LA GUERRE DES «NAIMS» EMPÊCHE TOUJOURS LA RÉOUVERTURE DE LE GRANDE MOSQUÉE DE VELINGARA
Faute de consensus, la mosquée est interdite d’accès à cause des prétendants au « minbar » qui s’entredéchirent
Construite à l’époque coloniale, plus précisément en 1926, la grande mosquée de la ville de Vélingara est aujourd’hui hermétiquement fermée. Privant ainsi la communauté musulmane de cette ville du Fouladou d’un précieux lieu de prières. Suite à de violentes batailles nées de la succession de l’imam Ratib de la ville, décédé le 04 janvier 2018, le préfet avait jugé opportun, par arrêté, de fermer ce lieu de culte, jadis symbole de brassage culturel et de cohésion sociale. Aujourd’hui, il est devenu source de divisions avec des soubassements intercommunautaires. Faute de consensus, la mosquée est interdite d’accès à cause des prétendants au « minbar » qui s’entredéchirent. Le Témoin s’est intéressé aux dessous de cette guéguerre autour de l’imamat qui mine cette commune au Sud du pays.
Il est 17heures. Moment de la prière de l’après-midi (al-asr) un silence total règne aux alentours de la grande mosquée de vélingara. Aucune note sonore du côté du minbar, l’endroit où devait se placer l’imam pour guider les fidèles dans l’accomplissement de la salat. C’est également le même silence qui prévaut à l’entrée principale de la mosquée. Aucun mouvement de fidèles. La zone est déserte. Pourtant, il s’agit bien d’un lieu de culte où des musulmans se bousculaient chaque jour pour leurs dévotions spirituelles.
Bâtie au cœur de la ville, la grande mosquée de vélingara s’impose par ses minarets, son architecture moderne. Un décor magnifique que ternissent cependant des portes presque rouillées et hermétiquement fermées depuis janvier 2018, bloquant l’accès aux fidèles. Suite à de violentes batailles nées de la succession de l’imam ratib d’alors, décédé le 04 janvier 2018, le préfet du département avait estimé devoir, par mesure de prudence et à travers un arrêté, fermer ce lieu de culte, jadis symbole de brassage culturel et de cohésion sociale entre les diverses communautés de cette grande ville du Fouladou. Les populations ont dû assister, impuissantes, à des divergences, tensions, puis scènes de pugilats entre dignitaires religieux. C’est dans la foulée de cette discorde sur l’imamat qu’un arrêté préfectoral avait été pris ordonnant la fermeture de cette belle mosquée devenue depuis lors un grand bâtiment vide. « La situation de cette grande mosquée est vraiment déplorable. C’est ici que j’avais l’habitude de venir accomplir les prières de la journée. Aujourd’hui, c’est tout notre quartier qui a été impacté au sens spirituel par la mise sous scellé de ce lieu de culte », déplore Abdou Seydi, un des riverains de la mosquée.
Un vendredi de rixes
Pourtant, avant que l’arrêté préfectoral ne vienne rétablir l’ordre, divers conclaves s’étaient tenus entre dignitaires religieux pour designer un successeur à l’imam Thierno Ibrahima Diallo. Hélas, tous ces pourparlers et les diverses médiations entreprises s’étaient tous soldés par un échec. Pour cause, chacun des deux « naïms » (Ndlr, adjoints) qui secondaient le défunt imam s’était autoproclamé successeur légitime au minbar. Toutefois, au début, c’est-à-dire durant les jours ayant suivi le rappel à Dieu de l’imam ratib, rien n’avait filtré sur cette mésentente entre ses deux anciens adjoints. Jusqu’au vendredi 09 janvier 2018. Ce jour-là, aux environs de 11h, l’imam Ma madou Barry — un des deux « naïms » — et ses proches se sont emparés des locaux de la grande mosquée pour se préparer à la prière hebdomadaire de ‘ jummah’. Parallèlement, de l’autre côté, Cherif Issa Aïdara, l’autre adjoint du regretté imam Diallo, en compagnie des membres de sa famille, s’apprêtait à venir diriger la même prière du vendredi. La collision entre les deux groupes rivaux se fera aux environs de 13h. Les centaines de fidèles venus des différents quartiers pour accomplir leur obligation de ‘salat’ dans cette grande mosquée, vivront le paroxysme de leur étonnement. Médusés, ils assisteront à un échange de coups coups de poings entre imams dans le minbar. Dans l’enceinte de la mosquée, on assiste à des invectives pendant que les coups partaient à l’aveuglette.Transformant ainsi la mosquée en un champ de bataille digne d’une guérilla urbaine qui s’est poursuivie jusqu’à la sortie de la mosquée entre partisans des deux guides religieux. L’ordre public fut ainsi troublé. Ce qui motiva l’intervention des forces de sécurité. Les deux imams, convoqués à la brigade de la gendarmerie, passeront la nuit ensemble dans une petite cellule avant d’être libérés le lendemain matin. Et puisque chaque partie campait sur ses positions, et pour éviter le pire, à savoir mort d’hommes, la grande mosquée fut fermée par arrêté préfectoral. « Ce jour-là, je pensais être dans un rêve tellement la scène à laquelle j’assistais me paraissait surréaliste. Des notables qui se donnaient des coups de poing à l’heure de la prière ! Chaque naîm’ était venu en compagnie de ses partisans qui n’étaient autres que des membres de sa communauté. Ce qui laissait penser que la confrontation était préméditée. Ce jour-là, en tout cas, les oreilles chastes ont dû être fouettées par les insanités que déversaient les notables à l’intérieur même de la mosquée. Le spectacle était renversant et honteux pour nous musulmans.Vélingara ne mérite pas ça, l’Islam non plus »,se remémore avec désolation Adama Ba, un des témoins oculaires de cette scène indigne de gens qui se disent musulmans et guides.
Un manuscrit historique, cinq imams,un viatique comme legs.
A quelques mètres de ce lieu de culte, se trouve la maison du défunt imam, Thierno Ibrahima Diallo. Celui - là même qui a dirigé la mosquée de 1994 à janvier 2018, date de son rappel à Dieu. La porte de cette demeure franchie, une grande cour bien aménagée se dresse devant le visiteur. L’espace fait office de « daara ». Une école coranique dirigée par le fils ainé du défunt imam. Chérif Bécaye Diallo s’évertue à perpétuer l’œuvre du saint homme à travers l’enseignement. Après les salutations d’usage, il pose soigneusement l’exemplaire du Saint Coran qu’il tenait entre ses mains. Très élégant dans son modeste djellaba, le jeune maitre et héritier biologique, mais aussi spirituel, du regretté imam se dirige vers ses appartements avant de ressortir avec des documents. Pour la postérité, fait-il savoir, son père avait consigné dans un manuscrit l’histoire de la mosquée en question ainsi que les différentes figures religieuses qui l’ont dirigée successivement. Feuilletant les pages recouvertes d’écritures en caractères arabes, notre interlocuteur nous traduit le contenu de ce document dont les écrits remontent à l’époque coloniale. Selon ces archives, la mosquée de la discorde fut fondée en 1926 par Chérif Becaye Aïdara, l’homonyme de notre interlocuteur. Le premier imam à avoir occupé le « minbar » du sanctuaire religieux se nommait Sana Sagnamba. Ce dernier sera suivi en 1939 par Thierno Moustapha Barry, père de l’un des deux actuels prétendants à l’imamat. Pendant trente-deux ans, l’imam Barry a guidé les fidèles avant de céder le « minbar » à Cherif Bécaye Aïdara qui dirigera les prières jusqu’en 1987 avant de confier le minbar à Thierno Amar Diallo. Celui-ci, à son tour, guidera les fidèles dans la voie du sei gneur pendant sept ans avant que le minbar revienne à Thierno Ibrahima Diallo en 1994. « Mon père a dirigé cette mosquée jusqu’à son rappel à Dieu. L’imam Ratib Thierno Ibrahima Diallo tenait à ce que l’histoire.
de la succession des imams de cette grande mosquée soit retenue pour qu’elle serve de référence et d’enseignement à la communauté musulmane de la localité afin que nul n’ignore que rien ni personne n’est éternel dans ce bas monde. C’est pourquoi, suivant le sens de ce viatique, nous, la famille du regretté imam, avions décidé de rester neutres dans cette guéguerre autour de sa succession qui n’honore point l’Islam», prêche le fils du défunt et dernier occupant en date du « minbar » de la grande mosquée de vélingara.
Imam Cherif Issa Aïdara : « Qu’on applique les critères islamiques pour résoudre le problème !»
Issa Aïdara a été confié au défunt Thierno Ibrahima Diallo depuis sa tendre enfance par son père, fondateur de la grande mosquée, qui voulait s’assurer de sa formation religieuse. Aujourd’hui quadragénaire, il s’était rendu en Iran un an plutôt pour parfaire ses connaissances islamiques. Une pérégrination perçue par certains comme une sorte de transhumance sectaire vers le chiisme qui l’exclut d’office de la direction de la mosquée face à une communauté de sunnites. Dans sa demeure où il nous reçoit, il est confortablement assis sur une natte de prières. Imam Issa Aïdara réplique et livre ses principes pour la succession au minbar. « Pour m’écarter de la succession du regretté imam Thierno Ibrahim, des adversaires m’avaient accusé d’être un Chiite. Or, durant ce voyage en Iran, il était juste question pour moi de continuer ma quête du savoir. Un devoir pour tout musulman. D’ailleurs, la famille, après concertation, a exigé à ce que mon frère Babacar Aïdara assure la succession au minbar. En plus, il est connu de tous que cette grande mosquée a été fondée par notre père. Donc nous revenant de droit, nous souhaitons qu’on applique les critères islamiques pour résoudre le problème. Autrement dit, la connaissance et la sagesse pour occuper les devants des rangs d’une prière », sermonne-t-il avant de brandir ses deux mains en guise de prières pour la réouverture du lieu de culte.
Imam Mamadou Barry : « Le défunt imam ratib m’avait désigné comme successeur».
Imam Mamadou Barry secondait le défunt imam Thierno Ibrahima Diallo. Dans ce rôle, il assurait l’intérim au ‘minbar » lors des absences de l’imam disparu. Très proche de ce dernier, imam Mamadou Barry est lui aussi convaincu d’être l’héritier légitime à la succession. « C’est moi qui occupais la place de 2ème imam de la mosquée. Ceci, durant des années. Car le défunt imam ratib m’avait désigné comme son successeur. Et pour preuve, durant toute la période de son hospitalisation, il avait recommandé à ce que je dirige les prières. Une volonté à laquelle je me suis astreint, après son décès et jusqu’à la naissance des tensions suscitées par la famille Aïdara. C’est alors que des membres de ma communauté se sont levés eux aussi pour rétablir la vérité sur la succession au défunt imam », explique Imam Barry, prétendant au minbar qui exhorte, lui aussi,à la réouverture de la mosquée.
Un arrêté pour désamorcer une bombe sociale La bataille pour le contrôle du « minbar » de la grande mosquée de vélingara a en réalité des soubassements ‘ethniques.
En effet, la communauté « Sarakholé », dont les membres ont financé en grande partie la rénovation de l’édifice religieux, a émis le vœu en un moment donné de s’occuper de sa gestion dès lorsque les différentes parties peinent à trouver un consensus. Une tournure à laquelle s’est ajoutée la volonté des Peuls firdou (réputés être l’une des premières communautés à s’installer dans le terroir) de diriger la mosquée. Face à ce dossier très sensible avec ses strates intercommunautaires, il était du devoir de l’autorité administrative de prendre les devants pour préserver l’ordre et la paix sociale. Ce qui explique l’arrêté préfectoral avec la mise sous scellés et la confiscation des clés de la mosquée. Dans son bureau logé dans un bâtiment aux murs vétustes et à l’architecture coloniale, le préfet Mamadou Ndiaye reste inflexible dans l’accomplissement de sa mission régalienne. «Il y a eu de réels troubles à l’ordre public autour de cette discorde sur l’imamat. À un certain moment, nous étions obligés de dépêcher chaque vendredi des éléments de la gendarmerie dans la mosquée pour assurer la sécurité des populations vu les scènes de tensions qui y étaient notées. Mais en vain. Et pour régler ce différend, nous avons eu à initier un comité de règlement du conflit. Ce comité est composé de plusieurs no-tables et guides religieux de la ville. D’ailleurs, récemment, des jeunes se sont impliqués dans cette démarche de pacification pour que les protagonistes puissent trouver un consensus afin que la mosquée soit rouverte. En ce sens, plusieurs réunions se sont tenues au sein de cette préfecture. Mais jusqu’à présent, les deux camps n’arrivent pas à s’entendre pour designer un imam à l’unanimité. Et, encore, la situation s’est empirée lorsque des gens ont commencé à mettre en avant des arguments à connotations ethniques. Etant donné que le rôle de l’État n’est pas de choisir des imams, j’ai décidé de fermer la mosquée par arrêté préfectoral pour éviter que l’irréparable se produise dans cette commune », nous confie le chef de l’Exécutif départemental. Pour le moment, dans les rues, foyers,marchés et grand-places, les populations de vélingara formulent des prières pour la réouverture de leur grande mosquée. Et pour que Dieu leur donne enfin un imam susceptible de faire l’unanimité autour de sa personne...