LE BUSINESS DU PRÊCHE
Conférences religieuses pendant le ramadan
Beaucoup de Sénégalais pensent que les "Oustaz" se remplissent les poches pendant le mois de ramadan. Ces derniers ne réfutent pas totalement, en soutenant redistribué tout ce qu'ils reçoivent aux pauvres. Combien gagnent-ils ? Le sujet est souvent éludé. Tous considèrent que cela vient au second plan. Même si, vu les sommes avancées, il s'agit d'un véritable pactole qu'ils amassent durant cette période bénie.
Le mois de ramadan est béni. Ici, au Sénégal les prêcheurs ont l'habitude de dire que cette période est un moment de grâce et de "promotion". "La particularité du mois de ramadan, c'est que les bienfaits doivent être multipliés. Car tout ce que le musulman fait de bien, au cours de cette période, Dieu le lui rétribue au double.
Et comme on dit : si l'on ne doit prendre qu'une cuillère de riz, autant la rendre consistante. C'est un mois par an, donc on doit améliorer les "nafilas" (ndlr prières surérogatoires), les "zikr" et réciter quotidiennement "lah'ilakha'ilala Mouhamadou Rassouloulahi" de préférence 313 fois ou 129 fois", déclarait, dans une interview parue dans EnQuête, Ibrahima Badiane dit Iran Ndao.
Serait-ce dans cette optique que des entreprises sénégalaises, les associations de quartier et les "Dahiras" pensent qu'il leur faut forcément organiser des conférences religieuses au cours de ce mois ? Quoiqu'il en soit, ils permettent à certains "oustaz" de travailler et à d'autres d'avoir plus d'occupations, pendant ce mois. Les prêcheurs dans les médias restent les vedettes de ce groupe. En plus d'animer plus d'émissions dans les radios et télévisions, ils sont très sollicités par les organisateurs des rencontres religieuses.
Les agendas des conférenciers sont bouclés, 2 à 3 mois avant le ramadan
En effet, la plupart de ceux interrogés par EnQuête ont bouclé leurs agendas, depuis bien longtemps. "Pendant tout le mois de ramadan, chaque jour, on a une conférence à animer. On arrête de prendre des engagements 2 ou 3 mois avant", informe Mbacké Sylla qui est animateur à la radio Sud Fm. Il ne fait pas, seul, les conférences.
Comme dans "Al Bidaya" diffusé tous les vendredis matins sur la fréquence 98.5, Mbacké Sylla est accompagné d'Oustaz Alioune Sall et Alioune Mbaye. Ce qui n'est pas le cas de Soxna Fatou Binetou Diop de la télévision Futurs médias. L'animatrice de "Warefu Koor" avec Oustaz Mor Thiam traite généralement seule les thèmes qui lui sont soumis, lors de ces rendez-vous avec le public. Comme le trio déjà cité, elle est aussi très sollicitée, en cette période.
"Presque toute la semaine, j'ai des rencontres à animer. Je commence généralement à partir du mercredi et je fonctionne ainsi jusqu'au dimanche", assure-t-elle. Avant, elle ne faisait cela que les week-ends. Mais, maintenant la demande est tellement forte qu'elle a dû inclure les jours ouvrables dans son agenda. "Les week-ends sont réservés habituellement à des gens avec qui je travaille, depuis longtemps. Mais au fil du temps, les gens m'invitaient de plus en plus et j'ai dû commencer à sortir certains jours ouvrables", renseigne-t-elle.
Son collègue Pape Hann est lui aussi confronté à ce problème. "Beaucoup de gens souhaitent aujourd'hui que je sois l'invité de leurs organisations. Seulement, je ne peux pas satisfaire toute la demande. Je travaille aussi à la télé et j'ai une émission qui passe quotidiennement. Il me faut remplir mon devoir envers mon employeur. C'est pourquoi je ne prends que les dates qui correspondent aux mercredis, jeudi, vendredi, samedi ou dimanche", indique-t-il.
Aussi, pour satisfaire le maximum de demandeurs, le maître de "Siira" honore de sa présence deux rencontres le samedi et en fait autant pour le dimanche.
"Les samedis et les dimanches, je fais deux conférences par jour. J'en donne une le matin de 10H à 13H et je commence l'autre à 13H 30", dit-il. Ayant un emploi du temps formel beaucoup plus aéré peut-être, Oustaz Taïb Socé lui anime au moins une conférence par jour, le temps du mois béni.
Comme Soxna Fatou Binetou Diop lui aussi a ses habituels "clients" à qui ils réservent les week-ends. Les jours de semaine reviennent aux retardataires qui, pourtant, viennent deux mois, avant le début du jeûne. C'est dire que Taïb Socé est aussi très prisé, tout autant qu'Iran Ndao qui a bouclé, depuis longtemps.
L'argent, le grand tabou
Par ailleurs, eu égard à ce nombre important d'assemblées religieuses auxquelles sont invités ses prêcheurs, l'on peut facilement croire que ce mois est également une "promotion" financière pour eux. Seulement, aucun d'entre eux n'acceptent cette éventualité. "Les gens pensent qu'on gagne beaucoup d'argent avec les conférences, ils se trompent", lance d'emblée Taïb Socé.
"Moi j'ai une activité professionnelle qui me fait vivre, pendant toute l'année. Je n'attends pas les conférences pour me remplir les poches".Cette mise au point est de Soxna Fatou Binetou Diop qui gère un commerce et qui officie officiellement à la Télévision futurs médias. "Moi, avec ces conférences, je ne prétends qu'à une seule chose avoir la miséricorde de Dieu. Je le dis souvent, ma carte gab c'est Mohammed (PSL). Tout ce que j'ai c'est lui qui me le donne", déclare Oustaz Pape Hann.
Taïb Socé de renchérir : "Ce que nous faisons pendant le ramadan n'est pas un métier pour qu'on puisse prétendre en vivre. Le ramadan ne dure qu'un mois. Si avec l'argent gagné au cours de ce seul mois, on souhaite en vivre le long d'une année, on n'y arrivera pas". Par conséquent, si ce mois béni doit être considéré comme une période de "traite", eux ne voient la traite que dans la rétribution promise par le seigneur.
"Moi, je ne demande rien à ceux qui m'invitent. Je préfère la paie de Dieu", fait savoir Oustaz Pape Hann. Lui ne demande pas de cachet tout comme son collègue Taïb Socé. "On n'est pas des artistes pour avoir des cachets. On ne demande pas d'argent. Pourtant, on pouvait bien le faire et même demander beaucoup et même plus que Wally Seck ou Youssou Ndour, parce qu'on fait connaître Dieu aux hommes", défend-t-il.
Les "Conférences VIP"
De ceux qu'EnQuête a interrogés, il n'y a que le trio Oustaz Alioune Mbaye, Alioune Sall et Mbacké Sylla qui exige des cachets. Ces derniers varient à la tête de l'organisateur. "Nous demandons des cachets, mais c'est selon celui qui nous invite. Nous faisons des conférences partout et pour tout le monde", informe-t-il.
Cela dit, l'argent ne constitue pas un point d'achoppement pour eux. D'ailleurs, il est arrivé que cette équipe preste gratuitement pour des musulmans. "On a fait des conférences pour des associations qui œuvrent dans le social ou des gens qui souhaitent construire une mosquée. Ceux-là ne nous paient pas. Au contraire, c'est nous qui demandons à ceux venus nous voir de se cotiser. L'argent est reversé à nos hôtes", assure Mbacké Sylla.
Autant ces cas existent, autant en existent d'autres d'un tout autre genre. En effet, il y a ce que le jeune Diourbellois appelle "conférence VIP", non sans préciser que lui, oustaz Sall et oustaz Mbaye n'en font que 2 au cours de ce mois. Deux gracieusement payés, même si notre interlocuteur ne veut pas s'épancher sur la question. "Le montant que nous demandons n'est pas important. C'est ce qu'on fait sur place qui est important", dégage-t-il en touche.
"La plus petite somme reçue dernièrement est 300 mille Frs"
Interrogée, une organisatrice de ce genre de rencontres est formelle : "on a déboursé 400 mille pour payer l'animateur de notre conférence annuelle". Son prix n'est pas loin de celui évoqué par un prêcheur bien connu qui a requis l'anonymat. "Moi, je ne demande rien, mais cela fait longtemps qu'on ne m'a plus donné 100 mille Frs. La plus petite somme reçue dernièrement est 300 mille Frs", avoue-t-il. Non sans préciser, tout de même, que "les gens pauvres sont plus généreux avec nous que les riches".
Oustaz Taïb Socé sera l'invité des amis de la Première dame, ce week-end, pour une conférence qu'ils organisent à la permanence de l'alliance pour la République (APR). Une rencontre pour des VIP. Seulement, précise-t-il, "je ne demande pas de cachet et l'argent qu'on me donne au cours de ces assemblées, je le partage avec les pauvres. Pendant le ramadan, il y a beaucoup de gens qui viennent nous solliciter et on redistribue ce qu'on nous donne".
Même son de cloche chez Soxna Fatou Binetou Diop. "Moi, je ne réclame rien. Il m'est arrivé de faire des conférences sans être payée. Comme il m'est arrivé aussi d'en animer et qu'à la fin qu'on me donne une enveloppe que je range dans mon sac. L'argent qu'on m'offre à la télé, je le redistribue, avant même de quitter les lieux de la rencontre généralement", renseigne-t-elle.
Non contents de ne pas payer, sous prétexte qu'ils n'ont rien demandé, certains organisateurs abusent de la gentillesse de ces conférenciers. A Soxna Fatou Binetou Diop des expatriés ont fait acheter un billet d'avion, promettant de la rembourser à son arrivée sans le faire. Mais, les prêcheurs ne s'en offusquent pas pour autant.
Car comme dit Iran Ndao, "un musulman ne doit pas faire certaines choses rien que pour de l'argent, ou un quelconque intérêt. Maintenant, si après une conférence, on offre au prêcheur quelque chose, c'est bien, sinon ce dernier doit comprendre qu'animer une conférence est un acte d'adoration divine et qu'on ne doit pas exiger une rétribution".