs administratives et aux frais inhérents à une procédure si complexe. Et c’est à ce moment que surgit l’homme d’affaires Tahirou Sarr qui leur propose un “deal’’. Une opportunité sur laquelle sautent certains membres de la famille. Les parties finissent par trouver un accord, mais une autre partie de la famille conteste. Quels sont les termes de l’accord ? En fait, Tahirou Sarr, agissant sous le couvert de Sofico Sa et de Cfu Sarl, se propose d’acheter le “problème’’ à 2 milliards 500 millions de F Cfa. Ainsi signe-t-il une cession de créance avec une partie des familles Ndiaga Ndoye et consorts. Il leur donne l’argent et devient le débiteur de l’indemnisation que leur devait le gouvernement. Selon Ousmane Sonko, l’homme d’affaires avait, par la suite, sollicité une homologation de la conciliation devant le tribunal pour sécuriser son droit, mais s’était heurté au refus de la juridiction compétente. “Par jugement n°1770 du 15 novembre 2016, le Tgi de Dakar a refusé. La chambre civile de la cour d’appel a ensuite confirmé, suite à l’appel par arrêt n°4 du 11 janvier 2018’’. Motif brandi : il y a, selon Sonko, l’article 30 de la loi 76-66 du 2 juillet 1976 : “Toute cession du droit à l’indemnité d’expropriation consentie à des intermédiaires est nulle de plein droit et de nul effet.’’ La question qui se pose est ainsi de savoir comment, malgré cette décision de justice, Tahirou Sarr a pu bénéficier d’une décision d’indemnisation, nonobstant l’état des droits réels qui mentionnait les familles léboues comme seules propriétaires ? En effet, le 21 août 2017, une commission de conciliation décide d’indemniser l’homme d’affaires Seydou Tahirou par le procédé des actes d’acquiescement dans lequel il apparait comme l’exproprié en lieu et place des familles léboues. Au total, il se tire avec 94 milliards de francs Cfa pour un “investissement’’ qui lui a coûté moins de 10 milliards, selon les différentes parties. Pendant qu’Ousmane Sonko parle de 2,5 milliards qui ont été payés aux familles léboues, le journaliste Mouth Bane confirme cette somme, mais ajoute 300 millions de F Cfa que Tahirou Sarr aurait donné à l’avocat des familles et 100 millions à des intermédiaires, plus d’un milliard aux impôts et domaines. Qui sont ces intermédiaires et avocats qui auraient également touché un pactole dans cette affaire ? Dans quelles conditions Tahirou a-t-il versé la somme d’un milliard aux impôts et domaines ? Ce qui est sûr, c’est que l’homme d’affaires a pu faire une excellente affaire, sans même se fatiguer, avec ce dossier.
Commission d’enquête
C’est pour tirer tout ça au clair que l’Assemblée nationale avait décidé de mettre en place une commission d’enquête. Mais ils sont nombreux, les Sénégalais, à se demander si un tel outil composé essentiellement de députés de la majorité peut aider à l’éclatement de la vérité. Et jusque-là le député Ousmane Sonko, à la base de toute cette affaire, a montré tout son mépris à cet organe qui, selon lui, relève de la diversion. A en croire les journalistes Mouth Bane et Madiambal Diagne, si le député s’est agité dans cette affaire, c’est uniquement parce qu’il y avait des intérêts certains par l’entremise de sa société Atlas. Cette dernière avait, dans un premier temps, été contactée par la famille pour défendre ses intérêts. Mais, par la suite, elle s’est rétractée et s’est fait substituer par Mercalex. Pour Madiambal Diagne, cette dernière n’est qu’une mule destinée à maquiller l’implication du leader de Pastef. Ce que les patriotes ont bien évidemment toujours nié. L’autre grande nébuleuse, c’est par rapport aux sommes jusque-là décaissées au bénéfice de Tahirou Sarr. Pendant qu’Ousmane Sonko disait que 46 milliards ont été payés à ce dernier, Mammour Diallo, lui, faisait état de 3 milliards seulement, avant le blocage de la procédure. En attendant d’y voir plus clair.
Tahirou Sarr, l’homme d’affaires au cœur de la nébuleuse
Originaire d’Oréfondé, dans la région de Matam, Tahirou Sarr, de son vrai nom Seydou Tahirou Sarr, est un homme d’affaires bien connu dans le monde du showbiz. Selon le site “wabitimrew’’, le Halpulaar pur jus a commencé à se bâtir un empire financier dans les années 1990. Dans l’article, il est décrit comme quelqu’un qui assiste beaucoup les populations démunies, construit des mosquées, des écoles, des forages un peu partout au Sénégal, particulièrement dans son Fouta natal. Pour mieux organiser ses actes de bienfaisance, l’homme d’affaires a fini de mettre sur pied une fondation dénommée fondation Tahirou Sarr, dirigée par son petit frère Chérif. Mais, aussi généreux soit-il, dans l’affaire du TF 1451/R, le moins que l’on puisse dire est que le “milliardaire’’ est présenté comme un véritable chasseur d’opportunités. Parfois sur le dos de pauvres contribuables en désespoir de cause.
Dans une vidéo, Oumar Faye, le président de Leral Askan Wi, tente de le défendre en ces termes. Il déclare : “Tout ce qu’on dit de lui ne tient pas. Moi, je ne soutiens que la vérité. Tahirou Sarr a toujours aidé les Sénégalais. Il contracte même des dettes auprès des banques pour indemniser des familles en difficulté avec l’Etat. Il achète également des terrains à des familles qui se trouvent dans le besoin.’’ D’après Oumar Faye, M. Sarr œuvre pour la stabilité du pays, en soutenant des familles en détresse. Dans ce cas, il a été question d’aider les familles léboues éprouvées à accéder à une indemnisation. “En ce moment où je parle, disait-il, l’Etat lui doit 80 milliards de F Cfa. C’est quelqu’un que l’Etat doit honorer’’. Pour son jeune frère, visible tantôt en train de distribuer des jeux de maillots à des équipes de navétane, tantôt en train d’organiser des cérémonies religieuses, tout ce qui intéresse son grand frère, c’est Oréfondé et le Sénégal. Très couru des artistes, il est réputé, auprès de ces derniers, être un homme généreux et bon. Il n’empêche, plusieurs zones d’ombre planent sur son implication dans cette rocambolesque affaire des 94 milliards de francs Cfa.