«IL PARAIT DIFFICILE D’ENVISAGER UNE SOLUTION SANS QU’IL Y AIT UN COMPROMIS»
Toute la lumière sur la tuerie de Boffa-Bayotte n’aurait pas été faite, notamment l’identification du groupe en question, de tous les responsables, ainsi que les réels motifs qui ont poussé à ce massacre, selon Jean Claude Marat
Toute la lumière sur la tuerie de Boffa-Bayotte, ayant fait près d’une quinzaine de morts, n’aurait pas été faite, notamment l’identification du groupe en question, de tous les responsables, ainsi que les réels motifs qui ont poussé à ce massacre. C’est du moins l’avis de Jean Claude Marut, docteur en géographie, auteur du livre : «Le conflit casamançais : ce que disent les armes». Il estime que les deux «glissements de terrain» de l’Etat, notamment «du fait divers à l’affaire politico-militaire» et aussi «de l’objectif très flou de bandes armées à un objectif de lutte contre la rébellion» posent problème et ne seraient pas sans conséquences. Moyennant quoi, le Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (Cnrs - Sciences-po Bordeaux), relève que le premier pas, dans le règlement de ce conflit, serait de «reconnaitre qu’il existe un point de vue indépendantiste» si on veut que ce point de vue puisse s’exprimer autrement que par la lutte armée.
Il a été signalé un regain de violence en Casamance, avec le déploiement de l’armée sénégalaise. Vous qui venez d’y passer un séjour relativement long, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Il y a plusieurs constats à faire. Il y a tout d’abord le changement de terrain à partir de ce qu’il s’est passé dans la forêt de Bayotte. Jusqu’à preuve du contraire, il s’agit d’un fait divers, certes dramatique, mais un fait divers. C’est un assassinat qui a été commis par des groupes mal identifiés. On a parlé de groupes armés, manifestement. Mais la vérité me semble devoir encore être établie sur ce plan-là. Qui était vraiment ce groupe, pour quelles raisons exactes a-t-il fait ça ? Mais n’y a-t-il pas d’autres implications ? Tout n’est peut-être pas établi. Toujours est-il que, pour moi, dans une affaire comme celle-là, c’est à la police, à la gendarmerie, de mener l’enquête, d’identifier les coupables, de les rechercher et les remettre à la justice. Or, ce qu’il s’est passé après cet épisode, c’est que c’est l’armée qui est intervenue, en évoquant des « bandes armées » qu’il s’agissait de « démanteler », d’après le communiqué officiel. Pour moi, il y a un problème qui est posé par ce passage d’un terrain qui est un terrain dramatique de fait divers, au terrain politico-militaire. Dans n’importe quelle autre région du Sénégal, l’assassinat d’une quinzaine de personnes n’aurait pas entrainé, me semble-t-il, l’intervention de l’armée. Ça, c’est la première contradiction qu’on peut relever.
Ensuite, la deuxième question que je me pose, elle est relative aux objectifs de l’intervention de l’armée. Dans un premier temps, il était question de démanteler des groupes armés. Donc, on a pensé à des bandits, puisque ce sont les termes qui étaient utilisés. Très rapidement, on s’est aperçu que ce sont les positions militaires du Mfdc qui étaient visées et désormais d’ailleurs, dans le discours officiel, dans celui de la Dirpa notamment, il n’est question que de s’attaquer aux rebelles. Autrement dit, il y a là un deuxième glissement. Non seulement, on est passé du fait divers à l’affaire politico-militaire, mais sur le plan militaire, l’objectif n’est plus un objectif très flou de bandes armées, mais un objectif de lutte contre la rébellion. Avec un déploiement de moyens considérables, comme la région n’en a peut-être pas connu depuis le début du conflit, et dont l’opinion n’est pas informée. Donc, voilà les deux bonnes questions que je me pose et auxquelles je n’ai pas de réponses. Mais, disons qu’on constate ces deux glissements.
Par rapport à ces deux glissements, quelles peuvent être les conséquences, selon vous ?
Les conséquences, on les connaît. A savoir que, à partir du moment où l’armée a fait connaitre ses intentions, cela a laissé le temps à ces bandes armées, en réalité aux maquisards, le temps de se retirer de leurs positions, que ce soit des cantonnements ou des bases. A ma connaissance, d’après les informations que j’ai pu recueillir, une grande partie des cantonnements rebelles ont été évacués sans combat. Les combattants du Mfdc se sont retirés et leurs positions ont été investies par l’armée. Ce qui démontrerait qu’il y a moins une volonté d’écraser la rébellion que de mettre la pression sur elle. C’est ça la première grande conséquence : l’armée semble contrôler le terrain et ça peut correspondre à quelque chose qui n’est pas illogique, à savoir que l’Etat cherche à montrer, vis-à-vis de l’opinion, qu’il a la maitrise et les moyens de contrôler son territoire. Ça, ça peut être de nature à rassurer l’opinion. Le grand problème, c’est la question que je posais tout à l’heure : Au- delà de cet affichage compréhensible de maitrise du territoire, n’y a-t-il pas un deuxième objectif qui serait d’affaiblir la rébellion? Ça, il me semble que oui. Certains ont d’ailleurs parlé de « coup de pied dans la fourmilière ». Il me semble évident que cette dispersion des combattants du Mfdc est un élément d’affaiblissement de la rébellion. Alors, que sont-ils devenus ? Que feront-ils après ? Je n’en sais rien. Mais, il est incontestable que ce résultat a été obtenu. Il y a donc deux résultats qui ont été obtenus : le premier, c’est l’occupation du territoire et le deuxième, c’est la disparition, provisoire, peut- être, des combattants du Mfdc. Voilà au niveau des conséquences, sans parler des conséquences au niveau des populations. Il semblerait qu’un certain nombre de populations proches des frontières, se sont réfugiées ailleurs, soit en Guinée Bissau, soit dans d’autres localités casamançaises.
Pour vous qui aviez écrit sur la crise casamançaise, quelle devrait-être la solution la mieux indiquée pour régler ce conflit qui a duré plus de 35 ans ?
Ecoutez, je suis chercheur, je ne suis pas là pour donner des leçons ou pour répondre aux questions, mais je suis là pour essayer de comprendre les positions des uns et des autres. Donc, je comprends parfaitement le souci qu’a l’Etat sénégalais d’assurer à la fois l’unité nationale et l’intégrité territoriale. Je comprends ce souci : il parait logique et légitime. Comme je comprends et j’essaie de comprendre le point de vue indépendantiste, qui est l’affirmation d’un point de vue politique. L’un des problèmes que j’ai soulevé depuis longtemps, c’est que ce point de vue indépendantiste, depuis le début du conflit en 1982, n’est pas reconnu. Il est combattu, réprimé. Alors que, dans mon sens, c’est un point de vue politique, quoiqu’on en pense, qu’on soit pour ou contre. Ce point de vue politique n’a pas la possibilité de s’exprimer librement. Donc, à partir de là, on peut considérer que la reconnaissance de ce point de vue politique, comme de la même manière que dans d’autres pays où des points de vue politiques d’autonomie sont reconnus, serait une des réponses au problème. Ou en tout cas, la première réponse. Reconnaitre qu’il existe un point de vue indépendantiste, qu’il soit minoritaire peu importe, mais qu’il existe un point de vue indépendantiste, un point de vue politique, de la même manière qu’en France où le point de vue nationaliste corse est reconnu- les indépendantistes corses peuvent se présenter aux élections – ou en Espagne - on connaît le problème catalan – ou en Belgique, en Italie, etc. Il y a de nombreux pays où il y des particularismes plus ou moins forts, des particularismes régionaux. Avec, il peut y avoir des partis politiques qui réclament l’autonomie, voire l’indépendance. Mais, à partir du moment où ils s’inscrivent dans un cadre politique, légal, ils sont reconnus et il n’y a pas de conflits armés.
L’une des difficultés est que, jusqu’à présent, le Mfdc a privilégié la lutte armée et n’a pas proposé de réponses politiques autres que l’indépendance. Il n’a pas proposé de compromis politique. Il n’a pas envisagé la possibilité de compromis. Le mot d’ordre reste le même depuis le début : c’est l’indépendance ou rien ! Et, en face, l’Etat sénégalais à l’inverse continue à défendre son point de vue, à savoir l’ouverture à tout dialogue à partir du moment où l’intégrité territoriale et l’unité nationale ne sont pas menacées. Entre ces deux positions apparemment irréductibles, il y a un vaste espace qui, malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, n’a pas été exploré. La question est la suivante, finalement : quelles seraient les possibilités d’un compromis, étant bien entendu que le mouvement indépendantiste n’est pas en position de force. Loin de là : il n’a jamais été aussi faible, et il n’est pas en position de force pour imposer quoi que ce soit. En même temps, il parait difficile d’envisager qu’une solution soit trouvée sans qu’il y ait un compromis, sans que l’Etat accepte certaines concessions pour permettre une sortie honorable à ce mouvement.