LA FIN D’UNE HISTOIRE
Décédé à la suite d’une longue maladie, Babacar Touré, 69 ans, est une figure médiatique respectée partout en Afrique
Décédé à la suite d’une longue maladie, Babacar Touré, 69 ans, est une figure médiatique respectée partout en Afrique. Fondateur du groupe Sud communication, il laisse derrière lui une réputation et une aura qui font l’unanimité.
Le fondateur du groupe Sud communication, l’un des plus illustres journalistes de ce pays, s’est éteint hier soir. Il fit un architecte, un référent de qualité de la presse. Babacar Touré, plus connu sous la signature «BT», c’est un fabuleux destin qui vient de s’interrompre. A 69 ans.
Fondateur du groupe Sud communication, il est, au même titre que Sidy Lamine Niass, un acteur incroyable du développement de la presse privée. Mamadou Koumé, son camarade de promotion au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, témoigne : «C’est une douloureuse nouvelle. Une grande perte. C’était un ‘’promotionnaire’’ (7ème). C’est au Cesti que nous nous sommes connus en 1976 et restés des amis. Mbaye, comme je l’appelais, était un homme courageux, sincère et généreux. Un seigneur s’en est allé.» Jouissant d’une exceptionnelle réputation, BT a traversé et analysé toutes les crises de son temps. Enseveli sous les honneurs, la reconnaissance de ses pairs, M. Touré a traversé les époques en côtoyant les plus grands, murmurant à l’oreille des Présidents. Et Macky Sall avait décidé de couronner la vie de cet homme, témoin de notre histoire politique, en le nommant à la tête du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra).
A travers ce geste, le Président Sall corrigeait une injustice : C’était la première fois qu’un homme issu du sérail était placé à la tête de l’instance de régulation, dont les décisions furent moins contestées, car elle était dirigée par un modèle de rectitude, d’ouverture, de rigueur professionnelle et morale. «Jamais durant son mandat il n’a pu être voué aux gémonies pour ses prises de position. Il a su conseiller, il a su aider à éviter les turpitudes et il a su faire preuve de résistance, chaque fois qu’il était en face de velléités de dérives anti-démocratiques. Il a su faire revenir, avec délicatesse, sur les bonnes pratiques journalistiques, tous ceux et celles qui prenaient un peu trop de liberté avec les principes fondamentaux de la profession. Il s’est bâti une crédibilité durant plus de trente-cinq années comme journaliste et comme patron de médias. Il ne courait après aucun avantage, privilège ou honneur particulier», témoignait Madiambal Diagne, administrateur général du groupe Avenir communication, qui n’a jamais caché son affection pour cet homme.
Après cette parenthèse, le natif de Fatick avait décidé de reprendre une existence normale. Par contre, sa vocation, qui est restée toujours intacte, l’a distrait dernièrement avec une série d’éditos publiée par Sud Quotidien dont le dernier remonte au 14 juillet. Intitulé «L’arc de feu sous régional», il écrivait : «Notre pays, si on n’y prend garde, pourrait subir les effets telluriques de ce déferlement de violence contagieuse qui se propage dans l’arc de feu ravageur de notre voisinage immédiat. En effet, la guerre de libération de la Guinée-Bissau, les conflits armés du Liberia, de la Côte d’Ivoire, du Nord Mali et quarante ans de guérilla en Casamance sur le flanc sud de notre pays, ont favorisé un important trafic et une circulation massive d’armes de guerre dans la sous-région. Aux soldats perdus de ces guerres de pauvres qui se sont dispersés dans notre espace soudano-sahélien, se sont ajoutés des rescapés de l’internationale terroriste, chassés d’Algérie et de Libye, repliés dans notre aire géopolitique avec armes et idéologie, pratiquant assassinats, vols, agressions, enlèvements contre rançons et protection, détruisant au nom de Dieu, adeptes de la contrebande, du trafic de drogue, d’organes et d’êtres humains. Cependant, la violence de masse la plus horrible qu’il nous a été donné de vivre en ce 20ème siècle finissant fut la véritable boucherie subie par des Sénégalais et des Mauritaniens en avril 1989.» Il ajoutait : «Certains médias mauritaniens, sénégalais, et internationaux dont Radio France internationale (Rfi) apportèrent au conflit une amplification dramatique, contribuant à surchauffer les esprits et à titiller les bas instincts de groupes manipulés. Le chauvinisme des uns, le nationalisme étroit des autres, exacerbés par l’opportunisme politique et le populisme de certains ténors ayant cru leur moment venu de prendre le pouvoir, provoquèrent une situation d’une violence inouïe. Dans les deux pays, de paisibles citoyens furent égorgés, éventrés, démembrés ou émasculés par des hordes en furie vengeresse, assoiffées de sang. Des deux côtés, aucune force de l’ordre ne s’est manifestée, ni n’a reçu l’ordre d’empêcher les tueries et de protéger les personnes en danger et leurs biens pillés ou confisqués.» Il a fait ses adieux à ses lecteurs avec un style unique, car Babacar Touré c’est aussi l’élégance d’une plume, l’écriture précise, précieuse et profonde.
Précurseur
Précurseur dans le milieu de la presse, Babacar Touré est à la fois un journaliste et un homme d’affaires né en 1951 à Fatick. Diplômé en sociologie et sciences politiques, en journalisme et communication, et titulaire d’un Certificat de maîtrise d’anglais, il complète sa formation au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti), au sein de la promotion 1979. Ses premières expériences professionnelles auront lieu au sein du quotidien gouvernement Le Soleil. Ensuite, cap sur les Etats-Unis, la France et le Canada.
En 1982, il lance la revue Sud Hebdo qui donnera naissance par la suite à Sud Quotidien en 1986. Avec quelques anciens collègues comme Abdoulaye Ndiaga Sylla, Ibrahima Fall et Sidy Gaye, il écrit les lettres de noblesse de la presse. BT est l’explication du succès et de la longévité de Sud dont la singularité prenait sa source dans l’histoire même de son imminent créateur.
Après la création du magazine Sud Hebdo en 1982, qui deviendra Sud Quotidien en 1993, naquirent la première radio privée du Sénégal (Sud Fm) en 1994, une école de formation de journalistes et de communicants (Issic) en 1996 et La chaîne africaine (Lca), qui a connu une courte existence. Durant toute sa vie, Babacar Touré s’est battu pour la liberté de la presse. Il est membre fondateur de l’Union nationale des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Unipics), devenue plus tard Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics). Avec son décès, le Sénégal perd un homme dont l’aura et la considération dépassent les frontières sénégalaises.
A Dieu BT