LA COVID-19 TOISÉE AU NOM DE LA TABASKI
Dans une atmosphère populeuse et presqu’anxiogène, les marchés de la capitale flirtent avec un virus de Covid-19. Masque ou sans masque, vendeurs, acheteurs, démarcheurs et même malfaiteurs se côtoient dans ces grands lieux d'interaction économique
Dans une atmosphère populeuse et presqu’anxiogène, les marchés de la capitale flirtent avec un virus de Covid-19. Masque ou sans masque, vendeurs, acheteurs, démarcheurs et même malfaiteurs se côtoient dans ces grands lieux d'interaction économique. De visu, l’on note que les gestes barrières telles que la distanciation physique ou le port du masque ne sont plus d’actualité. Pis, certains éprouvent un malsain plaisir à se serrer les mains et comme cela ne suffisait pas, ils s’échangent les tasses de « café touba » et de « thé ». Le tout dans un environnement pollué par l’hivernage qui ne facilite pas l’entretien des marchés. Entre coronavirus et Tabaski, les Sénégalais font fi du virus qui s’active pour la fête… Reportage
A quelques encablures du rond-point liberté 6, le marché Castors draine un monde impressionnant. Jeunes et vieux, hommes comme dames, se bousculent sans merci pour accéder au passage. Les commerçants emploient usent sans ménagement de leurs cordes vocales pour attirer les clients et ces derniers éludent la distanciation physique exigée par la présence de Covid-19 dans le pays pour se ruer vers les produits du marché.
Interpellé, Moussa Dione, un vendeur de poisson, déclare : « les Sénégalais se disent que cette maladie est virtuelle et fictive. J’avoue que depuis que cette pandémie de la Covid 19 a commencé dans ce pays, personnellement je ne connais personne qui a été contaminé ». Pour le jeune commerçant, « les Sénégalais seront toujours aptes et déterminés à braver tous les dangers au nom de la fête. La Tabaski est une fête très importante dans notre pays et cela explique l’engouement que vous constatez ».
Dans le même registre, la vendeuse de légumes Rockaya Faye vient en appui à l’opinion de ce dernier et brandit les charges financières pour expliquer ce décor. « Le président a dit de vivre avec le virus, donc c’est ce qu’on est en train de faire. Le coronavirus ne peut rien contre le Sénégal parce que nos marabouts prient pour nous. Si on reste à la maison sous la peur d’être contaminé par le virus, comment allons nous arriver à nourrir nos enfants ? Les fêtes sont à quelques jours, où voulez-vous qu’on trouve de l’argent pour toutes ces dépenses incompressibles ? ».
Avant qu’elle ne place son dernier mot, sa voisine d’à côté, Ngoné, sans masque ni gant réagit d’un ton ferme : « Nous, on est des Sénégalais et non des Français ou Américains. Alors, qu’on nous laisse en paix avec cette histoire de coronavirus ! Cette maladie ne peut pas se développer dans ce marché ». D’ailleurs, poursuit-elle, « il y a certaines personnes qui veulent juste qu’on ferme ce marché à cause du coronavirus mais nous n’accepterons pas. Un marché, c’est un marché. On ne peut pas respecter 1 mètre de distance et encore moins porter le masque sous la pluie ou le chaud soleil ».
Même photographie au marché Hlm ou sinon pire. En plus du non-respect des gestes barrières, le café-touba et le thé sont partagés entre vendeurs et acheteurs. « On ne doit pas avoir peur de cette maladie. Il est démontré par les scientifiques que le café touba et le thé sont assez chauds pour détruire le coronavirus » soutient Souleymane Sène, vendeur de tissus dans ledit marché.
Poursuivant, il admet qu’il « est bon de porter le masque mais avec la pluie ou le soleil, c’est très difficile. Aussi, les gens reprennent peu à peu l’habitude de se serrer les mains, et c’est jugé un peu égoïste ou dérangeant de refuser de serrer la main d’un frère ou un ami très proche. Nous sommes au Sénégal, il y a certaines réalités qui vont demeurer quel que soit le danger ».
N’épousant pas cet avis, Khadidja Ndour dénonce le caractère « irresponsable » de ces concitoyens. « Dans ce marché, il y a certaines personnes qui, non pas pour des raisons d’espace, veulent délibérément s’accoler à vous. Ce sont des voyous qui s’adonnent aux frotteurisme », dénonce la jeune étudiante. Et d’ajouter : « la majorité ne porte pas les masques et parmi le peu de personnes qui le portent, certains sentent très mauvais. Il s’agit surtout des commerçants, des apprentis qui sont dans les « cars rapides ».
Le marché est si sale qu’on ne peut le décrire ». Toutefois, en dépit du risque de contamination très élevé dans un tel milieu, « nous sommes obligés de venir acheter les marchandises dont nous avons besoin. Bientôt, c’est la fête de Tabaski donc on ne peut s’empêcher de faire certaines courses », avoue-telle. Au marché Patte d’Oie, c’est une situation insoutenable. L’air est presqu’irrespirable.
L’odeur des caniveaux mélangé à celle des poissons, viandes, légumes étouffe et vous oblige à retirer votre masque ou succomber d’asphyxie. Aussi dans un rang serré, clients, vendeurs et même taximen se livrent à une sérieuse lutte de marche en avant. Aucun signe d’entretien dudit marché ne peut être relevé au constat. « Ici la situation est déplorable » témoigne Janira Manga, élève en classe de terminale. « Aucun geste barrière n’est respecté dans ce marché. Les acheteurs de même que les vendeurs ne portent ni masque ni gants.
Le comble, avec la pluie et les moutons qui trainent un peu partout dans le marché laissant au passage leurs excréments, on est jusqu'à preuve du contraire dans le plus sale marché de Dakar » déclare-t-elle. Et de déplorer : « les autorités ne font rien pour corriger cette situation. Je me demande s’ils attendent que des centaines de cas de coronavirus soient déclarés avant de venir jouer les pompiers».