C'EST CHOQUANT ET PATHÉTIQUE
Dans le cadre d’une série de débats lancée par le Collectif pour le renouveau africain (Cora), Boubacar Boris Diop a exprimé toute son opposition au Sommet Afrique-France qui aura lieu à Montpellier les 9 et 10 juillet prochain
Dans le cadre d’une série de débats lancée hier par le Collectif pour le renouveau africain (Cora), le journaliste et écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a exprimé toute son opposition au Sommet Afrique-France qui aura lieu à Montpellier les 9 et 10 juillet prochain.
Le débat enfle dans les milieux intellectuels africains. Alors que la France prépare activement son Sommet Afrique-France ‘’remodelé’’, ils sont de plus en plus nombreux les universitaires et hommes de lettres du continent à vouer aux gémonies cette initiative du président Emmanuel Macron.
Lors du lancement, hier, de la série de débats organisée par le Collectif pour le renouveau africain (Cora), le journaliste-écrivain Boubacar Boris Diop a brûlé la nouvelle trouvaille du président français, porté par l’historien camerounais Achille Mbembé. Interpellé sur la question, Boris s’enflamme : ‘’C’est à la fois choquant et pathétique. La Françafrique nous a habitués à adapter le système colonialiste en fonction des circonstances de chaque époque. C’est dans son ADN. C’est ainsi qu’au sortir de la 2e Guerre mondiale, les gens se sont rendu compte que ce n’était plus possible de faire les choses comme avant. Ils nous ont alors amené des élites qui leur étaient favorables pour continuer à faire la même chose.’’
Ce n’est pas tout. D’après l’écrivain sénégalais, le discours de La Baule, dans les années 1990, et les conférences nationales qui ont suivi se sont aussi inscrits dans le même sillage, avec la fin de la Guerre froide. ‘’Aujourd’hui – et j’ai sauté pas mal d’étapes pour ne pas tirer en longueur - la France se rend compte qu’il y a une grande colère des populations africaines, particulièrement la jeunesse. A tel enseigne que pour la première fois dans l’histoire, un président français en arrive à constater et à reconnaitre ce ‘sentiment anti-français’. Ils se rendent compte que c’est une lame de fond auquel il faut faire face. Comment ? On coopte des intellectuels que je ne veux pas mentionner. On se dit que les jeunes n’écoutant plus les chefs d'État qui sont leurs hommes liges, il faut parler avec les intellectuels et les sociétés civiles. Au fond, il y a tant de mépris dans la démarche. C’est l’image d’un pouvoir dominant qui se rend compte que son système est en train de s'effriter et qui trouve des gens pour voir comment arranger ça…’’.
A Boubacar Boris Diop, en tout cas, personne ne fera croire qu’il sera abordé, dans cette réunion, les questions essentielles qui entravent l’émancipation et le développement du continent africain. Il fulmine avec le même engagement qui le caractérise : ‘’C’est une mauvaise plaisanterie. Quand j’ai vu la personne chargée de coordonner ça, je l’ai trouvée si pathétique, avec un discours vide. Parce qu’effectivement, il n’avait rien à dire.’’ A l’en croire, il est d’un manque de respect notoire que la ‘’petite France’’ continue de faire de son égal tout le continent africain. ‘’Ce n'est pas sérieux. Pourquoi l’Afrique du Nord a été exclue, puisqu’on parle d’Afrique ? C’est simplement parce qu’on n’a pas osé leur demander cela’’, souligne-t-il, avant de lancer un appel au boycott de l’élite africaine : ‘’L'échec est garanti. Tout le monde doit se dresser contre... Il faut faire de sorte que personne n’aille dans cette quinzaine ou dizaine de débats en prélude à ce sommet.’’
Pour d’autres intellectuels comme Achille Mbembé, par contre, cette initiative est venue à son heure et constitue une preuve que ‘’les lignes bougent’’. Prévue les 9 et 10 juillet prochain à Montpellier, cette rencontre va réunir les sociétés civiles africaines pour organiser un dialogue direct avec les pouvoirs publics français. En accord avec l’Elysée, l’écrivain camerounais a mis en place un comité de dialogue composé par un éventail de personnalités africaines dont Alain Mabancou, lit-on dans le ‘’Nouvelobs’’. Dans ce cadre, pas mal de débats ont été prévus dans une dizaine de pays. Mais pour Boris, tout ça n’est que mascarade et qu’il ne pourrait sortir de ces débats grand-chose pour l’Afrique. ‘’Ils vont un peu essayer de jouer sur les différences entre les Francophones qui ont directement subi les affres de la colonisation française et les Anglophones qui peuvent ne pas comprendre cette souffrance. Je pense qu’il faut que les Africains puissent s’entendre sur un certain nombre de questions. Il faut savoir que nos peuples souffrent à cause de la France. Ce système n’a jamais été aussi proche de sa fin. Il ne faut pas lui donner une possibilité de rebondir’’, souligne le journaliste-écrivain.
Moins critique, le Mozambicain Elisio Macamo n’a pas non plus manqué de déceler des failles dans l’initiative de la France de discuter avec les sociétés civiles africaines. D’emblée, il a néanmoins tenu à reconnaitre à Achille Mbembé sa posture, même si lui aurait décliné l’offre à sa place. ‘’Mais je peux comprendre qu’il y voie une possibilité d’être pertinent.
Cela aurait pu être une opportunité, pas pour résoudre les problèmes, mais pour poser les vrais débats et voir comment les faire évoluer. Le fait est que les gouvernants africains n’ont jamais eu cette idée et c’est un problème. Maintenant que Macron a pris l’initiative, ils auraient pu accepter et essayer d’orienter les choses en fonction de leurs propres perspectives. Malheureusement, là aussi, ils n'ont rien fait’’.
Traditionnellement, ce Sommet Afrique-France – autrefois France-Afrique - réunissait les chefs d’Etat d’Afrique et de la France. Cette année, le sommet mettra au centre les acteurs de la société civile : entrepreneurs, intellectuels, chercheurs, artistes, sportifs… Il va permettre, selon les initiateurs, de porter un ‘’regard neuf’’ sur les relations entre la France et le continent.
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ROLE DES INTELLECTUELS AFRICAINS
Pour le renouveau africain
Dans la même veine, les panélistes dont Boubacar Boris Diop, l’ancienne première dame du Mali Adame Ba Konaré et le Mozambicain Elisio Macamo sont largement revenus sur la place de l’intellectuel africain dans le développement du continent.
Sur un autre registre, il a beaucoup été question du rôle et de la responsabilité des intellectuels africains. Pour l’ancienne première dame du Mali, Adame Ba Konaré, il y a une fracture entre l’élite et les sociétés africaines. Mais sous un autre angle, elle a fustigé le fait que les décideurs du continent ne puissent pas utiliser les nombreuses productions de leurs universitaires. ‘’Il faut, dit-elle, reconnaitre que les intellectuels produisent beaucoup. Mais souvent, la consommation ne suit pas. Il faut que les décideurs essayent de s'approprier les travaux des intellectuels. Il faut qu’on prenne au sérieux les productions de nos universitaires’’.
Revenant sur les rapports entre l’élite et les peuples ainsi que le rôle de l’intellectuel africain, Boubacar Boris Diop a insisté particulièrement sur la nécessité de parler un langage compris par les masses. ‘’Il faut parler de façon à être compris. C’est une question centrale, cette question de la langue. C’est le point de départ dans cette vaste entreprise du rôle des intellectuels africains. Le reste, c’est savoir être à l'écoute. Le hiatus vient du fait que les gens arrivent avec leurs savoirs occidentalisés et ils veulent se faire entendre, parce qu’ils sont les évolués. Je pense que les intellectuels doivent être plus humbles pour parler à leurs pairs’’, déclare-t-il.
Embouchant la même trompette, Macamo va souligner : ‘’Si nous partons du principe que l'intellectuel détient la vérité infuse, on se trompe lourdement. Notre rôle est surtout de contribuer au débat public, essayer de rendre le public critique pour ne pas tout accepter des politiques.’’
Selon Boubacar Boris Diop, pour que les intellectuels africains puissent correctement jouer leur rôle, il faut un ‘’suicide de classe’’, qu’ils se départissent de cette casquette de l’Africain ‘’évolué’’ dont certains étaient si fiers. Interpellé sur le concept de ‘’suicide de classe’’, il explique : ‘’Cela veut dire qu’il faut éviter de donner l’air d’un petit bourgeois qui vient servir le peuple. Il faut plutôt se suicider, se fondre dans la population, vivre avec elle, prendre en compte ses désirs et ses intérêts. C’est ainsi que nous pourrons parler et nous faire comprendre par les masses.’’ Malheureusement, fait-il remarquer, c’est un combat qui est loin d’être gagné.
Il revient sur la polémique avec la statue Faidherbe à Saint-Louis. ‘’Des Africains se sont levés pour dire qu’il ne faut pas toucher à la statue. Ils sont là, les facilitateurs du projet colonial, moyennant des avantages souvent dérisoires. Parfois, c’est uniquement pour flatter leur propre ego au détriment de leur peuple. Mais il y en a qui, conscients de tous les avantages qu’ils pourraient tirer en étant des complices, ont dit non. On ne veut pas de ce deal. Voilà ce que j’appelle le suicide de classe’’.
Le Cora est un collectif intellectuel panafricain composé de plus de 100 écrivains, spécialistes des sciences sociales et naturelles, historiens, médecins et artistes du continent et de la diaspora. Du 12 au 17 avril, ces sommités vont débattre de plusieurs thématiques relatives au développement et à l’émancipation de l’Afrique.