CONTROVERSE AUTOUR D’UN ATTENTAT «TERRORISTE»
Le présumé attentat terroriste perpétré mardi par “sept hommes encagoulés” sur un bus de transport en commun de la ligne 65 Aftu continue d’alimenter la polémique.
Le présumé attentat terroriste perpétré mardi par “sept hommes encagoulés” sur un bus de transport en commun de la ligne 65 Aftu continue d’alimenter la polémique. Dans les salons comme dans les réseaux sociaux, la thèse de l’attentat supposé contre ce bus qui aurait fait deux (02) morts et cinq (05) blessés avec des brûlures dont deux (02) dans un état grave est tournée en dérision et battue en brèche. Sur le réseau social Tik Tok, les moqueries qui ont suivi la sortie du ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome sur les lieux du drame supposé, ont conduit les autorités à suspendre temporairement l’application mobile de partage de courtes vidéos. Retour sur les zones d’ombre d’un attentat présumé.
En effet, malgré les communiqués émanant du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique, du parquet de Dakar et les condamnations sporadiques de quelques formations politiques de la place, il existe beaucoup de zones d’ombre dans cet attentat supposé. Le ministre Antoine Félix Diome qui a vulgarisé l’affaire en se rendant directement sur les lieux supposés du drame a qualifié les faits d’“attentat et d’incendie terroriste” avant de regretter un acte “criminel et inhumain” consistant à “jeter un cocktail molotov dans un bus transportant des Sénégalais comme soi”.
Et de poursuivre devant le feu des caméras — dont celles de la RTS qui ne couvre jamais les dégâts des manifestations de l’opposition ! — derrière un bus complètement calciné : « Je voudrais dire à l’attention de ceux qui ont commis cet acte que l’Etat va se lancer à leur poursuite, les rechercher, les arrêter avant de les livrer à la justice.»
Seulement dans sa communication, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique qui s’est précipité sur les lieux supposés du drame en lieu et place d’être d’abord au chevet des blessés, ne parle nullement de la structure hospitalière dans laquelle les supposés blessés auraient été acheminés. Une information qui aurait permis d’avoir les identités de ceux-ci et de continuer à suivre le dossier après les recoupements d’usage. Ce n’est que dans la journée d’hier que Captrans (Centre d’appui à la professionnalisation aux métiers des transports) a indiqué dans un communiqué que les blessés ont été transportés à l’hôpital de Pikine !dont on se demande s’il dispose d’un service des grands brûlés!) et les corps sans vie à l’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye.
La crédibilité des témoignages en question
Ce qui a davantage intrigué les observateurs, c’est surtout l’absence des passagers, des témoins clés du supposé attentat du bus qui auraient tous disparu comme par enchantement après le supposé drame. Les rares témoins présumés qui se sont prononcés sur la question ont varié dans leurs déclarations. En faisant abstraction des différents témoignages peu crédibles, nous pouvons relever la sérénité déconcertante dont a fait montre le chauffeur supposé du bus. En parlant déjà de sérénité et de sang froid qui sont des qualités peu courantes chez nos compatriotes en cas de panique, il est loisible de dire qu’un cocktail Molotov lancé dans un bus Tata de cette ligne où les passagers sont souvent en surnombre, aurait sans doute fait un plus grand nombre de morts. Sans compter que certains auraient tenté de sortir par les fenêtres dans un sauve-qui-peut indescriptible. Mais surtout, certains ont dit que les « sept encagoulas » qui ont lancé le cocktail Molotov auraient pénétré dans le bus en proie aux flammes pour détrousser les passagers ! !
D’ailleurs en revenant sur le cocktail molotov lancé, il convient de dire ici et maintenant, que cette arme incendiaire artisanale allumée, selon les spécialistes requis par nos soins, met quelques secondes avant d’exploser. “Le cocktail molotov déjà allumé au moment où le chauffeur parlait avec les agresseurs, c’est quasiment Impossible”, soutiennent nos interlocuteurs.
Lesquels poursuivent : “C’est comme une grenade, quand vous enlevez la goupille vous n’avez que trois à sept secondes pour la lancer sinon elle vous éclate entre les mains. La supposée blessure à la jambe droite du chauffeur nous laisse perplexes”. L’absence de la police scientifique dans un attentat de cet acabit reste également intrigante.
Outre ces précisions, les explications du médecin du Centre hospitalier national de Pikine qui a pris en charge les blessés ne militent pas dans le sens d’un attentat terroriste où les victimes doivent faire face à un suivi psychologique. Selon la blouse blanche interrogée par nos confrères de Sénégal7, “les blessés ont été seulement pris en charge pour une courte période d’observation. Ils sont tous repartis chez eux. Aucun d’eux n’a passé la nuit dans nos services”. “Celui qui a le plus duré ici, un individu d’une soixantaine d’années avec les blessures les plus sérieuses (brulures au niveau des deux mains) est resté de 16 h à 21 h”, a encore indiqué ce médecin tout en regrettant la non prise en charge par les autorités des victimes qui ont besoin d’un suivi médical. On nous parle pourtant de deux brûlés graves ! Mais où sont-ils donc pris en charge ?
Echec de la CLAT
L’autre constatation à faire de cette affaire c’est bien évidemment l’échec de la Cellule de lutte anti-terroriste (CLAT) mise en place au Sénégal sous le magistère du président Abdoulaye Wade par décret n° 2003-388 du 30 mai 2003. Dirigée par un officier supérieur de l’armée avec des éléments bien expérimentés et renseignés issus des autres corps de sécurité et de défense notamment la police et la gendarmerie, cette cellule a été mise en place pour prendre en compte la forte propension prise par cette nouvelle menace transnationale qu’est le terrorisme. Alors, c’est plus qu’un aveu d’échec quand le chef du département ministériel censé abriter cette cellule, Antoine Félix Abdoulaye Diome en l’occurrence, fait état d’un “attentat terroriste” sur notre sol après nous avoir parlé de “forces occultes” et de “forces spéciales”. Surtout quand on sait que la mission de cette entité qui a des antennes dans beaucoup de localités du pays est de «prévenir toute action terroriste susceptible d’être commise sur le territoire national ou à partir du territoire national, formuler des conseils et des recommandations en matière de politique de prévention et de lutte contre le terrorisme ».
En matière de prévention, on repassera ! Et tout au long du processus de liquidation de l’opposant Ousmane Sonko et de sa formation politique, le ministre de l’Intérieur, le procureur de la République et certains thuriféraires du régime n’ont cessé de communiquer sur des attaques terroristes en gestation. Être aussi bien informés à ce niveau de responsabilités et disposer d’une entité qui travaille au quotidien sur la collecte et l’analyse de renseignements ainsi que la réduction de la vulnérabilité d’objectifs stratégiques et observer, impuissants, qu’un tel attentat ait finalement eu lieu est, en effet, fort de café. C’est notre intime conviction !