ICS-RIVERAINS, UNE RELATION EXPLOSIVE
Conflits fonciers et sociaux, blocage de l’activité économique - Face à un blocus depuis le 28 mai, les Ics essaient de redémarrer la machine. Mais, elles sont confrontées cette fois-ci à une révolte des villageois qui ont décidé de paralyser
Face à un blocus depuis le 28 mai, les Ics essaient de redémarrer la machine. Mais, elles sont confrontées cette fois-ci à une révolte des villageois qui ont décidé de paralyser leur activité. Les conflits fonciers et sociaux entre les Industries chimiques du Sénégal (Ics) et les villages riverains impactés, Ngakham-2, Gade, Ngomene, Méouane, Mbelgor, Ndiane Mbaye, Daya Ndiop, Daya Ndakhar et Daya Made, Ndomor et Ndiakhaté, semblent encore loin de trouver leur épilogue. Le collectif des villages impactés, déterminé à «continuer de défendre nos intérêts par tous les moyens légaux», alerte les autorités sur la nécessité de «revoir les questions liées au contenu local, à la Rse, à l’emploi des jeunes des villages riverains, au respect des normes environnementaux, entre autres». Des populations qui jugent alors nécessaire d’éclairer la lanterne de l’opinion et des autorités compétentes sur «le forcing des Ics», pour que des «mesures fortes» soient prises pour régler la controverse : la question du barème d’indemnisation des impactés dans les zones minières. Dans l’après midi d’hier, le blocus des installations de la société a été levé sur demande du ministre de l’Intérieur.
C’est une révolte citoyenne qui couve dans l’aire des Industries chimiques du Sénégal (Ics). C’est une première dans cette zone de «turbulence» affectée par une série de contentieux liés aux multiples conflits fonciers et sociaux opposant les Ics/Indorama aux populations riveraines. Une nouvelle stratégie de lutte consistant, pour les populations du village de Ndomor, regroupées au sein du collectif de défense des terres et intérêts de leur localité, à maintenir le blocus installé depuis déjà plusieurs jours à hauteur du chemin de fer de la société.
En cette matinée du samedi 8 juin, ces riverains, très en colère, ont tenu un point de presse pour faire état de la situation en cours. Porte-parole du jour, Modou Ndiaye explique les enjeux : «Le village de Ndomor a d’abord eu le malheur d’être une cible d’un déguerpissement et d’une expropriation effectués par les Ics entre 1972 et 1973. Ce déplacement du village a eu des conséquences dramatiques, tant sociales que culturelles, en plus des dommages économiques qu’il a causés aux populations.» Il poursuit : «Depuis cette date, les Ics n’ont cessé d’agresser notre écosystème, de polluer notre environnement et d’empiéter sur nos terres d’habitat et de culture. Les rejets fréquents de gaz carboniques ou à effet de serre et autres produits toxiques dans l’atmosphère et sur les sols engendrent une pollution de l’air, des sols et de la nappe phréatique, et détruisent la faune et la flore dans cette localité.»
Ces populations font face à un scandale écologique. «Nos terres de culture sont polluées et spoliées, de façon ininterrompue, par cette compagnie, de sorte qu’aucun arbre fruitier ou qu’aucune culture de rente ne puisse désormais s’y développer convenablement», note-t-il. Il ajoute : «Aujourd’hui, les exploitations des Ics sont venues jusqu’aux abords du village et au cœur de nos terres de culture, entraînant ainsi une spoliation de ces terres par la société qui est en train d’y construire des forages pour alimenter ses exploitations en eau.» Et le comble, à leurs yeux, est que «la société rechigne à payer les dommages et pertes ainsi causés sur nos champs». Face à cette situation, les villageois ont mis en place un système de «blocus» des installations de la société. «Nous avons installé un blocus à hauteur du chemin de fer de la société depuis quelques jours», note le porte-parole. Le blocus a été levé hier.
La révolte citoyenne, une nouvelle stratégie de lutte des impactés
Aujourd’hui, les populations de Ndomor vont continuer à maintenir ce blocus pour exiger des Ics «le respect» de leurs engagements : «L’évaluation et le paiement de tous les champs et terres impactés ; la clôture des anciens et premiers cimetières du village déplacés par les Ics en 1973 ; le bitumage du tronçon latéritique qui lie la Route nationale à la voie ferrée, pour réduire les nuées de poussière et d’émanations que soulèvent les incessants passages des camions et bus de la compagnie, sur le collège du village et sur les élèves.» A cette liste, il faut ajouter le «recrutement des jeunes diplômés et non diplômés du village ; le respect de l’environnement». Comme une rengaine, ces revendications sont toujours consignées dans le cahier de doléances des populations riveraines.
DEGATS ET DOMMAGES LIES AUX TRAVAUX DE SONDAGE - VERSEMENT D’UNE PREMIERE TRANCHE SANS SUITE
Le 15 mai 2024 dernier, les populations, réunies au sein du Collectif des villages impactés par les Industries chimiques du Sénégal (Ics), Ngakham-2, Gade, Ngomene, Méouane, Mbelgor, Ndiane Mbaye, Daya Ndiop, Daya Ndakhar et Daya Made, Ndomor et Ndiakhaté, ont tenu un sit-in sur la route menant au site minier de Tobène pour montrer leur mécontentement vis-à-vis de cette société minière. «Depuis mars 2023, la Commission départementale avait procédé à l’évaluation des dégâts et dommages liés aux travaux de sondage (prospection et exploration) sur la base d’un protocole d’accord signé entre les Ics et les populations concernées sous la supervision des représentants de l’Etat (le sous-préfet de Méouane, le représentant du Préfet de Tivaouane, le représentant du maire de Méouane) et l’ensemble des services concernés», notent les populations. Selon cet accord, «les dégâts liés aux mouvements de terre et des routes des gros engins sont évalués à 650 F Cfa/m2 (soit 6,5 millions F par ha) et chaque puits de forage est évalué à 100 mille F», soulignent les impactés. Selon eux, «ces évaluations concernent seulement les dégâts causés et n’ont pas de rapport avec l’évaluation finale des terres». Les populations riveraines poursuivent leurs complaintes : «Après avoir payé la première tranche, les Ics ont arrêté les paiements tout en continuant leurs travaux de prospection. Des terres de centaines d’impactés sont encore en attente d’une évaluation. Les autorités ont convoqué des réunions qui n’ont jusque-là pas résolu le problème.» Et à leur grande surprise, de constater que «les Ics, qui avaient pourtant donné la date du 5 mai pour le paiement intégral de tous les dégâts et destructions déjà évalués, ont fait une volteface pour imposer aux populations un barème dérisoire de 105 F Cfa/m2 (soit 1,050 mille F Cfa par hectare) et 50 mille F comme indemnité globale des restaurations des sols».
Réunion entre le Gouverneur de Thiès et le Collectif des villages impactés et les Ics
Au cours d’une réunion convoquée le vendredi 17 mai 2023 par le Gouverneur de région, à Thiès, entre les représentants des villages impactés et les responsables des Ics dont le Directeur général, M. Alassane Diallo, suite à l’évaluation, par la Commission départementale, des dégâts liés aux travaux de sondage des Ics, le chef de l’Exécutif régional a fustigé «l’attitude des Ics envers les paysans». A ses yeux, «il est inadmissible que les Ics veuillent renégocier ou reconsidérer le barème d’indemnisation qui était fixé bien avant le début des travaux de sondage en présence de tous les concernés, à Méouane». A cet effet, il a reconnu que «les Ics sont les seules et uniques responsables de tout ce qui est arrivé (arrêt de la production par les paysans impactés)». Ce barème était discuté et validé devant des témoins, le sous-préfet de Méouane, le représentant du Préfet de Tivaouane et la Commission départementale chargée des évaluations. «C’est un dilatoire, un manque de respect et de considération envers nous. Une entreprise qui fait plus 566 milliards F Cfa de chiffres d’affaires par an (rapport Itie 2022) continue d’appauvrir des populations déjà démunies», fustigent les villageois. Aujourd’hui, ils sont décidés à obtenir gain de cause. «Nous voulons le paiement intégral des évaluations déjà terminées depuis décembre 2023 et l’évaluation dans les plus brefs délais des dégâts non encore évalués, d’autant plus que c’est bientôt la Tabaski et le début de l’hivernage», poursuivent-ils.
«Aucune renégociation et ou reconsidération»
Par contre, il n’est pas exclu d’entamer des discussions pour les sondages non encore évalués. Devant le Gouverneur, le représentant de la Commission départementale a confirmé «la volteface des Ics». «L’objet de la réunion tenue à Méouane avant le début des sondages était d’éviter ce genre de problème», rappelle-t-il. Les dégâts sont estimés à 103,7 ha, 170 trous de sondage, 38 mille 203 espèces arboricoles et forestières, 1251 mètres linéaires de haies vives pour un coût total de 760 millions 405 mille 859 F Cfa, évalue la Commission départementale en charge des évaluations. Soit seulement 1 million 178 mille 823 par paysan en moyenne. «Les Ics, plutôt que de respecter leur engagement, veulent imposer aux paysans 235 millions 970 mille 699 F Cfa, soit une différence de 524 millions 435 mille 160 F. Ainsi elles ne veulent payer que 31% de ce qu’elles doivent aux paysans», dénotent les impactés.
ARRET DES SONDAGES MINIERS ET BLOCUS DE CERTAINS SITES - LES ICS AU BORD DE L’ASPHYXIE
Avec l’arrêt des sondages miniers des Industries chimiques du Sénégal (Ics) à la suite d’un arrêté du sous-préfet de l’arrondissement de Méouane le 3 juin dernier, la société avait alerté sur «les faits liés à la situation inquiétante qui perdure tout en se dégradant depuis plusieurs jours, mettant progressivement à l’arrêt les activités de l’entreprise». «Les activités minières des Ics sont à l’arrêt depuis le mardi 28 mai 2024 suite au blocage des sites d’extraction et de traitement du minerai par un certain nombre de personnes. Ainsi, depuis le samedi 1er juin 2024, la ligne de chemin de fer reliant les sites a été bloquée, ce qui empêche l’évacuation de l’acide phosphorique et, par conséquent, provoque un arrêt progressif de la fabrication de ce produit», note l’entreprise. Pourquoi une telle situation ? A en croire la Cellule de communication, les Ics conduisent simultanément des travaux d’exploration et d’exploitation, dans le cadre des concessions minières pour l’exploitation des phosphates de chaux de Tobène-Nord et de Tobène-Sud, renouvelées en 2008 par décret et valables jusqu’en 2033. L’objet du blocage noté depuis le mardi 28 mai 2024 découle de la nouvelle demande des personnes impactées quant à la compensation de la dernière campagne d’exploration. Toutefois, elle assure qu’«une telle situation impacte directement les 5 mille emplois directs générés par la société et les communautés environnantes dont les Ics constituent le principal moteur économique et social».