LE CONSENTEMENT, LA BOTTE SECRÈTE DU SUPPOSÉ VIOLEUR
Dans les éléments constitutifs du viol, le consentement ou non de la victime présumée est une difficulté de premier ordre. C'est l’une des stratégies de défense favorites des mis en cause
Dans les éléments constitutifs du viol, le consentement ou non de la victime présumée est une difficulté de premier ordre. C’est la distinction faite à ce niveau qui permet en effet de faire la différence entre relation sexuelle et violence sexuelle. C’est pourquoi le consentement est l’une des stratégies de défense favorites des personnes mises en cause dans des dossiers de viol.
Entre «elle n’a pas dit non», «c’est une fille de mœurs légère» ou «que cherchait-il là-bas» et «il a prêté le flanc», les débats ont fait rage autour de l’affaire de mœurs qui met en scène Adji Sarr, une employée du salon de massage “Sweet Beauté“ sise à Dakar, et le député Ousmane Sonko, leader de Pastef Les Patriotes, un parti d’opposition au régime du président Macky Sall. Ce dossier aux confins des mœurs et de la politique a mis le pays sens dessus sens dessous pendant plusieurs semaines et surtout entre les 3 et le 8 mars 2021, avec une quinzaine de morts, plusieurs centaines de blessés, des biens publics et privés pillés et/ou dérobés, sans oublier des flambées de violences verbales, de commentaires désobligeants à l’encontre des deux protagonistes sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Facebook, plaçant ainsi le curseur autour du consentement sexuel. Se pose alors la question cruciale des éléments déterminants le viol, à même d’aider les juges à prendre des décisions éclairées.
«CONTRAINTE, MENACE, SURPRISE» : DES ELEMENTS DETERMINANTS
Contacté par la rédaction de Sud Calame, Me Ousmane Thiam, président de l’Association des jeunes avocats sénégalais (AJS), est sans équivoque sur les éléments constitutifs du viol au regard du droit positif sénégalais, notamment la loi n° 2020-5 du 1er janvier 2020 en son article 320. «Le viol est défini comme tout acte de pénétration qui est fait par quelque nature que ce soit, par contrainte, par menace ou par surprise. Ça peut être le sexe, le doigt, ou autre chose introduit dans les organes génitaux de la femme sans que celle-ci ait donné son consentement», explique l’avocat. Néanmoins, «il faudrait que l’acte de pénétration puisse être imputé à une personne bien déterminée, c’est-àdire la notion d’imputabilité». Toute l’équation réside à ce niveau du «consentement» dans la mesure où les accusés des violences sexuelles s’arc-boutent souvent au consentement de la victime, en particulier lorsque la matérialité des faits est établie et donc irréfutable. Sur ce point, Me Thiam renvoie la patate chaude au juge. «Dans le cas où l’accusé déclare que la supposée victime était consentante, au moment où la plaignante dit le contraire, dans ce cas le juge va se fier à son intime conviction, en fonction de ce qu’il a dans le dossier», plaide-t-il.
GATTA NDAW, JURISTE «La violence constitue l’essence même du viol»
« Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il peut recourir à un médecin habilité à l’informer sur l’existence ou non de pénétration sexuelle avant de s’appesantir sur le défaut de consentement qui doit exister réellement pour que l’infraction soit constituée. Ce qui permet de dire que l’expression de la volonté exclut le viol», analyse le juriste Gatta Ndaw dans une contribution publiée dans la presse en ligne. (https://senego.com/contribution-le-viol-un-regard-sur-la-legislation-et-... ml) D’où le caractère déterminant accordé à l’aspect «violence» en dépit de la complexité de la question, souligne Ndaw. « La violence constitue l’essence même du viol. Elle peut être physique ou morale. Elle doit être entendue comme le viol du consentement.»
UNE JURISPRUDENCE TOUTE RECENTE VALIDE L’ARGUMENTATION DU JURISTE
«Le juge a fait application de cette règle dans le jugement du 21 Mai 2007 rendu par le Tribunal Régional Hors classe de Dakar. Il s’agissait dans cette affaire pour le juge de se prononcer sur un délit collectif sur la personne de B.N, mais dans son raisonnement, il a fini par relaxer les prévenus au motif que : «bien que la prétendue victime ait été pénétrée sexuellement, rien n’indiquait dans les débats, ni dans les pièces versées que celle-ci ait agi contre sa volonté», avance-t-il en citant l’arrêt du tribunal.
LE NON CONSENTEMENT SEUL NE SUFFIT PAS A CONSTITUER LE VIOL
Le législateur semble dire que si l’acte constitutif de viol a été accompli sans violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise, c’est que la victime, présumée majeure, y aurait. Dans ce cas de figure, le viol n’est pas établi ou le doute est permis en l’absence de preuves matérielles. L’accusé ou prévenu pourrait donc se tirer d’affaire, selon Me Ousmane Thiam. «La plupart des cas, en l’absence de preuves matérielles, il est souvent admis que le prévenu doit être relaxé au bénéfice du doute», soutient Me Thiam. «Si une personne n’est pas convaincue de sa culpabilité, ou qu’elle estime avoir été condamnée dans des circonstances qui puissent permettre à son avocat de dire que cette peine ne l’agrée pas, il lui est loisible de faire appel. Parfois, en appel aussi, on peut infirmer la culpabilité, voir l’annuler».
LE CONSENTEMENT N’EST PAS REQUIS POUR LES MINEURS DE MOINS DE 13 ANS
La question de l’assentiment ne se pose pas pour certaines catégories de population objet d’une protection particulière de la part du législateur, en raison de leur bas âge où de leur état de santé, rappelle Gatta Ndaw. «S’agissant par exemple du mineur, juridiquement, son consentement (…) est dépourvu de valeur aux yeux de la loi. Mais la spécificité en Droit Pénal est que le législateur ne fait allusion qu’aux mineures de moins de 13 ans. Il assure à ces dernières une protection sans faille.» Toutefois, en cas de pénétration chez un mineur de moins de 13 ans, le délit de viol est automatiquement retenu à l’encontre du prévenu dans ce cas précis.
LE VIOL ENTRE DROIT POSITIF, ISLAM ET EGLISE : Des approches punitives différentes
L e Sénégal a renforcé son arsenal juridique en criminalisant le viol par la loi n° 2020-05 du 10 janvier 2020 portant modification de la loi 65-60 du 21 juillet du Code pénal. L’objectif affiché par les autorités pour justifier le durcissement des peines est de dissuader les éventuels auteurs d’agressions sexuelles face à la recrudescence des viols et des meurtres dont les femmes et les enfants sont les principales victimes. Comme innovations substantielles apportées au Code pénal (CP), il y a la mutation de la nature de la peine, la révision du quantum des peines, l’introduction de nouvelles circonstances aggravantes et, enfin, la prohibition express des circonstances atténuantes. Ainsi donc, la nature des sanctions de viol ou de pédophilie sont : la réclusion criminelle (Article 7 CP) avec notamment une peine différente de l’emprisonnement et une peine appliquée aux infractions plus graves, et la dégradation civique, c’està-dire entre autres, la privation des droits électoraux et décoratifs, l’incapacité d’être expert ou témoin dans un procès, etc.
LA RECLUSION CRIMINELLE DE 10 A 20 ANS RETENUS CONTRE LES VIOLEURS
Le quantum des peines a été sensiblement relevé avec la réclusion criminelle qui passe de 10 à 20 ans pour les auteurs de viol sans circonstances aggravantes et de viol commis par personne ayant une autorité sur la victime, ou avec la complicité d’une ou de plusieurs personnes. Un plancher a été fixé pour le viol sur mineur de 13 ans ou sur personne vulnérable, notamment l’impossibilité de réduction de la peine au-dessous du minimum de 20 ans. De nouvelles circonstances aggravantes ont été également retenues dans la nouvelle loi. En particulier, il s’agit du viol précédé, accompagné ou suivi d’actes de barbarie, c’est-à-dire entrainant une mutilation, une infirmité permanente ou s’il est commis par séquestration ou par plusieurs personne (article 320 alinéa 4 CP). Dans la foulée, le principe des circonstances atténuantes, souvent allégué par les avocats de prévenus devant la barre des tribunaux, disparaît des nouvelles dispositions. Ce qui voudrait dire que même si le viol a été commis sans circonstance aggravantes ou perpétré sur une personne mineure ou vulnérable, le violeur prendra au minimum 10 ans, et 20 ans au minimum pour un viol suivi de mort.
LA CHARIA SANCTIONNE LE VIOL PAR LA LAPIDATION A MORT POUR LES MARIE-E-S
Les éléments constitutifs du viol semblent être les mêmes entre ceux du droit positif sénégalais et la Charia, le code pénal islamique. Selon imam Amadou Makhtar Kanté interrogé par Sud Calame, la «preuve irréfutable» du viol doit être établie, à savoir «des actes de pénétrations sexuelles sur une autre personne, que ce soit une fille, une femme, un garçon ou un homme, ces actes seront qualifiés de viol, parce qu’il y a pénétration et non consentement de la victime.» Par contre, la sentence reste lourde et diverse, selon la situation matrimoniale de l’auteur de l’agression sexuelle. «Pour la sanction pénale prévue pour le marié ou la mariée, c’est la lapidation jusqu’à ce que mort s’en suive, et un dédommagement pour la victime. Si c’est une personne célibataire, c’est 100 coups de fouet en public, le versement d’une amende à la victime de l’acte de viol et même le bannissement de l’auteur du viol ; ce dernier est exilé pendant une durée d’au moins 1 an afin qu’il n’ait pas à rencontrer la personne qu’elle a agressée», détaille notre interlocuteur. Au-delà des sanctions pénales qui sont prévus, imam Kanté prône un travail en amont pour éviter d’en arriver à la répression qui constitue à ses yeux «un échec».
LE VIOL PEUT ENTRAINER LA PRIVATION DE LA COMMUNION ECCLESIALE CHEZ L’EGLISE CATHOLIQUE
Concernant la matière sur laquelle se baser pour déterminer qu’il y a viol ou pas, l’Eglise catholique à l’image de l’Islam, rejoint le droit commun. «Sur la question du viol, l’Eglise catholique se réfère aux institutions compétentes pour sa détermination (médecins, tribunaux, etc). Elle demande en général de porter l’affaire devant le tribunal civil, que l’auteur du viol soit un clerc ou un simple laïc», fait savoir Abbé Roger Gomis, prêtre du Diocèse de Dakar. Un diocèse est une Circonscription ecclésiastique placée sous la juridiction d'un évêque ou d'un archevêque. Pour autant, cela ne signifie pas l’absence d’institution à même de statuer sur des cas d’agression sexuelle. «Je dois préciser que même si l’Eglise catholique se réfère aux juridictions civiles pour le traitement des affaires de viol et autres abus sexuels, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui se trouve au Vatican est également compétente pour se prononcer et sanctionner», clarifie le prêtre. C’est pourquoi des sanctions sont prévues une fois que les faits sont établis et qualifiés. «Pour le prêtre, c’est la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui sanctionne, après traitement de l’affaire remontée par l’évêque diocésain. Il (le prêtre) peut être interdit de célébrer le sacrement, voire renvoyé de l’état clérical», renseigne l’homme d’Eglise tout en renchérissant avec les sanctions prévues pour le laïc. «Le viol est comme un péché grave, un véritable scandale, qui peut entrainer la privation de la communion ecclésiale. La communion doit être refusée pour éviter tout scandale public qui blesse la communauté», estime-t-il. Dès son arrivée au Pontificat, le Pape François a demandé aux diocèses du monde entier de mettre en place des cellules de veille et de signalement des abus sexuels et autres crimes sur les personnes vulnérables, avec des instructions pour collaborer avec les autorités civiles dans le traitement des cas soulevés, rappelle abbé Roger Gomis.