CHERS AMIS SAOUDIENS,
Nous sommes meurtris à cause de votre incurie, nous avons perdu 54 des nôtres dans des conditions atroces. Bien sûr c’est la volonté divine mais on en prête trop au Bon Dieu quand les hommes sont fautifs
Le Hajj 2015 est bien parti pour rester définitivement l’un des plus terribles et meurtriers. Nous n’avions pas encore fini de parler de la grue de Bin Laden Group qui s’est abattue sur la grande mosquée de La Mecque, occasionnant 109 morts et des centaines de blessés, que l’horreur s’est produite : 769 pèlerins perdus dans des conditions atroces. Plus du double en blessés et imaginons bien que ces chiffres sont en dessous de la réalité. Alors, on ne va pas se perdre en conjectures, le pays hôte est responsable sur toute la ligne.
D’abord la grue. Il semblerait que le ciel s’est soudain chargé de nuages et un vent violent s’est propagé sur La Mecque, jusqu’à faire dévisser la dite grue.
Combien de grues sont montées par jour et partout dans le monde sans qu’elles se mettent à tanguer au moindre vent ? Si cette grue est tombée c’est bien parce qu’elle était mal conçue, mal montée, mal entretenue… Cela s’appelle négligence tout simplement !
Lorsque l’on récolte quelque 40 milliards de dollars de ce tourisme religieux, la moindre des choses c’est de ne laisser aucune place au hasard dans l’encadrement et la sécurité… Et puis voir ce ciel de La Mecque défiguré par ces grues qui témoignent de la volonté des autorités d’aller toujours plus vite, plus haut, plus grand, a quelque chose de glaçant.
Ils ont raison les Saoudiens : après le pétrole, ce tourisme religieux est leur deuxième source de revenus et elle ne va pas se tarir de sitôt !
Les faits sont là et le constat est amer et révoltant. Oui, il faudra bien trouver les mots justes pour le dire et les preuves pour condamner l’Arabie Saoudite au sujet de ces victimes à peu de frais qu’elle répand à tout va, depuis des années, abritée derrière la volonté divine… La difficulté avec l’appréciation de ces drames, c’est bien parce que l’on est confronté à la chose religieuse et qu’on flirte avec le blasphème. D’autant que les Saoudiens ne nous facilitent point la tache, agrippés à califourchon sur le dos du prophète (PSL), et que nous devons, nous, la fermer et accepter la volonté divine. C’est trop facile et trop commode !
En 1987 ce sont plus de 1400 pèlerins qui ont péri dans un tunnel à cause de pannes de ventilateurs. Nous mourons tous, c’est angoissant de le savoir mais a-t-on le droit de savoir pourquoi ? Il y a trépas et trépas, et même si l’on est chanceux de mourir à La Mecque, la vie a un sens pour chacun, même si la fin est semblable pour tous. Les morts atroces, dans notre imaginaire, sont en général réservées aux impies mais pas aux pèlerins qui, pour la plupart, ont économisé jusqu’au dernier sou pour visiter ce cinquième pilier de l’islam.
Ceci dit, le monde a changé et les morts d’avant en terre bénite ne pèsent plus le même poids géopolitique que les morts d’aujourd’hui. L’Iran en a donné l’avant-goût puisque les autorités iraniennes ont réclamé les corps des victimes pour les enterrer chez eux. Alors de deux choses l’une. Soit ils considèrent leur terre aussi sainte que celle de l’Arabie Saoudite soit ils ont une autre lecture que nous autres n’avons pas puisque chez nous, nous croyons dur comme fer que la fin des fins, c’est de se faire enterrer à La Mecque ! Si nous poursuivons ce raisonnement, cela signifie-t-il que tout Saoudien qui meurt va au paradis ? Qu’il fut assassin, impie, païen, mécréant et tous ces défauts qui offrent un ticket direct pour l’enfer d’après les préceptes de l’islam ?
Le monde entier est révulsé par ce qui s’est passé à Mina puisque même sous nos cieux, nous les champions de la négligence, nous ne mettrions point des flux de millions de personnes en face à face, sur des autoroutes de la mort. À Mina, des pèlerins quittaient le site de Jamarat et d’autres arrivaient en sens inverse. Soit. Mais tristement soit quoi !
Mais là, où étaient les cameras, les hélicoptères, les montgolfières, les drones ? Pourquoi pas le long de ce parcours meurtrier, des sortes de check point pour gérer les flux ? Sept personnes au mètre carré, autant dire que c’est la condition des sardines dans une boite et nullement une condition humaine. Même le métro à Paris aux heures de pointe absolue c’est 4 personnes au mètre carré, et c’est déjà trop.
Les Saoudiens disent que les pèlerins n’ont pas respecté les instructions et même que les Africains seraient à l’origine du drame. Facile ! Mais ou sont ces dites instructions, sont-elles écrites ? Dans quelle langue ? Et qui dit que les pèlerins savent lire ? Et comment pourraient-ils voir ces pancartes, entassés de la sorte et savent-ils seulement qu’elles existent ces pancartes ?
Décidément la mauvaise foi conjuguée au gain facile ne s’encombre d’aucune limite.
Je retourne ce triste événement dans ma tête depuis plusieurs jours et n’arrive toujours pas à donner aux Saoudiens raison encore moins à leur trouver des circonstances atténuantes.
Pis, avec l’instabilité de la région où l’État islamique et l’Iran veulent définitivement bouter la famille régnante dehors, je ne suis plus très sûre de soutenir l’envoi de nos soldats dans ce mouroir. On a assez donné ! Oui, le Sénégal a déjà payé un lourd tribut non encore définitif de 54 morts.
Nous sommes meurtris et endeuillés chers amis Saoudiens à cause de votre incurie, nous avons perdu 54 de nos compatriotes dans des conditions, je vous le rappelle, atroces, inhumaines et inacceptables ! Bien sûr c’est la volonté divine ; mais on en prête trop au Bon Dieu quand les hommes sont fautifs. Cette manière de mourir est la pire car on se voit mourir et l’on devine sa mort violente.
Nos mères aimantes et naïves, qui ont laissé tant d’enfants à la maison, nos tontons désarmés et crédules qui ne faisaient que prier le seigneur pour compléter leur devoir religieux, vous, les Saoudiens, n’avez eu aucun respect pour eux. Ce sont des femmes et hommes de Dieu qui ne méritaient pas cela et je vous en veux car vous, vous êtes dans la spéculation et eux dans la piété. Honte à vous !
Je m’imagine cette horreur dans mon élan empathique et du coup je n’arrive pas à pardonner les auteurs de cette négligence, quelle que soit la hauteur de leur trône. Je suis assaillie de questionnements sur le bien et le mal depuis ces évènements. En général le bien est récompensé, le mal est puni mais lorsque le bien est puni et le mal intéressé et calculateur est récompensé, la dialectique est évidemment rompue.
Je ne suis peut-être pas le meilleur exemple de piété certes, mais cela me dénie-t-il le droit au questionnement ?
Quant au débat stérile dans notre pays sur la réaction supposée tardive du gouvernement, je mets bien évidemment tout cela sur le compte de l’anachronisme politique et donc sans intérêt. Le Premier ministre a fait ce qu’il avait à faire, dès La Mecque il est allé consoler nos pèlerins et était à leurs cotés. Notre ministre des Affaires étrangères s’est rendu à La Mecque depuis New-York. Le président de la République, qui lorsqu’il quittait New-York n’avait encore aucune visibilité sur la réalité de nos pertes- les Saoudiens eux-mêmes étaient perdus et dépassés devant l’hécatombe-, était pendu au téléphone avec le Premier ministre.
Il est urgent de faire taire la discorde par dessus la douleur. Et que les Saoudiens se rapprochent de spécialistes des foules pour mieux gérer le Hajj car des solutions existent bien entendu et nul ne me fera croire que les pèlerins sont des jeunes excités qui prennent des risques ! Les pèlerins en un mot ont confié leur vie aux Saoudiens qui n’ont pas été à la hauteur dans leur course effrénée au profit pour faire fructifier jusqu’à la garde le legs du prophète (PSL).
Je blasphème peut-être mais je ne pardonnerai jamais cette manière si cavalière que les Saoudiens ont eu à ôter la vie à de pauvres innocents, et je pèse mes mots. Nos parents morts sont si innocents et au nom de l’islam ils sont tombés en terre sainte mais je demeure convaincue que les spéculateurs sans foi ni loi ont bien forcé le destin.
Oumou Wane est présidente d’Africa 7