LE MAOULOUD, UNE HISTOIRE DE FAMILLES
Prières et louanges dédiées rythment déjà les foyers religieux qui commencent à connaître de fortes affluences de fidèles venus des quatre coins du pays, de la sous-région et d’ailleurs, pour la célébration de la naissance du Prophète Muhammad
Comme les éditions précédentes, prières et louanges dédiées au Sceau des Prophètes (Psl) rythment déjà l’actualité dans les foyers religieux qui commencent à connaître de fortes affluences de fidèles venus des quatre coins du pays, de la sous-région et d’ailleurs, pour la célébration de la naissance du Prophète Muhammad (Psl), Mawlid al Naby 2022. Au niveau de certains sanctuaires de l’islam comme Thiénaba Seck, foyer religieux fondé par le Cheikh Amary Ndack Seck, en passant par le village de Ndiassane (ou N’Diâsâne), capitale spirituelle de la Qadiriyya (une confrérie soufie au Sénégal), haut lieu de pèlerinage fondé entre 1883 et 1884 par le Cheikh Bouh Kounta, également à Keur Mame El Hadji, «La-Pieuse», fondée par Mame El Hadji Ahmadou Barro Ndiéguène, l’événement religieux, marqué par la «Wazifa», la lecture du Saint Coran, le recueillement auprès des mausolées des vénérés Cheikhs des familles respectives, des causeries religieuses axées sur la vie et l’œuvre du Prophète Muhammad (Psl), se prépare intensément. Et fidèles à une tradition bien établie, nombre de foyers religieux d’anticiper avec des soirées de «Burd», à l’occasion desquelles des prières sont formulées pour la paix, la stabilité au Sénégal, mais aussi pour la santé des guides religieux du pays.
Ndiassane : Capitale spirituelle de la Qadiriyya
Fondé entre 1883 et 1884 par le Cheikh Bouh Kounta, selon des sources dignes de foi, le village de Ndiassane (ou N’Diâsâne), capitale spirituelle de la Qadiriyya (une confrérie soufie au Sénégal), haut lieu de pèlerinage annuel, est devenu, de nos jours, l’un des plus importants lieux de pèlerinage des adeptes de la communauté Ahloul Kountiyou du Sénégal et de la sous-région ouest-africaine. Avec des milliers de fidèles (talibés) qui y convergent annuellement, venant de partout dans le monde (Mali, Niger, Tchad, Mauritanie, Burkina Faso), pour commémorer, dans la ferveur religieuse et selon la tradition de la Qadiriyya, le huitième jour (le baptême) de la naissance du Sceau des Prophètes, Seyyidinaa Muhammad (Psl).
Capitale de la Qadiriyya sénégalaise, la cité religieuse se situe au Nord-Ouest du Sénégal, dans l’ancien royaume du Cayor, non loin de la cité religieuse de Tivaouane-La Pieuse, dans la région de Thiès. Ndiassane demeure, en effet, le fief des Kountiyous, descendants du Cheikh Bouna Kounta qui quitta en 1800 le village religieux de Bolonoir, situé aux environs de Tombouctou, au Mali, sur ordre de son frère, pour venir s’installer au Sénégal, avec l’autorisation du Damel d’alors, Amari Ngoné Ndella. Ainsi, celui qui sera le fondateur des Ahloul Kountiyou s’installa, d’abord, dans la localité de Nguiguiss, pour ensuite, sous le règne de Birima Fatma Thioub, fonder le village de Ndankh, en plein cœur du Cayor. Cheikh Bouna Kounta et sa famille demeureront dans ce village jusqu’en 1883, date à laquelle son petit-fils, Cheikh Bouh Kounta, est venu s’installer à Ndiassane. Un village qui, avec le découpage administratif survenu après l’indépendance, est devenu une collectivité locale du département de Tivaouane, plus précisément de la communauté rurale de Chérif Lô. Aujourd’hui, Ndiassane est devenu l’un des plus importants lieux de pèlerinage des adeptes de la confrérie khadre du Sénégal et de la sous-région ouest-africaine. Lesquels fidèles y convergent annuellement pour célébrer, avec leur guide, le huitième jour de la naissance du Prophète Muhammad (Psl).
Loin d’être fortuit, le choix du huitième jour découlerait de la volonté commune de Cheikh Al Seydi El Hadji Maodo Malick Sy de Tivaouane et Ckeikh Bouh Kounta de la communauté khadre, de procéder de sorte d’éviter l’organisation d’un Gamou le même jour, du fait de la proximité des deux cités religieuses, distantes d’un peu plus de cinq kilomètres. La première édition de la célébration de la naissance du Prophète par la famille Kountiyou remonterait en 1901, sous la direction de Cheikh Abdou Muhammad Kounta. Ainsi s’établissait une tradition que les descendants du saint homme se feront le devoir de perpétuer, au point de lui donner aujourd’hui une dimension sous-régionale, voire internationale. Puisque Ndiassane reçoit chaque année des milliers de pèlerins venant de l’ensemble de la sous-région ouest-africaine, et principalement du Mali voisin, mais aussi de fidèles venant d’Europe et des Etats-Unis. La très forte présence de pèlerins maliens s’expliquerait, nous apprend-on, par les origines maliennes des Kountiyous.
Thiénaba : «Une République islamique» dans un Etat laïc
Fondée en 1882 par Ahmadou Amary Ndack Seck (1830-1899), l’un des chefs religieux compagnons de Cheikhou Ahmadou Ba, fils de Limamoul Mahdiyou Ba de la localité de Wouro Mahdiyou, qui menèrent le mémorable djihad de 1875, Thiénaba, chef-lieu de la communauté rurale du même nom, l’une des trois sous-préfectures du département de Thiès, est située entre les communes de Thiès et Khombole. Ce site dont le choix aurait été révélé au saint homme par un signe lumineux et qui fait ainsi partie des premiers foyers religieux du Sénégal, se veut gardien du Temple de la Charia, la loi islamique, dans un Etat laïc comme le Sénégal où 95% de la population sont des musulmans.
Dans cette cité, les autorités religieuses qui, tout en reconnaissant l’autorité administrative, sont les descendants du fondateur de la localité, ont pris le soin de créer une sorte de ligne de démarcation qui divise la localité en deux parties : «Thiénaba-Gare» et «Thiénaba Seck». Cette dernière partie, où vivent les autorités religieuses, distante de Thiénaba-Gare d’environ un kilomètre, abrite également l’autorité administrative et toutes les infrastructures liées à l’administration, créées par le colon. Ainsi, les autorités religieuses, pour perpétuer cette volonté de leur guide religieux, ont instauré la Charia pour juger ceux qui osent franchir les interdits de l’islam. Toutes les dispositions sont prises à cet effet. En effet, aux côtés du khalife, il y a l’imam de la Grande mosquée qui se charge de veiller à l’application de la loi islamique. De ce fait, il a la garde du fouet, un des instruments pour la correction de ceux qui bravent les interdits.
Chaque année, à l’occasion du Gamou, l’événement commémorant la naissance du Prophète Muhammad (Psl), les populations de cette localité comme les fidèles, qui ont fait allégeance à Thiénaba, prennent l’engagement, devant la mosquée, et le Khalife général, en tête, qui incarne l’autorité religieuse, de respecter et faire respecter les principes et valeurs de l’islam. C’est ce qui fait qu’à Thiénaba Seck, la consommation de boissons alcoolisées, la cigarette et la fornication y sont interdites, selon les informations recueillies sur place. En ce qui concerne la dernière interdiction, la surveillance est plus accrue. Une femme qui tombe enceinte sans être dans les liens du mariage est renvoyée de la communauté rurale jusqu’à son accouchement. Et si elle désire revenir dans la localité, cette dernière doit au préalable subir la flagellation, comme prévu par la Charia, en prenant 100 coups de fouet à la place du village, au vu et su de tout le monde, avant d’intégrer à nouveau Thiénaba Seck. L’imam, ou celui que ce dernier aura choisi, se chargera de donner les 100 coups aux pécheurs. Selon M. Ndiouga Mbengue, membre de la commission communication du comité d’organisation du Gamou, l’imam, avant de passer à l’acte, sans que le bras ne décolle de son corps, prend un premier coup, comme pour dire que quiconque transgresse la loi établie par Dieu dans le domaine de la fornication va subir le même sort, puis d’exécuter la sentence. Après cela, la victime fait deux Raakas et renouvelle son engagement à respecter la Charia, pour ensuite réintégrer les siens. Concernant l’adultère, les concernés sont définitivement renvoyés de Thiénaba Seck, puisque la peine de mort, qui doit être appliquée dans ce cas-là, n’est pas autorisée au Sénégal.
Historique du Gamou de Keur Mame El Hadji Ndièguène
La célébration de la naissance de notre Prophète, Seydina Muhammad (Saw), à Keur Mame El Hadji Barro Ndièguène, date de très longtemps. «Je ne puis vous donner une date exacte, mais ce qui est certain est qu’à ma naissance, j ai trouvé que ce Gamou avait déjà lieu», avait, de son vivant, fait savoir El Hadji Mouhammad Ndièguène, qui a vécu 107 ans, un peu moins que son illustre père, El Hadji Ahmadou Barro, rappelé à Dieu à l’âge de 111 ans. Pour les responsables de la commission d’organisation du Gamou, «la célébration du Gamou de Keur Mame El Hadji avait un autre visage, avant de prendre sa forme actuelle. Puisque jadis, dans la nuit du Maouloud, ceux qui maîtrisaient le Livre Saint récitaient le Coran, toute la nuit durant, jusqu’à l’aube, à haute voix, en faisant des allers-retours entre la mosquée et l’entrée de la maison. Une tradition communément appelée «Le Beuto». Par contre, ceux qui ne maîtrisaient pas les versets saints les lisaient autour d’un feu, d’autres, les talibés et des femmes, se contentaient de leurs chapelets». Ce, avec une totale dévotion au Tout-Puissant, et en l’honneur du Prophète Seydina Muhammad (Saw). Nombre d’années plus tard, après une longue période sous ce format, la célébration du Mawlid connut une évolution pour prendre sa forme actuelle. Ainsi, «l’introduction des chants religieux (récitals de poèmes dédiés au Prophète Muhammad), les causeries sur sa vie d’être les nouveautés de cet évènement».