CONVOCATION POLÉMIQUE DU MAGISTRAT TELIKO
La Convocation du président de l’Union des magistrats sénégalais par l’IGAJ, saisie par le ministre de la Justice, Me Malick Sall, suite à des propos tenus dans la presse, suscite des réactions mitigées au sein de la société civile
La Convocation du président de l’Union des magistrats sénégalais (UMS), Souleymane Téliko, par l’IGAJ, saisie par le ministre de la Justice, Me Malick Sall, suite à des propos tenus dans la presse, suscite des réactions mitigées au sein de la société civile. Si Alassane Seck de la LSDH épouse la thèse de la «tentative d’intimidation» du juge défendue par l’UMS, pour Babacar Ba du Forum du justiciable, convoquer un magistrat devant l’IGAJ, c’est lui donner les moyens de se défendre.
«BRAS-DE-FER» ENTRE L’UMS ET LA TUTELLE
Le Président de l’Union des Magistrats Sénégalais (UMS), Souleymane Téliko, a été convoqué verbalement pour être entendu hier, mercredi 16 septembre 2020, par l’Inspection Générale de l’Administration de la Justice (IGAJ), pour des propos qu’il aurait tenus lors d’une interview parue dans la presse. C’est suite à sa saisine par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Me Malick Sall. Suffisant pour que le Bureau exécutif de l’UMS à travers un communiqué qualifie cette «convocation inadmissible» de «précédent dangereux» ; non sans dénoncer une «tentative d’intimidation et de musellement qui, de toute façon, ne peut prospérer». Et de relever que «le président de l’UMS, en cette qualité, et en tant qu’élu et représentant de l’ensemble des membres de l’association pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux, ne relève ni du ministre, ni de l’IGAJ». Aussi le Bureau exécutif de l’UMS rappelle-t-il qu’elle intervient «après la médiatisation de la lettre de démission d’Ousmane Kane par la cellule de communication du ministère de la Justice». Elle fait également suite à la décision de l’UMS de saisir la Cour suprême pour casser la décision du Me Malick Sall ayant relevé, via une procédure jugée inappropriée, le magistrat Ngor Diop de son poste de président du Tribunal d’instance de Podor pour l’affecter à la Cours suprême de Thiès où il devient conseiller. Ce avait condamné un dignitaire religieux, malgré les pressions reçues.
BABACAR BA, FORUM DU JUSTICIABLE : «Dire que cette interpellation est une sorte d’intimidation, c’est aller trop loin, du moment qu’aucun...»
Pour sa part, Babacar Ba, président du Forum du justiciable, également joint au téléphone, préfère ne pas aller vite en besogne relativisant les accusations à l’endroit du ministère de la justice, de l’UMS, le temps de disposer de plus d’élément d’appréciation. «Présentement, je ne connais pas tous les éléments pour pouvoir juger sur le pourquoi il a été convoqué. Donc, je me limite sur la forme du conflit. Mais je pense qu’il n’y a rien d’extraordinaire à ce que l’IGAJ (l’Inspection Général de l’Administration de la Justice), convoque un magistrat. Donc, pour moi, il n’y a rien de plus normal. L’lGAJ est aujourd’hui l’organe de contrôle, qui est sensé veiller au bon fonctionnement des juridictions. Il est alors dans son rôle. Et, d’ailleurs, le fait d’appeler un magistrat devant l’Inspection Général de l’Administration de la Justice, c’est en quelque sorte lui donner les moyens de se défendre. Ce n’est pas parce que vous êtes convoqué que vous allez être sanctionné. Je pense que, dans ce cas là, il faux déférer à la convocation et écouter pour pouvoir fournir des éléments de réponse. Maintenant, en ce qui concerne la déclaration de l’UMS selon laquelle cette convocation est une intimidation, je crois qu’il ne faut pas se précipiter. Attendons d’abord que Souleymane Teliko se fasse entendre. Ce n’est qu’au sortir de cet entretien que nous saurons si la convocation repose sur une base solide ou si c’est tout simplement pour l’intimider, sinon lui chercher des noises. Donc, à l’état actuel de la procédure, je ne peux pas affirmer qu’il s’agit d’une combine. De plus, dire que cette interpellation est une sorte d’intimidation, c’est aller trop loin, du moment qu’aucun de nous ne sait sur quel fond le président de l’UMS à été convoqué. Ils ont juste parlé d’une convocation, mais pas de la cause elle-même. Par contre, nous avons l’œil ouverts sur cette affaire et si au final on se rend compte que cet appel n’est pas fondé, alors là, il sera acceptable qu’on parle d’intimidation» argumente-t-il.
ALASSANE SECK, LIGUE SENEGALAISE DES DROITS HUMAINS (LSDH) : «Quand un juge est convoqué par l’IGAJ, c’est juste un clin d’œil sur l’intimidation, pour prendre la justice sous coup réglé»
Joint au téléphone par nos soins sur cette nouvelle tournure d e ce qui semble être un «bras-de-fer» entre l’UMS et la tutelle, Alassane Seck, le secrétaire exécutif de la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), trouve qu’il n’y a pas de doute que «c’est de l’intimidation tous simplement. Parce que depuis le début, le ministère a dévoilé ses limites, il n’a pas montré de la compétence. Il y a eu beaucoup de confusions de rôles et c’est déplorable qu’au Sénégal, en 2020, on en arrive à cette situation d’élimination de magistrat. C’est regrettable et inadmissible qu’on puisse les convoquer pour les intimider. Souleymane Teliko parle en tant que président et non comme un magistrat ; donc il a le devoir de défendre sa corporation. Et nous pensons qu’il est dans les limites totales de sa position. De ce fait, nous l’encourageons et le félicitons pour sa détermination. Souleymane Teliko a le pouvoir de ses idées. C’est quelqu’un de courageux ; à la limite donc, cela peut déranger le régime qui semble pouvoir mettre la Justice sous coup réglé. C’est alors heureux que Souleymane Teliko soit un magistrat debout et très courageux. Parce que ce n’est pas évident, surtout pour quelqu’un avec ce corps assez délicat et sensible. Nous voyons en lui un homme de principe, un homme de valeur, courageux. C’est donc un plaisir pour ces pairs. Quand un juge est convoqué par l’Administration (l’Inspection Générale de l’Administration de la Justice - IGAJ), c’est juste un clin d’œil sur l’intimidation, pour prendre la justice sous coup réglé. Donc la justice n’est présentement pas acceptable au Sénégal. Il y a peu, c’était la journée de la démocratie. Mais cette dernière doit reposer sur un état de droit, une justice indépendante qui passe par cette liberté de protéger ces pairs, le principe même de la justice, de l’indépendance et de l’autonomie de la justice», a-t-il déclaré