«LA GRACE NE PEUT EFFACER LES TORTS QUE LA PERSONNE CONDAMNEE A CAUSES AU TIERS»
Trois questions à… Mandiaye Niang, ancien directeur des Affaires criminelles et des grâces :
Après quatre ans à la tête de la Direction des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, Mandiaye Niang, actuel Procureur général près la Cour d’appel de Saint-Louis et procureur adjoint à la Cpi, revient sur l’intégralité des procédures de grâce et les mécanismes qui ont été mis en place par les autorités judiciaires pour verrouiller le circuit et éviter les erreurs connues par le passé.
Comment se passe le processus d’accordement d’une grâce ?
La première chose à savoir est que la grâce est une prérogative présidentielle. Une personne qui est condamnée, une fois que sa condamnation est définitive, peut bénéficier d’une grâce de la part du président de la République. C’est la Constitution qui le prévoit dans son article 47. Il accorde un pardon à une faute déjà consacrée par les tribunaux. L’étendue de la grâce elle-même est variable. Elle peut porter sur toute la faute ou seulement une partie de celle-ci. Par exemple si quelqu’un est condamné à une peine d’emprisonnement et à une peine d’amende, la grâce peut ne concerner que l’emprisonnement sans s’appliquer à l’amende. Et même s’agissant de la peine d’emprisonnement, la grâce peut ne consister qu’en une réduction de peine. En somme, il appartient au détenteur du pouvoir de grâce d’en préciser les contours et les limites. Bien entendu, le Président dispose de toute une administration pour l’aider dans le processus décisionnel. Il existe au ministère de la Justice, la Dacg dont la dernière lettre des initiales se rapporte à la grâce. Cette structure s’occupe entre autres, de l’instruction des dossiers de grâce.
Pour cette instruction proprement dite, il faut savoir que traditionnellement la grâce était une mesure individuelle, souvent à forte connotation politico-sociale. Le Code pénal en porte d’ailleurs encore quelques traces. Une de ses dispositions (devenue caduque depuis longtemps) précisait que «quand un accusé est condamné à mort, la sentence ne sera exécutée qu’après que le président de la République a refusé de faire droit à la grâce». Mais la Constitution formule le droit de grâce de façon tellement vague et large que celle-ci peut avoir vocation à s’appliquer à l’endroit de toute sanction pénale. Voilà de façon brève comment ça marche.
Il faut toutefois, préciser que la grâce ne peut effacer les torts que la personne condamnée a causés aux tiers. S’il y a des dommages et intérêts à payer à une victime, le pardon présidentiel ne s’étend pas à ces condamnations. Il est aussi important de noter que la pratique de la grâce a beaucoup évolué chez nous. D’une mesure individuelle, la grâce a graduellement évolué comme un instrument de pardon collectif. Dans les temps, c’était surtout à la veille de la Fête de l’Indépendance du 4 avril qu’une liste de condamnés, notamment à de petites peines, était soumise au président de la République qui les graciait, les associant ainsi à la Fête nationale, tout en leur donnant une seconde chance de réinsertion sociale. Cette mesure permettait également aux prisons de respirer. Tout ceci n’est pas théorisé. C’est moi qui l’explique comme ça. Parce que, comme je l’ai dit un peu plus haut, le texte est très vaste. On a parlé d’une procédure qui a été plus ou moins inventée. Elle n’est inscrite nulle part.
Ensuite, on n’a pas construit beaucoup de prisons depuis l’Indépendance. Avec la surpopulation carcérale depuis le milieu des années 90, une nouvelle vocation a été trouvée à la grâce. C’est-à-dire qu’elle permettait aux prisons surpeuplées de souffler de temps en temps. A l’initiative de l’Administration pénitentiaire, une liste de délinquants jugés dignes d’intérêt était préparée par les directeurs des prisons et envoyée au ministère de la Justice. Ensuite, après contrôle et vérification, le ministère l’envoyait à son tour au président de la République, dans le cadre d’un projet de décret portant grâce collective. Ça portait souvent sur quelques centaines. Mais, c’est devenu une tradition et de plus en plus, quatre fois dans l’année, nous avons de telles mesures de grâce collective. C’est toujours les veilles de 4 avril, de grandes fêtes religieuses (Korité et Tabaski) et à la fin de l’année.
Maintenant, dans la chaîne de préparation des listes de grâce, l’Administration pénitentiaire est en amont, ensuite au ministère de la Justice, la Direction des affaires criminelles et des grâces fait le contrôle avant de préparer le décret et le communiqué envoyé au président de la République.
Est-ce qu’il y a une transparence absolue dans la chaîne de transmission des dossiers ?
Il est vrai que la procédure que j’ai décrite n’est pas exempte d’erreurs ou de possibles dérives, prenant l’exemple de Amadou Woury Diallo, dans le dossier de faux médicaments et autres. Ce qu’il faut comprendre, c’est que, avant, c’est l’Administration pénitentiaire qui préparait les listes. Un des risques que nous avions identifiés, c’est que quand l’Administration pénitentiaire prépare les listes, elle regarde les personnes dignes d’intérêt, c’est-à-dire celles qui ne posent pas de problème par rapport au respect des règles de discipline et autres. Mais il faut aussi que ces personnes soient éligibles légalement. Le premier de ces critères c’est que la décision concernant la personne doit être devenue définitive. En d’autres termes, il faut qu’il n’y ait pas un appel en cours contestant la première décision de condamnation. Pour s’assurer de l’inexistence d’un appel, l’Administration pénitentiaire regarde le registre du greffe de la prison.
Cependant, ce qu’on savait moins, c’est que parfois, un condamné peut avoir un avocat. Et, cet avocat a la possibilité d’aller directement faire appel au niveau du greffe du Tribunal. Dans ce cas, l’Administration pénitentiaire, qui dresse ses listes et qui se contente de regarder ses registres pour savoir s’il y a eu appel ou pas, ne verra pas l’appel valablement formé au greffe du Tribunal du lieu de jugement ou même du lieu du domicile du délinquant. Cette situation a pu causer beaucoup d’incompréhension dans certains cas. Les cours d’appel nous en ont signalé un certain nombre. On a eu plusieurs cas où la Cour d’appel évoque une affaire et appelle un nom pour juger. On lui dit que la personne a été graciée.
L’une des mesures correctives que nous avons prises (il y en a plusieurs) a été de demander aux procureurs de la République, qui siègent dans une structure appelée Cpcap (Commission pénitentiaire consultative de l’aménagement des peines) qui se réunit dans les prisons, avec le juge d’application des peines et les directeurs de prison, d’aider à la vérification de la situation des appels en cours au niveau des Registres des greffes des tribunaux. Autrement dit, il s’agit de faire une vérification croisée. Non seulement on vérifie au niveau du greffe des maisons d’arrêt et de correction, mais on vérifie également au niveau du greffe des tribunaux pour s’assurer dans les deux cas que les condamnés proposés à la grâce sont bien des condamnés définitifs.
Qu’en est-il l’encadrement de l’article 47 en question
L’article n’est pas encadré. Mais, cela ne veut pas non plus dire qu’on ne peut pas l’encadrer. On peut parfaitement l’encadrer sans que cela ne soit le fait de la loi. On peut instituer de bonnes pratiques en les adossant d’ailleurs à des instructions ou circulaires administratives qui auront quasiment force de loi, puisque les acteurs, soumis au pouvoir hiérarchique administratif, savent qu’ils doivent s’y conformer au nom de la discipline administrative. Et c’est un peu ce qui a été fait dans le cadre de la formulation de ce qu’il est convenu d’appeler la politique pénale, qui a fait l’objet d’une circulaire adressée à tous les procureurs du pays.
Ainsi depuis 2018, nous avions finalisé et soumis à la signature du ministre, une circulaire de politique pénale dans laquelle nous avions essayé de traduire la volonté du président de la République en mesures administratives, pour ce qui est de cette question de grâce. Dans cette circulaire, au regard de ce que nous avions constaté comme erreurs possibles, au lieu que les directeurs de prison se mettent à élaborer des listes tout seuls, il est maintenant prescrit que la Cpcap soit impliquée dans cette préparation. Nous avons en outre dégagé un certain nombre de critères d’exclusion. Par exemple, quand le président de la République a indiqué dans un discours public sa position de fermeté contre les crimes de sang crapuleux, contre le vol de bétail, les agressions sexuelles, les détournements de deniers publics, le trafic illicite de drogue, les crimes émergents contre l’environnement, nous avons, dans le cadre de cette politique pénale, prescrit l’exclusion de ces infractions du bénéfice de la grâce.
Ce que je dis n’est pas la loi, mais des mesures de bonnes pratiques pour donner du contenu à des déclarations politiques et qui se matérialisent par des lettres circulaires. Il faut cependant prendre ces circulaires pour ce qu’elles sont. Elles servent à encadrer une activité en fournissant des balises. Mais, elles ne sont pas totalement rigides. Nous avons eu, et nous aurons toujours des cas particuliers qui feront que les critères indiqués ne seront pas appliqués automatiquement. Je pense par exemple au cas des grands malades. Ce critère peut suffire à lui seul pour accorder la grâce.