LA SOLITUDE DES FEMMES D'ÉMIGRÉS
A Thiaroye-sur-Mer, en banlieue de Dakar, des épouses dont les maris sont partis travailler en Europe se débrouillent pour gérer le foyer, les enfants
Ici, c’est un peu la maison des femmes. Quand sac à dos sur les épaules, les deux fils de Maïmouna, 8 et 12 ans, rentrent de l’école, ils rompent l’équilibre du lieu. Dans la petite bâtisse de Thiaroye-sur-Mer, ville de pêcheurs en banlieue de Dakar, une matriarche, 100 ans bientôt, tient l’épicerie de l’entrée. Deux autres femmes prient dans la cour sableuse.
En cuisine, l’aînée de Maïmouna prépare le thiéboudiène, un plat traditionnel à base de riz et de poisson. A 19 ans, elle n’a jamais fréquenté l’école. Fille de « modou-modou », nom donné aux émigrés au Sénégal, elle n’a jamais pu aller en cours. Budget trop serré pour sa mère esseulée, qui se démène pour assurer les charges quotidiennes.
Dans ce quartier de bord de mer, presque tous les hommes, maris ou fils, sont partis pour tenter de rejoindre « l’eldorado européen », laissant derrière eux leurs familles. Des voyages qui se révèlent souvent tragiques. Depuis deux mois, les naufrages de pirogues et les arrestations de migrants irréguliers se multiplient au Sénégal. Rien qu’en octobre, 1 500 candidats à l’émigration clandestine ont été arrêtés par la police sénégalaise. Et selon l’ONG Alarm Phone, 480 personnes sont mortes en mer en une semaine le même mois.
Madigué Ndiaye, vendeuse de légumes à Thiaroye-sur-Mer, avait cinq enfants quand son mari est parti en 1999. « Il est d’abord passé par le Maroc, avant de rejoindre l’Espagne. Il travaillait comme maçon et m’envoyait 50 000 francs CFA par mois [76 euros]. Mais ce n’était pas suffisant pour élever nos enfants », confie-t-elle.
Seules pour toutes les charges familiales
Pour Maïmouna, 43 ans, le budget mensuel tournait plutôt autour de 15 000 à 20 000 francs CFA par mois (entre 22 et 30 euros) au début des années 2000, quand son mari a pris la route de l’Espagne.
C’était le jour de la naissance de leur première fille, avant même qu’elle ne revienne de l’hôpital. « Je ne pouvais pas m’occuper de notre bébé, en plus de ma mère et de ma grand-mère », se souvient-elle. Pour survivre, elle s’est donc mise à distribuer des prospectus de promotion à travers la capitale. De quoi enrichir son quotidien de 2 000 francs CFA (3 euros).