ENQUÊTE SUR UNE AGENCE DE SÉCURITÉ À PROBLÈMES
Le mouvement d’humeur des agents de sécurité de proximité (ASP) remet au goût du jour la lancinante question de l’utilité de ce corps de métier qui traîne depuis sa création plusieurs maux. Diagnostic d’un mal profond
De collègues, ils passent à mis en cause en un claquement de doigts. Ceci est le sort de plusieurs Agents de sécurité de proximité (Asp). Après Kaolack, des Aps ont été mis aux arrêts à Kolda. Ils voulaient battre le pavé. Ils cherchaient à se faire entendre, porter la voix au sommet pour que leur situation évolue enfin. Ce qu’ils demandent en fait, c’est de sortir de cette incertitude dans laquelle ils sont installés depuis 9 ans. Ce qu’ils souhaitent, c’est de se départir de ces salaires misérables couplés à des heures de travail interminables, c’est une intégration dans la fonction publique. Ils s’en sont plaints. Ils ont râlé. Ils ont marché. Ils sont allés jusqu’à observer des jours de cessation de travail. Mais comment cette agence qui suscitait à ses débuts beaucoup d’espoir a pu en arriver à cette situation ? Pour ses pionniers, c’est parce que le projet de départ a été dévoyé au fil du temps. «Dans la conception, c’est un volontariat de deux ans renouvelable une fois et les intégrer à la fin des 4 ans dans la Police ou la Gendarmerie, les ministères, etc. Sur la base du projet, ils devaient avoir la priorité d’emploi dans ces institutions qui les accueillent. Ils sont considérés comme l’appui à l'administration, des prestataires de service. C’est pourquoi ils ont été envoyés dans certaines institutions comme les tribunaux pour être formés pour assurer la police des audiences pour qu’en cas de besoin, ils soient recrutés», avoue un des concepteurs du projet. Seulement, au lieu de quatre années d’engagement civique, ils en sont à leur neuvième année. Neuf ans à percevoir un cachet de 50 000 FCfa arrondi, pour les plus chanceux, selon les largesses des chefs d’institutions. A cela, s’ajoute, toujours d’après notre interlocuteur, «l’inflation de l’effectif du personnel de l’agence». Des actes qui, d’après lui, accentuent la frustration des Asp.
«Ils ont essayé de pérenniser un système qui n’est pas viable. L’agence n’a pas répondu aux attentes »
Ancien officier de la Gendarmerie nationale, le Colonel Abdou Aziz Ndaw signale que le nœud du problème, c’est le manque d’évolution du projet. Ce qui lui a fait perdre sa viabilité. «L’Asp, ce n’est pas une profession. Les Asp sont des auxiliaires qui ont pour mission de renforcer la sécurité. L’agence n’était viable que si on prenait les jeunes sur deux ans renouvelables une fois. L’idée était de leur donner un début de métier, les former sur la sécurité, les aider à élever leur niveau de formation pour que, après les 4 ans, ils deviennent policiers ou gendarmes, ou ils exercent d’autres fonctions grâce à leur expérience ou leur culture d’Etat. Mais le projet a péché quand les tenants du pouvoir ont essayé de pérenniser un système qui n’est pas viable. De plus, le système de contrat qui lie l’Asp à l’agence n’est pas bon. On ne peut pas continuer à payer 50 000 FCfa à un agent de sécurité pendant 9 ans. Au bout de deux ans, il faut le recruter. Il devient fonctionnaire ou agent de l’Etat. On ne peut pas maintenir quelqu’un dans un système où il n’a aucune possibilité de progresser», fait remarquer le Colonel Ndaw. Selon lui, cette agence n’a pas répondu aux attentes. «L’agence avait trois buts : renforcer la sécurité, répondre au problème du chômage, donner un certain nombre d’éducation civique à des jeunes. Il faut évaluer, en termes de sécurité, ce que l’agent a apporté. En termes de chômage des jeunes, quel bilan tirer de cela. En termes de patriotisme, j’aurai préféré, en 9 ans avoir 50 000 à 100 000 jeunes qui sont passés par l’agence que les 5 qui sont restés pour des raisons politiques politiciennes. Il y a eu des recrutements politiciens», poursuit le gendarme à la retraite.
Vu leur 9 années d’expérience acquise auprès de ces institutions, l’Etat gagnerait à les conserver tous ou en retenir le maximum. C’est l’avis de Cheikhna Keïta, Commissaire de Police à la retraite. «Ces Asp, reversés dehors, du fait de la précarité, ne viendraient-ils pas grossir les rangs d’une certaine forme de délinquance ?, s’interroge-t-il. C’est à partir de là qu’il faut mener la réflexion. L’Etat ne peut pas absolument se résoudre à se débarrasser d’eux tant qu’il y a une solution alternative qui arrangerait tout le monde. Même si on les jette, on va chercher du personnel ailleurs pour faire le même travail», souligne Cheikhna Keïta. D’une manière plus concrète, un des concepteurs du projet recommande la création d’une commission qui va mettre en place un système d’insertion de ces agents.
«Il faut que l’Asp revienne sur sa philosophie de base»
Il juge opportun de revenir à l’idéologie de base. C’est-à-dire partir sur un système de volontariat. «Le Sénégal a voté la loi d’orientation sur le volontariat, ils seront dorénavant régis par cette législation. A partir de là, le Sénégal devra aussi respecter ses engagements vis-à-vis de ses volontaires. Il faut que l’Asp revienne sur sa philosophie de base, le volontariat proprement dit. Le volontariat c’est un apprentissage. Si c’est clair dans la tête des gens et que l’Etat respecte tous les quatre ans le passage du volontariat à l’emploi réel, personne ne va crier», suggère-t-il. Et pour ceux qui ont déjà épuisé les quatre années de volontariat, il conseille de les intégrer dans les différents corps qu’ils ont côtoyés pendant 9 ans. «Chaque année, des personnes vont à la retraite et ces institutions auront besoin d’appui, de bras pour les remplacer. Cela ne va pas se faire sentir par l’Etat. Pour la Police et la Gendarmerie, je recommande qu’on suspende tous les quatre ans le concours pour intégrer ces Asp. Ce qui fera deux ans d’économie à l’Etat. Au lieu de faire deux ans de formation, ces Aps feront 6 mois. Ils auront déjà fait la formation pratique. On les envoie dans les commissariats comme stagiaires. Les Asp qui sont dans les tribunaux par exemple, on peut les utiliser comme agent d’accueil. Ceux qui sont au ministère des Sports peuvent être utilisés comme stadiers. Et là, ils seront formés en évènementiel sportif. Ceux qui sont au ministère de la Santé peuvent être des agents du service d’hygiène. Ceux qui sont dans les préfectures et les sous préfectures, on les utilise comme secrétaires, chauffeurs, agents de service. Les Asp des mairies peuvent devenir des secrétaires à l’état civil ou être utilisés pour le recouvrement de la fiscalité des marchés», suggère dans l’anonymat notre interlocuteur.
Le 23 février 2022, «Journée morte» par les Asp
Les Asp veulent pousser la tutelle à revoir leur situation d’une manière plus avantageuse. Une fois pour toute. Quitte à se faire interpeller par les forces de l’ordre. «Nous avons introduit des demandes d’autorisation de marche. Les préfets ont refusé de nous accorder ce droit. Certains de nos collègues ont marché à Kolda. Ils ont été arrêtés, puis libérés. Ils sont au nombre de 83. Mais ils seront jugés le 23», condamne Aïcha Koné, la présidente de l’Union nationale des Asp. Elle et ses camarades vont marquer le coup le jour du jugement en s’abstenant de toute obligation professionnelle. Ils envisagent d’observer le mercredi 23 février 2022 une «Journée morte des Asp». Les Asp qui disent avoir épuisé toutes les voies de recours sont déterminés à maintenir la pression sur la tutelle. «Nous avons interpellé les plus grands chefs religieux de ce pays. Nous avons envoyé une lettre au président de la République avec accusé de réception, sans réponse de sa part. Nous sommes prêts à tout. Organiser une marche nationale vers le Palais, observer une grève de la faim, rendre les tenues à la Direction générale», dit la présidente de l’Union. Ne comptant reculer d’un iota, Aïcha Koné et ses camarades soutiennent qu’ils ne se laisseront pas amadouer avec un nouveau contrat de prestation. «La Direction générale de l’Asp continue de faire ce qu’elle veut. Notre dernier contrat est arrivé à terme depuis décembre 2021. Puisque nous sommes en mouvement, la direction a sorti, aujourd’hui (hier, Ndrl), un nouveau contrat d’un an pour que les Asp le signent d’ici 72 heures. Mais nous avons demandé à tous nos membres de boycotter ce contrat. Nous n’allons pas signer cet engagement. C’en est assez. On ne se laissera plus berner. Après deux ans renouvelables une fois, on devait être inséré dans la fonction publique. Mais depuis la fin des 4 ans, nous n’avons que des contrats verbaux d’un ou deux ans. Nous ne recevons que 50 000 FCFA, depuis 9 ans. Certains reçoivent leur paie via la Boa ou Orange Money et cela peut traîner jusqu’au 15 du mois», poursuit Aïcha Koné.
«Ce que le Dg de l’Asp a répondu à notre collègue blessé»
Selon la présidente de l’Union, les Asp vivent une situation plus que précaire. «Nous avons un collègue à Kaolack qui a eu une blessure à la main dans l’exercice de ses fonctions. Lorsqu’il a écrit au Dg de l’Asp, il lui a dit d’envoyer une lettre à la fondation de la Première Dame. J’ai des preuves de ce que j’avance. Notre situation est préoccupante. C’est pourquoi certains ont démissionné pour chercher un emploi plus décent. D’autres ont voyagé. Il y en a qui sont décédés. De 10 000 au départ, nous ne sommes plus qu’à 8 000 environs», confie-t-elle.
BIRAME FAYE, DIRECTEUR GENERAL DE L’ASP : «Le processus de changement de statut des Asp est en cours»
«D’ici à la finalisation du nouveau statut des Asp par le ministère de l’Intérieur qui travaille d’arrache-pied pour mettre en acte la vision du président de la République, la Direction générale veut de l’ordre et de la discipline dans les rangs. Aucun acte d’insubordination ne sera toléré par la Direction générale. Nous avons pris nos responsabilités devant l’entêtement de certains manifestants qui mènent une campagne de désinformation avec des discours qui frisent la désobéissance civile. Malgré la volonté affichée par les autorités pour la pérennisation du modèle des Asp, une minorité d’entre eux a décidé de poursuivre leur plan d’action comme si de rien n’était. Le Comité de discipline va se réunir incessamment pour prendre des mesures exemplaires à l’encontre des fauteurs de troubles. La majorité des Assistants à la sécurité de proximité tenus par un droit de réserve conformément à leur pacte civique n’ont pas suivi ce mouvement d’humeur. C’est d’ailleurs, de tels comportements que nous recommandons à tous les Assistants à la sécurité de proximité avant l’entrée en vigueur du nouveau statut attendu en fin juin, comme l’a précisé le communiqué du Conseil des ministres du 12 février 2022. Dans le cadre de ces directives présidentielles, un Comité de réflexion a été mis en place par arrêté du ministre de l’Intérieur n°003254 du 04 mars 2021 pour réfléchir sur la question. Ce comité s’est réuni à Saly Portugal, les 7, 8 et 9 avril 2021 et a proposé la création d’un corps spécial. Les conclusions du Comité technique ainsi que les recommandations des corps et structures impliqués ont été revues, stabilisées et transmises à l’autorité.»