DES RESCAPES ACCUSENT LA MARINE NATIONALE D’AVOIR HEURTÉ VOLONTAIREMENT LEUR PIROGUE
Selon des sources, la faute incomberait à la marine nationale dont le patrouilleur «Sangomar» aurait heurté la pirogue contenant plus de 70 personnes à bord
La marine nationale est au banc des accusés. Tout n’aurait pas été dit sur la mort de jeunes candidats à l’émigration clandestine dont la pirogue a pris feu au large de Dakar le weekend dernier. Selon des sources, la faute incomberait à la marine nationale dont le patrouilleur «Sangomar» aurait heurté la pirogue contenant plus de 70 personnes à bord.
La non-assistance à personne en danger est sanctionnée par la loi. Dans la nuit du 25 au 26 de ce mois, 60 à 70 passagers ont pris place à bord d’une pirogue pour tenter de rejoindre clandestinement l’Espagne. Les candidats au voyage avaient bien planifié leur voyage. Ils logeaient dans une maison au quartier de Yarakh avant d’être acheminés la nuit de leur départ à l’embarcadère de Soumbédioune où il s devaient monter à bord d’une pirogue à destination des iles Canaries en Espagne. Ils avaient pris discrètement des taxis afin de rejoindre l’embarcadère. Chaque candidat avait payé entre 300 000 FCFA et 350 000 FCFA. Pour un seul voyage, le capitaine — ou, plutôt, l’organisateur du voyage — devait donc amasser 28 000 000 FCFA.
Retour sur la scène de la tragédie
Le patrouilleur «Sangomar» de la Marine nationale et la vedette de la Guardia Civile espagnole avaient intercepté la pirogue dans laquelle avaient pris place nos 60à 70 migrants clandestins, dans la nuit du 25 au 26 octobre, vers 3 h du matin, à 5 km au large de Dakar. C’est du moins ce qu’a indiqué la Direction de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa). Ce qu’elle n’a pas dit c’est que, c’est après plusieurs tentatives infructueuses pour arrêter la pirogue transportant les candidats au « barça wala Barssakh », la vedette a été obligée de la percuter à l’éperon. Des témoignages glaçants des rescapés soutiennent que la marine espagnole a été la première à avoir intercepté la pirogue clandestine avant de laisser la suite des manœuvres à la marine nationale. Laquelle a tenté à deux reprises d’arrêter le capitaine de la pirogue sans réussir. « C’est alors que le « Sangomar » a heurté la pirogue des clandestins à sa troisième tentative que les marins ont heurté la pirogue. Et contrairement à ce qui a été dit, la pirogue des migrants et le bateau de la marine ne sont pas entrés en collision » soutient une source policière. Autrement dit, à en croire cette dernière, le communiqué de la marine nationale, qui soutient la thèse d’un accident, serait loin de la vérité. En effet, selon des sources de l’enquête, les marins qui poursuivaient la pirogue avaient décidé délibérément de la heurter. « Ce choc très violent a provoqué la désintégration de de la pirogue en bois qui ne pouvait point supporter la collision. Les jeunes se sont jetés dans l’eau alors que beaucoup d’entre eux ne savaient pas nager », poursuit notre interlocuteur.
« Cela s’est passé comme dans le film Titanic sauf que là, les marins nous regardaient mourir alors que c’est eux qui ont heurté notre pirogue »
Alors que la pirogue contenait 60 à 70 passagers, 39 ont été secourus. Ce qui fait penser que le bilan est plus lourd que ne le prétend le communiqué de la Dirpa. « La marine nationale ne peut pas se cacher derrière un communiqué pour maquiller un crime car l’origine de ce drame doit être élucidée », fait savoir notre source. Interrogé, la voix complètement cassée, Abdoulaye Guèye 24 piges, soudeur métallique de profession explique sa mésaventure. « J’ai versé 300 mille FCFA. On était plus de 80 personnes dans la pirogue. Deux patrouilleurs nous ont trouvés, celui de la Guardia civile et celui du Sénégal. Ils ont voulu nous arrêter et nous avons refusé. Car, nous voulions coûte que coûte arriver à destination. Le bateau de la marine nationale nous a barré le chemin deux fois le chemin et c’est à la troisième fois qu’il a heurté notre pirogue. Si les gens veulent savoir comment nous avons fait pour échapper, il faut suivre le film Titanic », témoigne le jeune Saint-louisien. Il jure que « cela s’est passé exactement comme ça lorsque notre pirogue coulait. Je ne suis pas un bon nageur. Je me suis agrippé sur un bidon le temps que les gens viennent nous sauver. C’est le bateau de la surveillance maritime qui a sauvé presque tout le monde. La maritime sénégalaise n’a pu sauver qu’environ 7 personnes. J’étais avant mon grand frère dans la pirogue, je ne l’ai toujours pas revu. Malgré tout ce qui vient de nous arriver, je jure que si une autre occasion se présentait, je reprendrais la pirogue. Car, il n’y a rien au pays. J’ai peiné pour avoir ces 300 mille FCFA. Ici même pour avoir 50 mille FCFA le mois c’est difficile. L’Europe c’est mieux. Les organisateurs se fichent des victimes car c’est l’argent qu’ils gagnent qui leur importe plus » dit le jeune « Ndar-Ndar ». Un autre rescapé du nom de Ibrahima Fall, 42 ans, originaire de Saint-Louis lui aussi, père de famille de 4 enfants, pointe également un doigt accusateur en direction de la marine nationale. «Nous avons pris départ à Soumbédioune, dimanche dernier vers 22 heures.
Après avoir parcouru à peu près 6 km, nous avons voulu changer la machine (moteur) qui roulait à une vitesse de 40 et on a voulu mettre l’autre pour rouler à 60. Après avoir monté la machine, nous avons constaté qu’il y avait un bateau qui nous poursuivait. Il nous a devancé et soulevé des vagues pour renverser notre pirogue, mais on avait un canoé résistant. C’est ainsi que le patrouilleur de la marine manoeuvré pour venir heurter notre pirogue qui s’est fendue et a chaviré. Au lieu de venir nous sauver, les marins nous regardaient. Nous étions 80 personnes, il n’y a que 39 rescapés et c sont ceux qui savaient nager et ceux qui se sont accrochés aux bidons d’essence. C’était la nuit. Les marins sont restés plus d’une heure avant de venir nous sauver. Ils ne se sont résolus à le faire que lorsque la marine espagnole est arrivée. J’avais payé 350 mille francs pour le voyage. Beaucoup de gens que je connais très bien sont parmi les victimes. Les marins nous ont vus lorsqu’on avait allumé la lumière pour changer la machine », indique le quadra. C’est dans la même veine qu’abonde un autre rescapé qui soutient qu’une enquête devrait être ouverte contre la marine nationale. « Ils nous ont fait des sommations et nous avons continué notre chemin. Ils ont essayé de nous déstabiliser en créant des vagues malgré cela notre pirogue ne s’est pas renversée. C’est alors qu’ils ont heurté notre pirogue. Au lieu de venir nous sauver, ils regardaient les gens mourir. Il a fallu que la marine espagnole vienne nous sauver. Nous étions près de 80 passagers. Je suis resté trois heures dans l’eau, accroché à un bidon avant qu’on ne me sauve. Je n’ose pas aujourd’hui dire aux parents de mes amis qui sont décédés la nouvelle », a-t-il expliqué.
Dans ce débat, s’est invité Moustapha Diakhaté, ancien chef de cabinet du président de la République, qui parle de crime odieux et accuse la marine sénégalaise. Il invite l’Etat à clarifier d’urgence les circonstances de ce drame qui a ému notre pays tout entier.