LA BOISSON SPIRITUELLE DES SÉNÉGALAIS
Introduite dans le pays par le fondateur du mouridisme, le café Touba est devenu au fil des années, l’un des traits les plus marquants des habitudes alimentaires au Sénégal
Hormis le ‘’ceebu jen’’, riz au poisson érigé au rang de plat national, la consommation du café Touba est l’un des traits les plus marquants des habitudes alimentaires des Sénégalais. Ingurgitée en grande quantité presque partout dans le pays, cette boisson serait introduite au Sénégal par le fondateur du mouridisme (l’une des plus grandes confréries soufies du pays), Cheikh Ahmadou Bamba, qui l’aurait ramenée de son retour d’exil au Gabon en 1902.
Durant sa déportation par les colons français, le Cheikh constata que beaucoup de ces derniers buvaient du café local pour rester éveillés afin de beaucoup travailler. Il en déduisit alors qu’il était bon que les musulmans, surtout ses disciples, devaient dans leur quête de Dieu par le travail et la prière en faire usage eux-aussi.
Suffisant pour que cette boisson préparée à base du café arabica aromatisé, soit vue par les mourides comme un présent de leur vénéré guide. Aujourd’hui, le café Touba a franchi les frontières de la cité religieuse de Touba (200 km de Dakar) pour essaimer partout jusqu’à ne plus être le seul apanage des disciples du Cheikh.
A Dakar comme dans beaucoup de villes du pays, le café Touba chauffe agréablement le palais des Sénégalais, à leur réveil, durant la journée et le soir, en rentrant au bercail après de longues heures de travail.
Ainsi en est-il de Mamadou Gningue qui ne connait rien de plus tonifiant que le café Touba. « J’en prends au moins 4 dans la journée », confesse ce vendeur de tissus au marché Grand-Yoff (quartier de Dakar), en montrant une tasse à café jetable vide qu’il s’apprête à lancer dans une poubelle.
Fervent mouride, Serigne Saliou Wane, propriétaire du magasin ‘’Daaray Serigne Saliou Mbacké’’ au marché Colobane (périphérie du centre-ville de Dakar) ne voit que du bien dans le café Touba dont il a fait son principal produit de vente. «Ce café fait partie des +bagaas+ (legs) de Serigne Touba », dit-il. A l’étal de son négoce, on voit des sachets de café en poudre et des bouteilles de thermos contenant la chaude boisson.
Vêtu d’un costume et assis au fond de sa cantine tel un chef d’entreprise dans son bureau, Serigne Saliou veille sur le échanges entre ses employés et les clients qui entrent et sortent, tout en prêtant une oreille aux ‘’Khassaides’’ (panégyriques du Cheikh à l’endroit d’Allah et du Prophète, PSL) distillés par une chaîne à musique.
« Les importations de café ont été multipliées par 9 dans un laps de temps très important. Et le café Touba a accentué le phénomène. A Dakar et un peu partout, vous voyez des vendeurs. On n’imagine pas une rue sans vendeur de café Touba », soutient le journaliste Elimane Ndao, un ancien étudiant du CESTI auteur d’un Mémoire intitulé « Le Café Touba : la boisson chaude de tous les excès ».
Bien qu’il provient des pays de la sous-région, Côte d’Ivoire et Bénin, notamment, le café Touba n’a pas moins été « apprivoisé » par les Sénégalais qui, dans le processus de fabrication de la boisson via le moulage et le grillage des grains, y ajoutent du poivre de selim (‘’djar’’ en wolof) et, parfois, des clous de girofle (‘’xorom polé’’ en wolof). Ce qui lui donne son « goût exquis », selon ses inconditionnels.
Cependant, les vendeurs de café Touba n’apportent pas tous le soin nécessaire à sa préparation. D’où l’amertume de certains consommateurs prompts à se tourner vers le café industriel. Selon Serigne Saliou Wane certifiant que son produit est préparé suivant les normes requises, le business de vendeurs comme lui est faussé par des « personnes, motivées par l’appât du gain, qui préparent le café Touba avec des grains de pain de singe, du riz, du mil, … Là quand vous le buvez, vous sentez que ce n’est pas du café, car il y a un arrière-goût »,
Loin de ces états d’âme, Abdoulahat Diop, un vendeur ambulant qui fait chaque le jour le tour des quartiers avec sa marmite de café chauffée continuellement par un fourneau dont l’anse est tenue à bout de bras, confie qu’avec 500 grammes de café Touba achetés à 1200 FCFA, il peut se retrouver avec un seau de 20 litres.
Auparavant, levé à 6h du matin, il fait bouillir une grande quantité d’eau sur laquelle il verse ensuite une poudre de café mélangée à du ‘’djar’’. Après avoir filtré et sucré le liquide noir obtenu, il s’en va avec pour sillonner les rues de Grand-Yoff à la rencontre des clients qui, à l’en croire, affluent et lui permettent de faire de bonnes recettes.
« Sur le plan économique, c’est des milliers de jeunes qui peuvent faire des chiffres d’affaires autour de 10 000 FCFA par jour. Ce n’est peut-être pas fameux, mais c’est une panacée pour beaucoup de jeunes restés sans emploi », estime Elimane Ndao, dont l’élément de 26 minutes sur le café Touba lui a valu le titre de major de sa promotion en section télévision.
En dehors des petits vendeurs, il y a des grossistes qui produisent de grandes quantités de café Touba en employant plusieurs personnes, fait remarquer Elimane Ndao.
Parmi ces ‘’capitaines d’industrie’’, il y a Serigne Saliou Wane. Gérant de PME depuis 2011, il emploie quatre personnes et commercialise, à l’en croire, la « meilleure variété de café Touba nommée +Santos+ ». Il vend le kilogramme à 3000FCFA.
Ses frais mensuels sont estimés à 750 000 FCFA (eau, électricité, employés, …), non compris le loyer estimé à 150 000 FCFA. Malgré toutes ces charges, il s’en sort bien grâce à la « baraka », glisse-t-il dans un sourire.
« Beaucoup de personnes garent leurs voitures pour venir siroter du café. Je reçois aussi des commandes de l’étranger et d’ici même pour certaines cérémonies », renseigne le disciple mouride qui reconnait beaucoup de ‘’vertus’’ à la célèbre boisson.
« Les vertus ésotériques du café Touba sont même plus nombreuses. Comme le filtrage est accompagné de la récitation des cinq premiers versets de la Sourate La Vache du Coran, le buveur de ce café est pardonné de tous ses pêchés », soutient Saliou qui ajoute que grâce au ‘’djar’’ il améliore la vue et gomme la fatigue.
Même si les nutritionnistes disent que « ce café contient beaucoup d’acides qui sont la base de toutes les maladies », M. Ndao trouve qu’il n’y a « pas encore d’études sanitaires sur le plan national ».
Il confirme ainsi le président du comité scientifique Ignite "Café-santé, un univers à découvrir", Professeur Saïd Nourou Diop, qui, 7 ans auparavant, avait recommandé des études à long terme sur le café Touba pour déterminer sa comestibilité au vu des substances aromatiques auxquelles on lui associe.
« Si on parle de la caféine contenue là-dedans, il n’y a pas de problème, mais les substances qui y sont ajoutées, notamment le djar et le xorom polé, sont utilisées dans la pharmacopée sénégalaise pour des effets stimulants sur certaines affections de la personne comme la toux, les maux de gorge, etc. », expliquait Pr Diop, par ailleurs directeur du centre de diabète Marc Sankalé de l'hôpital Abass Ndao de Dakar.
Malgré les spéculations, le café Touba continue d’occuper une place de choix dans l’alimentation des Sénégalais… Surtout lors des cérémonies religieuses drainant des foules immenses, à l’image du Magal de Touba, un évènement commémorant le départ en exil au Gabon de Cheikh Ahmadou Bamba.