DES SÉNÉGALAIS PROPOSENT DES TRAITEMENTS DE CHOC POUR LES CHAUFFARDS
Faire vivre une rencontre entre accidentés et chauffards pourrait faire réfléchir et ramener un peu d’humanité dans le monde de la route devenu très dangereux et mortel
Par exemple, emmener les responsables d’accidents graves ou mortels dans les urgences des hôpitaux, voire dans les morgues, les confronter à des victimes clouées dans des fauteuils roulants ou avec les familles des personnes décédées…
Faire vivre une rencontre entre accidentés et chauffards pourrait faire réfléchir et ramener un peu d’humanité dans le monde de la route devenu très dangereux et mortel. Cela devrait être obligatoire et systématique au niveau des auto-écoles, dans les hôpitaux, en compagnie du Samu, des sapeurs-pompiers, des secouristes sur les lieux des accidents pour mettre les «délinquants» face à leurs responsabilités. Les Sénégalais proposent cette «loi de l’électrochoc».
La route a encore tué dans notre pays. Seize personnes ont trouvé la mort lundi dernier dans un accident sur la route de Diourbel. Le capitaine Khoudia Ibra Mar, commandant de la 21e compagnie d’incendie et de secours de Thiès, parle d’une collision entre un bus et un camion qui a occasionné 52 victimes dont 16 blessés légers, 20 blessés graves et 16 corps sans vie complètement calcinés. Tous les blessés ont été évacués au niveau du district sanitaire de Khombole et les corps à la morgue de l’hôpital régional de Diourbel. Un accident tragique qui vient ainsi allonger la très longue liste des drames survenus sur nos routes ces dernières années. Le ministre des Transports, El Malick Ndiaye, indexe l’indiscipline des chauffeurs dans cette série macabre. A l’en croire, le comportement humain reste un facteur clé dans ces accidents de la route.
Au Sénégal, la vie ne tient qu’à un fil
Au Sénégal, la vie ne tient qu’à un fil sur nos routes. Elle ne tient à rien même. En une fraction de seconde, tout peut basculer. Chaque accident de la circulation produit des patients souvent paralysés, des victimes grièvement atteintes, en plus bien sûr des nombreux morts… La plupart des blessés traînent des séquelles irréversibles. Certains sont lourdement handicapés. D’autres ont des séquelles morales. C’est le cas de Assane Diop, un jeune motard de 23 ans qui s’est fait renverser par un chauffard. L’accident était survenu à hauteur du lieudit Km 50 sur la route de Thiès. Il avait eu une fracture ouverte au niveau de la cheville. Depuis lors, il marche en boitant avec une plaie cicatrisée au niveau de son front. Il confie avoir réappris à marcher après des mois passés en rééducation. Cheikh est une autre victime. Il a déjà vécu ce moment de choc brusque, inattendu et a même frôlé la mort dans un grave accident de la route il y a cinq ans. Il se considère comme un miraculé. A l’époque, il était mécanicien dans un garage. «J’ai failli perdre l’usage de mes deux mains. J’avais des fractures. Le choc était violent. Un de mes bras a été presque complètement arraché de mon corps. Je voyais une partie de moi inerte». S’il n’a heureusement pas perdu la vie dans ce choc, il avait été admis aux urgences et a subi une opération chirurgicale.
Quant à la nommée Astou dite «Thitou», elle se souvient encore de ce terrible accident qui lui a arraché une «partie» d’elle. Son père ! «Le chauffeur, dit-elle, avait perdu le contrôle de son véhicule. Mon papa est décédé sur le coup ». Donc, en une fraction de seconde, on peut finir avec un handicap ou perdre un être cher à cause d’un inconscient qui ne respecte pas le code de la route. L’excès de vitesse, la négligence dans la visite technique ou encore le téléphone au volant sont les autres causes de ces accidents qui brisent énormément de destins et de vies.
Pas de peines, mais toucher la sensibilité des « délinquants »
Maintenant comment corser les peines ? Quel type de condamnation pour limiter la vitesse sur nos routes ? Quelle sanction qui permettraient de freiner cette hécatombe ? Pour bon nombre de Sénégalais, l’heure n’est plus aux condamnations mais de réussir à toucher la sensibilité des «délinquants» de la route en les mettant devant leurs responsabilités à travers des rencontres et confrontations bouleversantes avec les victimes dans les services des urgences, dans les centres de rééducation, dans les familles.... «Il faut choquer la sensibilité de ces automobilistes. Il faut accueillir les chauffards dans les hôpitaux auprès des blessés graves pour en faire de bons conducteurs conscients et responsables. Ce pour frapper leurs esprits. Surtout leur montrer les situations terribles dans lesquelles vivent les accidentés», soutient le nommé Pape Moussa Dione. Qui pense que c’est plus intelligent que les retraits de permis de conduire qui, selon lui, n’empêchent pas les chauffards de recommencer. «Ça peut créer un électrochoc pour les empêcher de récidiver. Il faut surtout les inviter à la télé pour faire le compte rendu de leurs visites à l’hôpital, et leurs discussions avec les victimes en hospitalisation. Ce sera de dures expériences qui vont ouvrir les yeux à ces hommes ou femmes qui ont cloué beaucoup de personnes dans des fauteuils roulants et sur des lits d’hôpitaux des mois durant. Qui ont surtout endeuillé des familles. Cela va les marquer beaucoup plus qu’une simple amende ou une condamnation judiciaire à quelques mois de prison. Aussi faudra-t-il inviter des victimes à raconter leur vie post accident avec une discussion autour de ça pour mieux toucher la sensibilité des Sénégalais. Cela pourrait aider à être plus vigilants, plus responsables dans nos attitudes et habitudes. Parce que, après une condamnation, le chauffard peut renoncer à conduire sans avoir pris conscience de son acte. Mais quand on touche sa sensibilité, là, il peut même engager la lutte à travers des activités de sensibilisation».
La proposition de Pape Moussa semble être une piste de solution à ces drames sur nos routes. Ibrahima Fall pense qu’il faut surtout accueillir les chauffards dans les blocs opératoires et, par exemple, opérer un œil ou ouvrir un crâne en leur présence pour qu’ils se rendent compte des conséquences potentielles de leur insouciance. Ils doivent aussi être condamnés et systématiquement à passer plusieurs mois dans des centres de rééducation fonctionnelle pour leur faire voir la réalité. Cela doit être un passage obligé pour les chauffards qui doivent aider leurs victimes dans la vie de tous les jours pendant quelques temps, au lieu de les laisser en prison. Cela doit être leur prison avec des gardes en permanence. Pour son collègue Ndongo Faye, «cela devrait même être une obligation pour toute personne au moment de passer le permis de conduire. Ça doit marquer les mémoires dès le début. On aura déjà appris. Cela peut aussi calmer un chauffard qui tenterait de rouler à vive allure. C’est de la prévention efficace. Il y a cette recrudescence des accidents parce qu’il y a aussi trop d’impunités sur nos routes».
Idrissa Diallo dit approuver cette thérapie consistant à voir et parler avec les victimes des accidents de la route. Mais il vise plus loin. «L’initiative, c’est bien, mais elle doit être un complément de la peine. Il faut amener les chauffards à savoir lever le pied quand le danger guette». De son point de vue, le simple accueil à l’hôpital et dans les centres de rééducation ne suffit pas. «Il faut aussi les amener à la morgue et leur montrer des victimes de la route. Une visite de la morgue sera encore plus choquante pour certains automobilistes qui s’amusent avec le téléphone au volant et certains chauffards qui font n’importe quoi sur la route. C’est un passage obligé duquel ils vont ressortir différents, plus conscients et plus humains. Cela devait d’ailleurs être une méthode de prévention officielle». Une méthode à «officialiser» aussi dans les auto-écoles. «Il faudra sensibiliser avant même d’avoir le permis pour prévenir les drames. On devrait l’introduire aussi dans les cours de code ou de conduite. Obliger les apprenants à aller rendre visite à des accidentés parce que les amendes ne servent pas grand-chose. C’est plus pertinent et beaucoup plus choquant», suggère-t-il. Il pense que cette méthode devrait aussi être enseignée à l’école notamment dans tous les lycées.
En tout cas, et quelle que soit la préconisation retenue, El Hadj Malick Koundoul pense qu’il faut aussi «une sentence plus sévère avec plus de 20 ans de prison pour avoir mis quelqu’un dans fauteuil roulant, et la perpétuité directe et sans condition pour un seul mort car les dommages causés sont irréversibles».
Bref, pour nos interlocuteurs, la sentence frappant les conducteurs responsables d’accidents graves ou mortels doit être plus sévère. Des conducteurs auxquels il faudrait aussi exposer les souffrances des victimes et leurs familles pour leur faire prendre conscience de la gravité de leurs actes.