LE CALVAIRE DES DEMANDEURS D’ASILE AU SÉNÉGAL
En cette journée mondiale qui leur est dédiée, des réfugiés au Sénégal interpellent les autorités sur la situation d’extrême précarité dans laquelle ils vivent depuis plusieurs années.
Un véritable calvaire. C’est ce que vivent les réfugiés au Sénégal souvent traités comme des sous-humains dépourvus des droits les plus élémentaires. Dans un mémorandum adressé à la ministre de l’Intégration africaine et parvenu à ‘’EnQuête’’, ils dénoncent : ‘’La plupart des Africains soumis à des conditions de vie inhumaines, juridiquement parlant, finissent par tenter d’aller chercher leurs droits de posséder un papier légal (statut d’existence légal) hors de l’Afrique, en particulier en Europe ou en Amérique du Nord. Parfois dans des voyages à haut risque à travers les océans…’’
En terre africaine, les perspectives pour les réfugiés sont de plus en plus sombres. Entre le désir de se ‘’suicider’’ et la volonté de braver les océans, c’est souvent le martyre pour ces catégories oubliées de la société. ‘’Plusieurs personnes désespérées pensent d’abord au suicide et c’est quand elles abandonnent cette option qu’elles choisissent la deuxième qui est l’aventure dans l’océan, elle-même équivalente au suicide et sans garantie d’un avenir meilleur. Ce phénomène et tant d’autres pourraient être significativement atténués si les dossiers de demande de protection étaient raisonnablement traités dans les pays africains, le Sénégal dans le cas d’espèce.’’
En fait, la principale difficulté, c’est que certains demandeurs d’asile sont refusés sans aucune sorte de motivation de la part de la Commission nationale d’éligibilité (CNE). ‘’Il faut noter que ces derniers sont souvent de vrais réfugiés ayant des raisons fondées de demander protection hors de leurs pays d’origine. Certains fuient à cause des situations contraignantes comme les guerres civiles et les persécutions (exemples : Côte d’Ivoire, République centrafricaine, Soudan, etc.), d’autres fuient à cause des risques réels de persécution surtout dans des pays où règnent des dictatures militaro-totalitaires caractérisées par une brutalité et un mépris de la loi hors pair (exemple : le Rwanda sous son régime actuel, l’Érythrée sous son régime actuel, etc.)’’.
Entre désir de suicide et volonté de braver les océans pour fuir la misère
Rejetés dans certains États comme le Sénégal, les réfugiés se tournent naturellement vers le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Souvent, cet organisme fait la sourde oreille et d’un manque de considération déconcertant pour les plaignants. ‘’Quand ces réfugiés sont rejetés par la CNE (Commission nationale d’éligibilité), sans savoir pour quel motif, ils se retournent naturellement vers le HCR pour tenter d’obtenir le statut de réfugié sous son mandat et éventuellement un pays de résidence légale. Mais au niveau du HCR, ils deviennent, dans la plupart des cas, malmenés, négligés, intimidés, déroutés… Pendant ce temps, des années et des années dans l’impasse totale, ils vivent dans l’illégalité et ne peuvent pas exercer leur profession ou légalement mener une activité génératrice de revenus pour subvenir aux besoins de leurs familles’’.
Plus grave encore, fulminent-ils dans le mémorandum, ‘’leurs enfants sont privés du droit à l’éducation scolaire, un droit reconnu dans toutes les conventions et tous les protocoles relatifs aux Droits de l’homme en général et aux droits de l’enfant en particulier. Tous leurs droits fondamentaux sont violés et ils sont abandonnés dans la rue sans assistance et sans protection aucune, alors qu’ils ne peuvent même pas retourner dans leurs pays d’origine, par crainte de persécution ou d’autres raisons fondées, des raisons juridiquement ou humanitairement valables’’.
Au Sénégal, ils sont nombreux les réfugiés en situation presque d’apatridie. Ayant fui leurs pays d’origine suite à des guerres ou persécutions, ils ne peuvent y retourner de peur de représailles. Or, au Sénégal, ils n’ont aucune forme d’existence légale. Leurs enfants nés dans le pays sont aussi parfois privés de papiers. ‘’Force est de constater que parmi ces réfugiés africains transformés en apatrides au Sénégal, avec tous leurs enfants, pour ceux qui en ont, se trouvent des universitaires, techniciens, ouvriers de multiples spécialités, anciens acteurs du secteur commercial formel ou informel…, tous capables de contribuer à l’économie du pays, si seulement ils étaient secourus de cet enfer administratif et juridique de manque de pièce d’identité et de résidence légale, qui supprime leur droit à la vie’’, clament-ils désemparés.
Des enfants privés de papiers, d’éducation, de tout bien-être
Selon eux, ‘’aucun Africain ne devrait être transformé en sans-papiers ou en apatride obligatoire sur le continent africain et aucun pays ne devrait transformer ses ressortissants en apatrides’’. Malheureusement, insistent-ils, ‘’certains pays africains le font à leurs citoyens qui s’exilent pour chercher la tranquillité et le refuge ailleurs dans des pays où la dignité humaine est respectée comme au Sénégal, par exemple. Le Sénégal, pays de grande démocratie et phare de référence pour les autres pays africains, pourrait même jouer un rôle central dans l’éradication de ce phénomène sur tout le continent, surtout que les Sénégalais vivent dans tous les pays africains et y sont en général bien traités’’.
Les signataires sont nombreux et de statuts très variés. Certains ont un jour bénéficié du statut de réfugié reconnu par le premier pays et par le HCR, et ont perdu ce statut à la suite parfois de tortures qui les ont poussés à quitter leur premier pays d’accueil ; d’autres ont perdu leur statut obtenu dans le premier d’accueil, à la suite de catastrophes naturelles ou sanitaires qui les ont poussés vers un deuxième mouvement (par exemple Ebola)… ‘’Une fois au Sénégal, au lieu d’être reçues et accompagnées par le HCR, ces personnes sont impitoyablement forcées de recommencer le parcours infernal de demande d’asile et après des années sans réponse, elles reçoivent un rejet non motivé de la part de la CNE et le HCR ne fait rien pour les secourir, alors qu’il les a lui-même autorisées (par écrit) à quitter la zone de danger’’.
Enfin, parmi les réfugiés en manque de statut, il y en a qui ont fui leurs pays pour venir directement au Sénégal, mais dont les demandes d’asile trainent des années avant d’être rejetées sans motif.
Les réfugiés se désolent également que les rejets ne sont pas motivés, mais aussi du fait que la même commission qui a prononcé le rejet sans motif serait également chargée de statuer sur le recours. ‘’Quand le rejet n’est pas motivé, cela complique même le processus du recours, car on ne sait même pas sur quelles bases le rejet a été décidé. Et quand le comité qui rejette sans motif en première instance est le même qui instruit le dossier du recours en deuxième instance, le résultat ne peut qu’être et est toujours le même’’, précisent-ils dans le mémorandum, non sans se féliciter qu’à l’issue d’un atelier organisé par la Caritas, la CNE avait assuré que des corrections ont été apportées à cette problématique. Seulement, cela ne bénéficie pas à ceux qui ont déjà fait l’objet d’un rejet sans motif.
L’ONG Caritas, seule refuge face à la démission du HCR et de l’État
Délaissés par les services de l’État et le HCR, les réfugiés non reconnus vivent dans l’extrême précarité. Jusque-là, seule la Caritas à qui ils rendent vivement hommage semble se soucier de leur sort, malgré les nombreuses relations dans la presse locale. ‘’N'eût été les interventions multiples d’urgence, en plus du soutien moral et matériel assuré par la Caritas, précisément le Point d’accueil pour réfugiés et immigrants – Pari de la Caritas de Dakar, aucun d’entre nous ne serait encore en vie seul ou avec sa famille’’, lit-on dans le document.
Au-delà de l’assistance sur le plan du logement et de la restauration, l’organisation offre également aux réfugiés des formations professionnelles (infographie, permis de conduire, plomberie, maçonnerie, cuisine, pâtisserie…). ‘’Malheureusement, à la fin, les bénéficiaires ne peuvent pas exercer les métiers appris, car ils n’ont pas de documents d’état civil et de résidence légale. Dans d’autres cas (permis de conduire), même l’accès à la formation est interdit aux personnes qui n’ont pas de documents légaux valides’’, fustigent les réfugiés qui interpellent directement la ministre chargée de l’Intégration africaine Yacine Fall et la nouvelle présidente du Comité sénégalais des Droits de l’homme Amsatou Sow Sidibé.