IL FAUT S’INTÉRESSER AUX CAUSES PROFONDES DES MIGRATIONS POUR APPORTER DES RÉPONSES SPÉCIFIQUES
Aly Tandian, directeur du laboratoire Germ, regrette la mort de migrants ayant péri lors d'une bousculade dans une enclave espagnole située au Maroc
La situation de la migration irrégulière est beaucoup plus complexe qu'on ne le croit ; mais l'urgence est de se pencher avec responsabilité et de manière holistique sur le traitement des migrants et aussi sur les causes profondes du fait migratoire et ne pas se limiter sur de simples indignations. C'est du moins l'avis du Directeur du Laboratoire d’études et de recherches sur le Genre, l’Environnement, la Religion et les Migrations (GERM), le Dr Aly Tandian, qui regrette la mort de migrants ayant péri lors d'une bousculade dans une enclave espagnole située au Maroc. L'enseignant chercheur à l'Université Gasyon Berger (UGB) de Saint-Louis, préconise à ce que l'on revoit la politique migratoire en Afrique. Pour rappel, le Dr Aly Tandian est Professeur Titulaire en Sociologie et est auteur de plus de 40 publications scientifiques dans des revues internationales et il a encadré des thèses de doctorat au Sénégal, en Espagne, en Belgique et en France. ll est le président fondateur de l’Observatoire Sénégalais des Migrations. Entretien.
Ce vendredi 24 juin 2022, à Melilla et Ceuta, deux enclaves espagnoles situées sur la côte nord du Maroc, des migrants ont tenté de rejoindre l’Europe. Quelle lecture faire de la situation?
Effectivement, des informations collectées par l’Observatoire Sénégalais des Migrations confirme que près de 2.000 migrants africains ont essayé d’entrer, vendredi 24 juin 2022, dans l’enclave espagnole de Melilla, située au Maroc. Au moins dix-huit (18) d’entre eux ont péri dans la bousculade. (Au dernier décompte, on parle d’au moins 23 à 27 morts, ndlr). Faut-il parler d’une nouvelle crise migratoire et politique entre Rabat et Madrid ? Je pense que la situation est beaucoup plus complexe.
Donc, n’y a-t-il pas lieu de revoir la politique des migrations en Afrique ?
Oui ! Il est devenu une urgence de revoir la politique des migrations en Afrique car ce sont en majorité des personnes venant de pays d’Afrique subsaharienne qui se mobilisent au niveau de Ceuta et Melilla, pour se rendre en Europe. En mai 2021, plus de 10.000 migrants avaient traversé, en 24 heures, l’enclave de Ceuta et sans trouver des réponses ; des acteurs politiques d’ici et d’ailleurs ont préféré parler de chantage aux migrants. En outre, Bruxelles et Rabat se sont mis en accord pour défendre une stratégie de retour volontaire des candidats à la migration. Les arrivées de migrants aux Canaries font l’objet d’une intense activité diplomatique. Faut-il le rappeler, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et Malte ont uni leurs voix pour exposer leurs inquiétudes concernant la pression migratoire sur leurs côtes. Alors, l’urgence est de trouver des solutions durables. Vous savez, de nombreux migrants, en majorité des Africains, sont victimes d'abus horribles et l’internet à travers Facebook, WhatsApp, Messenger, etc. participent au développement des réseaux migratoires irréguliers. Ceux-ci sont utilisés par les passeurs, les «coxers» et les candidats à la migration sous la forme d’une véritable organisation criminelle. C’est au niveau des quartiers de Dakar, de Conakry, d’Abidjan, etc. que les réseaux migratoires criminels prennent forme. Actuellement, on parle de Ceuta et Melilla ; mais les enjeux migratoires dépassent ces lieux. Les enjeux sont l’enjeu de la gouvernance des flux migratoires dans le respect des droits de l’Homme ; l’enjeu de décourager les migrants potentiels ; l’enjeu des mobilités et migration légale et enjeux des causes profondes de la migration irrégulière etc. Ce sont tous ces enjeux qui doivent être pris en compte pour revoir la politique des migrations en Afrique. J’ose espérer que la migration est dans l’agenda de nos politiques en Afrique.
Selon vous, quelles solutions engagées face à cette situation ?
Je pense que les problèmes migratoires ne peuvent être seulement traités par la mise en place de forces navales en Méditerranée. Ils doivent relever d’un travail de long terme sur les populations des pays d’origine, avec une création d’opportunités économiques. Il faut s’intéresser aux causes profondes des migrations pour apporter des réponses spécifiques. Actuellement, le Sénégal assure la présidence de l’Union africaine (UA), une belle opportunité pour ce pays d’être un leader africain en termes de gouvernance des migrations.