«LA CRIMINALITE TRANSNATIONALE ORGANISEE A POUSSE LE GOUVERNEMENT A REORIENTER SA STRATEGIE DE SECURITE PUBLIQUE»
Entretien avec… Joseph Denis, coordonnateur du Bureau des affaires internationales en matière de stupéfiants à l’ambassade des Usa
Joseph Denis, coordonnateur du Bureau des affaires internationales en matière de stupéfiants et d’application de la loi (Inl) à l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal, annonce dans cet entretien, réalisé par téléphone, que l’Etat du Sénégal a réorienté sa stratégie de sécurité publique en renforçant davantage sa collaboration avec les populations, les organisations de la Société civile et avec les organisations communautaires de base. M. Denis dresse aussi les grandes lignes d’une coopération dont les retombées seront déclinées lors d’une conférence nationale sur la sécurité collaborative qui se tient aujourd’hui et demain à Dakar.
Pourquoi la tenue d’une conférence nationale sur la sécurité collaborative au Sénégal ?
Inl est une structure d’assistance technique du Département d’Etat des Etats-Unis, qui exécute et développe des programmes d’assistance pour promouvoir la réforme du secteur de la sécurité civile et de la justice pénale. Donc, les programmes d’Inl améliorent l’accès à la justice et promeuvent la stabilité et la réforme démocratique, professionnalisent les Forces de l’ordre, appuient les acteurs locaux du secteur de la justice et forment les systèmes pénitentiaires. Au Sénégal, nous travaillons à renforcer la stabilité et la résilience sur le long terme du Sénégal face à la criminalité transnationale organisée en améliorant la capacité du gouvernement sénégalais à fournir les services de justice et de sécurité efficaces et efficients. Compte tenu de la mutation socio-politique dans la zone, la criminalité transnationale organisée, non seulement au niveau international, mais aussi au niveau local, dans la région, a poussé le gouvernement sénégalais, dans sa stratégie sectorielle de politique publique en matière de sécurité, à penser à réorienter sa stratégie de sécurité publique en renforçant davantage sa collaboration avec les populations, les organisations de la Société civile et avec les organisations communautaires de base ; d’où la notion de sécurité collaborative. Donc, la sécurité collaborative est une approche d’application collaborative de la loi et de la gouvernance sécuritaire pour une meilleure collaboration et une prise en compte plus appropriée des prises en compte des citoyens tout en s’appuyant sur une stratégie de sécurité basée sur la transparence, la responsabilité, l’efficacité, l’anticipation et la prévention. Donc, cette conférence s’inscrit dans le cadre stratégique du gouvernement sénégalais visant à installer un climat d’assurance, de sécurité, installer la paix sociale et renforcer la cohésion sociale qui est au cœur des conditions préalables à l’émergence socio-économique du pays.
Que pouvez-vous dire sur la situation sécuritaire au Sénégal ?
La sécurité publique est placée au cœur de la stratégie de développement du Sénégal qu’est le Plan Sénégal émergent (Pse). Donc, les autorités ont compris qu’assurer un climat stable et la paix sociale comme conditions est un préalable pour l’émergence socio-économique. Dans ce contexte, le gouvernement a mis en place cette nouvelle stratégie pour livrer des services de sécurité, qui sont centrés sur les besoins de la population ; d’où ce qu’ils appellent la gouvernance sécuritaire de proximité, à travers un maillage national et aussi à travers un changement de paradigme, qui demande une approche préventive et de la sécurité. Donc, dans ce contexte, et avec l’aide de plusieurs partenaires incluant l’ambassade des Etats-Unis, nous avons appuyé le gouvernement avec trois programmes sur la sécurité collaborative. Et dans ce contexte, ils ont développé une doctrine de police de proximité ; ils ont mis en place l’Asp (Agence de sécurité de proximité). Ils ont établi des mécanismes au niveau départemental et des mécanismes collaboratifs pour rapprocher la population des Forces de l’ordre, bâtir la confiance et renforcer la cohésion sociale au niveau des communautés. Il y a tout un ensemble d’initiatives mises en place et tout un ensemble de résultats qui ont été atteints durant ces 5 dernières années et que vous aurez l’opportunité de découvrir demain (Ndlr : aujourd’- hui) à la conférence. Le gouvernement a mis, tout d’abord, en place le concept de quartier sûr et ils ont mis en place des plateformes collaboratives, par exemple on a eu des projets prioritaires, des projets dans les 5 communes du département de Guédiawaye où ils ont mis en place des comités consultatifs communautaires qui incluent toutes les forces vives de la population : les Ocb, les chefs religieux, les Badienu goxx, les Forces de défense et de sécurité, les maires, les préfets…Tout ce beau monde s’assoit ensemble autour de la table pour faire un diagnostic local de sécurité, la cartographie locale des problèmes de sécurité et, ensemble, ils ont développé un programme local de sécurité avec lequel ils décident, de façon collaborative, de comment résoudre ces problèmes de sécurité. Compte tenu des préoccupations et défis sécuritaires, le gouvernement est passé à un réajustement stratégique. Il reconnaît que la sécurité et la lutte contre l’insécurité demandent une approche inclusive.
Est-ce que vous sentez un engagement de la part des populations par rapport à ce que vous leur proposez ?
Vous aurez l’occasion de le découvrir pendant la conférence où les membres de comités consultatifs vont présenter les travaux qui ont été réalisés au niveau de leurs différentes communes. Au début de l’un de nos projets, il y a une enquête qui a été faite et, donc, le sentiment de satisfaction du travail des forces de sécurité était, avant le projet, à environ 42% ; et après le projet, ce sentiment de satisfaction était de 98%. Les rapports avec les Forces de défense et de sécurité étaient de 35% avant le début du projet ; et à la conclusion du projet, c’était à 98%. Et la coopération de la part des populations de cette communauté était avant le projet à 38%. 100% de ces gens-là contactés ont exprimé leur satisfaction à la fin du projet. C’est pour vous dire qu’il y a une dynamique qui s’est développée au niveau de ces différentes communautés. La police de proximité est un objectif stratégique, pour la Police nationale, dans son plan national de développement. Le ministère de l’Intérieur, dans sa stratégie sectorielle de sécurité publique, la gouvernance sécuritaire de proximité est maintenant stratégique. Et ça s’est traduit par la mise en place des communautés de brigade au niveau de la gendarmerie et au niveau de la police avec la police de proximité. Vous avez, peut-être, vu cette semaine que la Police nationale a inauguré un commissariat au niveau de Mbao qu’ils appellent commissariat de police de proximité. C’est un commissariat moderne où il est prévu des espaces pour que la police soit plus à l’écoute des citoyens, de la communauté. Il y a aussi des espaces pour recevoir, en toute discrétion, des personnes qui ont été victimes de crimes ou de violences sexuelles, qui demandent une sorte de confidentialité. Ce rapprochement entre les différentes strates de la société au niveau de la communauté est une dynamique qui existe dans plusieurs communes et départements. Il apparaît aussi qu’en dehors de ces communes, communautés où ces dynamiques sont en place, les populations, de manière générale, ne soient pas informées à propos de leurs rôles et responsabilités dans la lutte contre l’insécurité.
Quel est le coût de ce programme et quelle est sa durée ?
Dans notre portefeuille de police de proximité, nous avons trois programmes complémentaires. Un premier programme qui s’appelle Dialogue sur la justice et la sécurité. C’est un programme mis en œuvre par l’Institut américain pour la paix. C’est un programme qui a porté sur les 5 dernières années et d’un montant de 1,2 million de dollars. Il y a un autre programme qui s’appelle stratégie de police de proximité, qui a travaillé surtout avec la police, la gendarmerie et l’Asp et visant à mettre en place des réformes institutionnelles que nécessite l’approche police de proximité. Ce programme qui porte sur les 5 dernières années est d’un montant de 1,4 million de dollars. On avait un autre programme, qui s’appelait Initiative pour la sécurité routière dans le Sahel. Il était exécuté dans les trois pays du Sahel. Donc, pour la partie sénégalaise, le montant a été de 2 millions de dollars. Ce programme a été mis en œuvre par l’Ong locale Partner’s West Africa, qui a travaillé sur des axes routiers tels que Dakar-Matam, Dakar-Ziguinchor, Dakar-Tambacounda et où le processus a été partout le même : mettre toutes les parties prenantes ensemble et diagnostiquer les causes principales des accidents de la circulation sur ces différentes routes. Nous savons que les accidents de la circulation constituent un lourd fardeau pour le Trésor public. Beaucoup de morts sont notés sur ces axeslà. Et la plupart de ces accidents sont liés au comportement humain. Donc, la collaboration et la coopération entre les populations et les organisations de la Société civile ont influé sur ces comportements pour réduire, un tant soit peu, ces accidents de la circulation. On voit aussi que les groupes criminels utilisent aussi les routes pour commettre leurs méfaits. Voilà pourquoi ce programme est approché sous l’angle de la criminalité transnationale organisée.