LA DÉFAITE DES CENTRALES SYNDICALES
La participation en berne des travailleurs aux dernières élections professionnelles trahit le malaise qui règne dans le monde syndical sénégalais. Tour d'horizon des facteurs explicatifs de cette désaffection
Il n’y a pas eu un grand rush hier dans les bureaux de vote à l’occasion des élections de représentativité syndicale dans le secteur du travail. Cette élection a été marquée par une grande désaffection des travailleurs syndiqués qui n’ont pas effectué le déplacement en masse. Si les grandes tendances pourraient être connues ce mercredi au niveau des sièges des centrales en compétition, les résultats officiels ne devraient être publiés par le ministère du Travail qu’aux alentours du 05 janvier prochain.
On n’a pas encore le taux de participation des travailleurs aux élections de représentativité syndicale qui se sont déroulées hier sur l’étendue du territoire national. Mais il pourrait être plus faible qu’au scrutin de 2011 où le taux tournait autour de 35, 26% pour 164.660 inscrits ou à aux élections de 2017 qui avaient enregistré un taux de participation de 28,5% pour 253124 inscrits.
Selon plusieurs sources contactées par nos soins, il n’y a pas eu de rush au niveau des bureaux de vote éparpillés à travers le pays. Douze centrales étaient en lice pour gagner les suffrages des 316 mille électeurs syndiqués pour choisir les centrales devant les représenter à la table des négociations avec le Gouvernement.
Cette désaffection ou ce désintérêt des travailleurs pour ces élections s’explique, selon un spécialiste du monde du travail, par le fait qu’ils ont décidé de sanctionner les centrales syndicales. « La réalité du monde du travail est que de plus en plus les travailleurs ne se reconnaissent plus dans les centrales qui ne prennent plus en charge leurs préoccupations. Les centrales ne sont plus en ordre de bataille pour défendre les travailleurs. Elles sont en déclin. Les travailleurs se retrouvent plus dans leurs syndicats de base qui déclenchent souvent des grèves et prennent en charge leurs doléances exprimées à travers des plateformes revendicatives.
Cette situation de défiance découle du fait que les centrales syndicales ont signé un Pacte de stabilité sociale avec le Gouvernement en 2014-2015 dans le sillage de la 1ère conférence sur le dialogue social pour observer une entente qui les empêche de déposer des préavis de grève. S’agissant des élections d’aujourd’hui (Ndlr, hier) le Saemss d’El Hadji Malick Youm a soutenu la Cnts-Fc, le Cusemss a soutenu l’Unsas mais, malgré les consignes de ces syndicats, ce n’est pas évident que leurs membres aient voté pour les centrales » souligne notre source.
Aux origines d’une désaffection Selon toujours notre interlocuteur, le respect de ce Pacte national de stabilité sociale et d’émergence d’une durée initiale de trois ans et reconduit tacitement depuis lors a poussé l’Etat à octroyer aux syndicats les plus représentatifs, au sortir du scrutin de 2014, une subvention de 600 millions de frs. Ce même si, depuis lors, l’Etat ne leur alloue qu’un montant de 300 millions par année.
Certes, avec ce Pacte, les centrales ont gagné la bataille de la hausse du SMIG, de la pension minimale égale à 98% du SMIG sans compter au moins deux augmentations généralisées des salaires, la généralisation de l’âge de la retraite à 60 ans, plusieurs revalorisations des pensions servies par l’IPRES au profit des travailleurs du secteur privé, la revalorisation des pensions servies par le Fonds national de retraite au profit des fonctionnaires etc. Autant d’acquis obtenus par les centrales syndicales en contrepartie de la signature du Pacte national de stabilité sociale et d’émergence avec le Gouvernement. Cela dit, la désaffection des centrales par les travailleurs s’explique aussi par le fait que les derniers combats du monde du travail ont été réussis par les syndicats de base.
Les victoires obtenues à l’issue des grandes batailles de la santé, de l’éducation, de l’enseignement supérieur, du personnel administratif des universités, du syndicat des médecins, du Sytjust et les collectivités territoriales ont été arrachées par les syndicats de base en dehors des centrales. « Toujours est-il que, pour les travailleurs, les dirigeants des centrales ne sont là que pour gérer d’une part entre eux cette manne financière que leur octroie l’Etat, mais aussi se partager des strapontins au niveau des organismes comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE), l’IPRES, la Caisse de Sécurité sociale (CSS), le Haut Conseil du Dialogue social, entre autres. Compte tenu de cela, à quoi bon se déplacer pour aller voter pour ces mêmes dirigeants qui ne défendent plus les intérêts des travailleurs mais ne sont là que pour leur propre fromage » explique longuement notre spécialiste du monde du travail.
La deuxième raison avancée par notre interlocuteur pour expliquer la désaffection des travailleurs lors du vote d’hier est liée au système organisationnel du scrutin. Les listes des inscrits, c’est-à-dire des votants, sont envoyées directement à la Commission logée au niveau du ministère du Travail par l’employeur. Souvent c’est en totale ignorance pour les travailleurs qui ne voient pas alors l’utilité de sortir pour aller voter. Enfin, le jugement de l’affaire Sonko ce mardi 12 décembre au Tribunal de Dakar a poussé beaucoup de travailleurs, par crainte de troubles, à rester à la maison.
Les premières tendances du vote sont attendues au plus tard demain jeudi. Ce sont des résultats que les centrales qui ont compilé les procès-verbaux du vote pourraient donner. Mais le processus pourrait aller jusqu’en janvier puisqu’il faut d’abord procéder au décompte des voix au niveau des commissions départementales présidées par les préfets, puis compiler les mêmes résultats dans les commissions régionales dirigées par les gouverneurs. Enfin, ces résultats régionaux sont envoyés au niveau du ministère du Travail qui se chargera de publier les résultats définitifs.