DAME JUSTICE CHEZ LE TAILLEUR DU PEUPLE
Constitution bafouée, partis d'opposition réduits au silence... la justice n'a pas échappé aux dérives du régime précédent. Ces assises à Diamniadio sont l'occasion pour citoyens, magistrats et société civile de lui coudre de nouveaux habits
Pour mettre en œuvre une de ses principales promesses de campagne, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye organise un dialogue national axé sur le thème « La réforme et la modernisation de la Justice ». Ces assises qui dureront en réalité quatre jours, s’ouvriront ce mardi à Diamniadio. A l’issue de ce conclave, Dame Justice se verra attribuer de nouveaux habits cousus par le grand maitre tailleur qu’est le peuple sénégalais.
Depuis la deuxième alternance s’étant tra[1]duite par l’accession au pouvoir du président Macky Sall, la Constitution qui consacre la séparation des pouvoirs ainsi que le respect des droits fondamentaux des citoyens a été mise à rude épreuve par de drôles de tailleurs aux ciseaux « Apr ». Cette Constitution a été tellement manipulée, charcutée, révisée, retaillée, retouchée et modifiée que juristes, avocats, justiciables, professeurs de droit et juges de la vieille école ne s’y retrouvent plus ! Ne parlons pas des simples citoyens qui ont renoncé à y comprendre quoi que ce soit…
Toutes choses qui font que cette journée de dialogue national qui s’ouvre ce matin à Diamniadio et axée sur le thème « La réforme et la modernisation de la Justice » constitue une occasion pour examiner à la loupe, scanner en profondeur les forces et faiblesses de notre système judiciaire, identifier les dispositions légales et réglementaires à améliorer et élaborer une feuille de route pour la mise en œuvre des solutions dégagées par le grand maitre tailleur du peuple composé dans sa diversité d’acteurs clés issus des institutions, des administrations publiques, des directions et services centraux , des université, des ordres professionnels, des partenaires techniques et financiers, des organisations de la société civile etc. A l’issue de ces assises, la Justice, symbolisée ou représentée par une jeune femme au corps gracile et désirable, se verra sans doute dotée de nouveaux habits taillés sur mesure par le peuple sénégalais. Et non par des « tailleurs » politiques !
L’heure des «citoyens-législateurs» a sonné !
Toujours est-il que la réforme profonde de la justice et son indépendance sont des enjeux majeurs dans notre pays. D’où la participation des citoyens aux assises démarrant ce jour à Diamniadio. Des citoyens appelés au chevet d’une justice « couchée » et qui, dans leur rôle de « citoyens-législateurs » tenteront de concert avec d’autres acteurs de relever Dame Justice ainsi que son système tant décrié. Surtout que le président de la République, conscient des défis qui se posent à une institution vitale à la démocratie, s’était engagé à œuvrer pour que le Sénégal soit un pays d’espérance, apaisé, avec une justice indépendante et une démocratie renforcée. D’où la nécessité d’instaurer une gouvernance vertueuse, fondée sur l’éthique de responsabilité et l’obligation de rendre compte.
D’ailleurs, dans son premier discours à la Nation, le président Bassirou Diomaye Faye avait soutenu que, depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, notre système politico-institutionnel et judiciaire a vécu bien des péripéties, les unes plus heureuses que les autres. Soixante-quatre ans après, le moment lui semblait venu de tirer les leçons de nos réussites et de nos échecs pour une gouvernance publique plus moderne, plus républicaine et plus respectueuse des droits humain. Comme quoi, estimait-il, il est temps de redorer le blason de la justice, lui redonner le prix qu’elle mérite et la réconcilier avec le peuple au nom duquel elle est rendue.
Vous jugez nos différends ? Nous jugeons votre justice !
Un plaidoyer qui nous rappelle l’interview exclusive que Souleymane Téliko avait accordée au « Le Témoin », votre quotidien préféré, en sa qualité d’alors président de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums). Que pensait-il de la courageuse décision du Conseil constitutionnel kenyan qui avait annulé l’élection du président sortant bien que celui-ci tenait toujours les rênes du pouvoir ? Les magistrats sénégalais pourraient-ils prendre une telle décision dans un contexte similaire ? Voici ce qu’avait été à l’époque la réponse du président Téliko : « Je ne veux pas donner l’impression de prêcher pour ma chapelle. Mais honnêtement, le Sénégal re[1]gorge de magistrats extrêmement compétents et d’un courage à toute épreuve. Le reste, c’est une question de contexte et d’opportunité. Mais je ne me fais aucun doute quant à la capacité de la justice sénégalaise à se montrer tout aussi exemplaire. Beaucoup de décisions, surtout dans les affaires politico-judiciaires, font aujourd’hui l’objet de critiques acerbes de la part de l’opinion. Les critiques à l’égard de la justice sont à la mesure des attentes des citoyens et de l’intérêt qu’ils lui portent. A mon avis, il ne faut pas s’en offusquer. Il faut plutôt les analyser avec lucidité. Il y a, parfois, de la dramatisation dans certaines critiques. Mais il y a aussi, incontestablement, une part de vérité. Je crois que ce vous appelez crise de confiance découle d’un sentiment large[1]ment partagé chez nos concitoyens que, dans certaines affaires, la justice a été instrumentalisée. La solution, c’est qu’il faut d’abord communiquer et rétablir la vérité s’il y a lieu. Ensuite, nous magistrats, nous devons nous soucier de la perception que nos concitoyens peuvent avoir de la justice et éviter d’adopter des postures qui laissent penser que nous sommes davantage soumis à l’autorité politique qu’à la loi (…) » nous avait confié le juge Téliko. En même temps, il reconnaissait que les critiques à l’égard de la justice sont à la mesure des attentes des citoyens et de l’intérêt qu’ils lui portent.
Presque tout le monde en convient ! La justice sénégalaise n’est pas indépendante. Ce que dénoncent plusieurs justiciables surtout par rapport au traitement réservé aux partis politiques de l’opposition et à leurs leaders durant tout le magistère du président Macky Sall. Douze ans durant lesquels trois figures de proue de cette opposition, parce qu’elles constituaient des obstacles à la réélection de ce dernier, ont été emprisonnés sous des prétextes fallacieux par des juge aux ordres. En tout cas, l’indépendance de la magistrature qui est la la garantie fondamentale d’un procès équitable pour les justiciables occupera sans nul doute une place importante durant ces Assises de la justice qui seront ouvertes par le président de la République. Car, de toutes les problématiques liées à la justice, l’indépendance de la magistrature reste incontestablement celle qui retient le plus l’attention. Objet de controverses sur fond d’intérêts voire de passion, l’indépendance de la magistrature ne laisse indifférente aucune catégorie de citoyens. Si les acteurs de la Justice ont naturellement le droit de prendre part à cette journée au nom de la crédibilité d’une institution qu’ils ont pour mission de préserver, les autres citoyens sénégalais, au nom de qui la justice est rendue, peuvent aussi, légitime[1]ment, se prévaloir d’un droit de critique sur une institution qui détient entre ses mains une partie de leur destin : la liberté ou la prison, l’éligibilité ou l’inéligibilité.
Au cours de ces assises de Diamniadiao, les citoyens auront l’occasion unique de dire aux magistrats des vérités du genre : Vous jugez nos différends ? Nous aussi, nous jugeons votre justice !