«IL FAUT QU’ON ORIENTE LE PSE VERS LE MILIEU RURAL»
Le Fonds international de développement agricole (Fida) a financé une douzaine de projets pour à peu près 500 millions de dollars d’investissement en Afrique de l’Ouest. Et le Sénégal en compte trois projets pour une valeur de 150 millions de dollars.
Le Fonds international de développement agricole (Fida) a financé une douzaine de projets pour à peu près 500 millions de dollars d’investissement en Afrique de l’Ouest. Et le Sénégal en compte trois projets pour une valeur de 150 millions de dollars. Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, en marge de la 43ème session du Conseil des gouverneurs du Fida tenue les 11 et 12 février derniers à Rome, le directeur sous-régional du Fida pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Benoît Thierry, basé à Dakar, parle aussi des stratégies d’investissement efficaces qu’on doit mettre en place pour créer des emplois pour les jeunes et vaincre l’insécurité alimentaire dans le Sahel.
Comment le Fida investit-il en Afrique de l’Ouest plus particulièrement au Sénégal ?
Il faut d’abord dire qu’on agit toujours avec nos pays membres et les 7 pays qui sont du bureau sous-régional sont la Gambie, la Mauritanie, le Mali, la Guinée Bissau, la Guinée Conakry, le Cap Vert et le Sénégal. Ces 7 pays regroupent une douzaine de projets pour à peu près 500 millions de dollars d’investissement. Nous faisons des pré-requis hautement concessionnaires aux ministres et aux gouvernements qui vont s’impliquer à des projets des ministères de l’agriculture, des l’élevage etc. Au Sénégal, depuis 40 ans, il y’a eu beaucoup de projets. Actuellement, nous avons deux projets en cours. Un qui couvre tout l’Est du pays qui s’appelle le PADAER (Programme d’Appui au Développement Agricole et à l’Entreprenariat Rural) et qui s’occupe des régions de Matam, Tambacounda, Kédougou, Kolda. L’autre s’occupe de tout l’Ouest du pays et s’appelle le PAFA Extension (Projet d’appui aux filières agricoles) qui va depuis Louga jusqu’à Kaolack. Nous allons ouvrir maintenant un projet qui s’appelle AGRI-JEUNE qui est un appui aux jeunes entrepreneurs du Sénégal. C’est un projet national qui ira en combinaison avec les autres projets et qui va couvrir les autres zones, les Niayes, Thiès et aussi la Casamance. De cette manière, on aura une couverture complète du territoire. Les trois projets ensemble sont estimés à 150 millions de dollars.
L’Afrique est composée en majorité de jeunes mais qui sont sans emplois. Ce qui les oblige parfois à prendre les pirogues pour partir en Europe au péril de leur vie. Aujourd’hui, comment doit-on investir pour permettre à ces jeunes de trouver de l’emploi et de pouvoir rester ?
C’est toute une méthode à mettre au poids qu’il faut rendre les jeunes fiers de leur pays et des capacités du pays. Si on croit en son pays, alors on peut croire qu’on va bien vivre au village. Je crois que, par exemple, le Plan Sénégal Emergent est très utile pour ça. Parce que le PSE n’est pas en court terme. C’est à long terme sur 20-25 ans. Et après, il y’a des plans d’actions à l’intérieur. Chaque plan d’actions permet d’avancer. Il y’en a sur les infrastructures, sur l’emploi etc. Il faut que ça s’efforce à continuer et qu’on l’oriente aussi vers le milieu rural. Il faut qu’il y’ait un PSE développement rural, un PSE agricole qui permettent de mettre un schéma de mise au point pour que les jeunes croient à ce qu’ils peuvent faire. On parle des jeunes qui prennent les pirogues. On en rencontre beaucoup mais ceux qui l’ont réellement fait, ont compris que ce n’est pas intéressant. Je vous donne l’exemple d’un jeune que j’ai visité en Casamance. Il a fait ça et il a souffert. Il a perdu 4 millions de F Cfa dans cette histoire. Heureusement, le gouvernement du Sénégal l’a rapatrié. Maintenant, il s’est installé avec un jardin maraicher, un puits, des arbres fruitiers, sa femme et ses deux enfants avec un investissement d’un million de F Cfa. C’est toutes ces choses-là qu’il faut faire connaitre. D’abord, faire connaitre les succès. Je vous donne l’exemple de tous ces jeunes qui travaillent entre Dakar et Thiès dans les Niayes qui montent des groupes agricoles modernes sur la culture de fruits ou de légumes etc. Ce sont ceux-là qui montrent la voie parce qu’ils sortent un revenu. Et ensuite, c’est faire passer ça au niveau des écoles et au niveau des investissements de crédits. La DER (Délégation générale à l’entreprenariat rapide) est mise en place pour aider à avoir des crédits mais à l’école aussi, on doit apprendre l’esprit d’entreprenariat. Nous, on a dit «quels sont les revenus qui font qu’un jeune serait content de vivre au village». Et on a discuté avec tout le monde. J’aimerais beaucoup qu’on puisse faire de publicités avec le gouvernement sur toutes ces réussites. On doit plus investir sur l’entreprenariat et l’esprit d’entreprise. C’est ça qui est crucial, donner à chacun confiance en soi.
Le président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita a lancé un appel à la solidarité à la communauté internationale afin d’éradiquer la faim dans le Sahel. Comment est-ce que le Fida compte améliorer ses investissements pour en arriver ?
Je pense que pour le Sahel, nous travaillons tous depuis longtemps. Maintenant, les données changent. Je ne parle pas seulement de l’insécurité. Je parle aussi de l’avenir à 30 ans et à 50 ans. Nous savons qu’il y’a des objectifs de développement pour 2030. Ça, c’est dans 10 ans. Après, en 2050, toute la population du Sahel va doubler. Les gens ne vont pas tous en ville. Ils restent aussi à la campagne. On aura deux fois plus d’agriculteurs demain qu’aujourd’hui. Je pense que tous les plans doivent être à long terme et effectivement les problèmes du Sahel peuvent être réglés avec une bonne planification à long terme et une bonne coopération régionale. Pour moi, ce ne sera pas tellement le problème d’insécurité alimentaire parce que par rapport au siècle dernier, maintenant, quand il y’a une famine, on sait traiter ça. Les gouvernements achètent la nourriture, la transportent. Ça marche bien mais ce qu’il faut essayer, c’est d’intensifier les zones agricoles. Les jeunes réclament désormais une agriculture modernisée, avec un peu plus d’appui et de machines, de meilleures semences qui produisent plus. L’utilisation du digital, c’est aussi très important. Là, nous avons par exemple une plateforme qui s’appelle We Connect Farms qui reste tout à fait aux besoins de cette jeunesse qui veut entreprendre parce qu’ils peuvent avoir des échanges entre eux. Ils peuvent accéder aux données. Pour le Sahel, on doit avoir une coopération régionale, une vision à long terme et mettre rapidement des outils. Ces outils, c’est des choses très accessibles pour les jeunes entrepreneurs et ce sont des investissements. Là, je crois que c’est les plus grosses enveloppes parce que le sous équipement actuel, va être deux fois plus sous équipé dans 20 ans. Donc, on doit multiplier par trois voire quatre le rythme d’investissement. Pour les routes, on a bien avancé. Mais, il faut avancer sur les périmètres irrigués. On peut faire beaucoup de points d’eau, de barrages superficiels, de forages aussi. De la même manière, on dit qu’un village doit avoir l’électricité et l’eau potable, il doit aussi avoir l’eau agricole parce que ça produit de l’argent. Donc, beaucoup d’investissements publics et le dernier point, c’est l’éducation, la formation. C’est-à-dire qu’il n’y a qu’en formant les jeunes notamment entre 10 et 15 ans qu’ils vont libérer leurs forces créatrices et qu’ils vont arriver à créer des entreprises et s’en sortir.
Le thème de la 43ème session du Conseil des gouverneurs du Fida est «Investir dans des systèmes alimentaires durables pour éliminer la faim d’ici à 2030». Comment cela pourrait-il être possible ?
La faim peut être éliminée en 2030 parce que les systèmes sont là. On sait produire dans n’importe quelle condition. Même s’il fait très chaud ou s’il n’a pas beaucoup d’eau, on peut produire. Par contre, ce qu’il y’a, c’est des poches de crise. Une crise peut survenir à tout moment. Là, les mécanismes sont en place. Le gouvernement a les moyens, des ordres budgétaires pour acheter et nourrir ces gens pendant cette période. Donc, pour moi, l’aspect sécuritaire alimentaire, on devrait y réussir. Ça demande quand même un suivi permanent parce qu’il ne faut pas que ça échappe à l’attention. Vous savez très facilement s’il y’a une petite zone de 10 mille ou 100 mille personnes, on ne peut ne pas en entendre parler. Donc, il faut des systèmes de monitoring qui soient bien présents, par les agents de l’Etat, par les images satellites. Donc, si on a de bons systèmes de suivi, l’augmentation de la population conduit à la modernisation de l’agriculture. Par conséquent, l’Afrique doit multiplier d’abord par deux et ensuite par quatre sa production agricole. Ça c’est très important. Pour multiplier à deux d’ici 20 ans, ça veut dire chaque année, on doit augmenter de 10% la production agricole. Il faut faire tant de puits, mettre tant d’agriculteurs sur telle filière, le mil, le sorgho, fruits, légumes, c’est quelque chose qui marche très bien parce qu’on le voit dans beaucoup de pays d’Afrique. On le voit dans beaucoup de pays d’Asie. Le Bangladesh a fait son plan en 10 ans. Ils sont devenus autosuffisants exportateurs en produits alimentaires.