"IL Y A UN RACISME TENACE QUI FAIT QUE LES ÉTUDIANTS NOIRS ONT DU MAL À CHOISIR L'HISTOIRE"
Historienne « engagée », Olivette Otele, native du Cameroun, est devenue en octobre la première femme noire professeure d’histoire de Grande-Bretagne - ENTRETIEN
Olivette Otele est née au Cameroun. Elle a grandi à Paris, où elle a obtenu son doctorat à la Sorbonne. L’histoire de l’esclavage l’a profondément touchée, et lorsqu’elle a passé son master, elle a voulu faire de l’histoire « engagée ». Une approche à contre-courant de la notion d’impartialité du chercheur, qu’elle conteste. Depuis octobre, elle enseigne à l’Université de Bath Spa, au Royaume-Uni, devenant ainsi la première femme noire professeure d’histoire de Grande-Bretagne. Rencontre.
Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi la Sorbonne pour vos études ?
Olivette Otele : Parce que c’est là qu’était passé avant moi Cheikh Anta Diop [historien, anthropologue et homme politique sénégalais, connu pour ses thèses iconoclastes sur l’histoire africaine, ndlr]. J’ai commencé à m’intéresser à l’histoire quand j’avais 15 ou 16 ans. Quelqu’un m’a remis une copie de sa thèse, intitulée Nations nègres et cultures, et je me suis intéressée au parcours de cet homme à qui on a refusé son doctorat à la Sorbonne. On peut ne pas adhérer à ses thèses sur l’Afrique mais la lutte de cet homme m’a fascinée.
Par la suite, j’ai découvert que l’enseignante Anna Julia Cooper était aussi une activiste africaine-américaine et qu’elle-même avait obtenu son doctorat à la Sorbonne assez tardivement, vers l’âge de trente ans [en 1924, ndlr].
Quelles ont été les réactions suite à votre nomination en tant que première femme noire professeure d’histoire au Royaume-Uni ?
Ma nomination a suscité un grand étonnement car les gens ne savaient pas qu’en histoire, il n’y a pas ou peu de professeurs noirs. Il faut dire que c’est une discipline très conservatrice, voire même élitiste. Même s’il est aberrant qu’en 2018, nous ne soyons que deux professeurs d’histoire noirs (l’autre professeur est un homme), je trouve que c’est quand même un bon début car cela ouvre de nouvelles perspectives pour de nombreuses personnes, comme moi, qui travaillent vraiment dur.
Elles ont encore du mal à réussir car les processus de promotion sont flous, ils ne sont pas forcément basés sur leurs travaux, leurs écrits, c’est donc plus facile de discriminer et c’est difficile à prouver. D’ailleurs, un rapport sur la race, établi pour la première fois par la Société royale d’histoire, est sorti il y a quelques jours. Il met noir sur blanc ce que l’on savait tous, c’est-à-dire qu’il y a un racisme tenace qui fait que les étudiants noirs ont du mal à choisir l’histoire comme matière, pensant que ça ne les mènera à rien. J’espère que tout cela va faire bouger les choses.
Vous êtes spécialiste de la diaspora africaine aux États-Unis, quelles différences constatez-vous par rapport à la diaspora africaine en Europe, et plus précisément en Grande-Bretagne et en France ?
L’Europe reste le continent rêvé. J’ai rencontré de nombreux Africains basés aux États-Unis qui sont nostalgiques de ne pas avoir pu faire leur place en Europe. Beaucoup ont trouvé de très bons postes aux États-Unis, en tous cas parmi les universitaires, chez les littéraires comme Alain Mabanckou, mais il y en a quand même pas mal qui n’ont pas pu percer dans le monde universitaire français ou britannique, parce qu’ils sont très compliqués.
À la différence des États-Unis où il y a une note d’espoir, et où on peut accéder à des chaires de recherche, en Europe les choses sont beaucoup plus figées. Il me semble que c’est le Canada qui est aujourd’hui le nouvel Eldorado pour les intellectuels africains.