LE MINISTRE ET MAIRE DE SAINT-LOUIS PROPOSE DE CRIMINALISER LES MIGRANTS CLANDESTINS
Aly Ngouille Ndiaye et Assane Dioma Ndiaye recadrent Mansour Faye

Depuis plusieurs semaines, les migrants ont repris les embarcations de fortune en direction de l’Europe où ils espèrent trouver un avenir radieux. En quelques jours, une trentaine de jeunes ont péri au large de nos côtes. Des drames qui ont suscité la colère des Sénégalais. A cet effet, le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, et le président de la Ligue de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, ont pris le contrepied de l’édile de Saint-Louis Mansour Faye qui demande la criminalisation de cette pratique.
Impasse ! Malgré les promesses du candidat — devenu chef de l’Etat depuis 2012 — Macky Sall de créer 500.000 emplois durant son premier mandat, le chômage reste toujours endémique dans notre pays où il frappe de plein fouet les jeunes. Sans emplois et sans perspectives, beaucoup parmi ces derniers choisissent donc la voie risquée de l’émigration clandestine par voie maritime. Avec beaucoup de « chances » de se retrouver au fond de la Méditerranée. Hélas, ces temps-ci, c’est au large de nos côtes mêmes qu’ils meurent, les embarcations à bord desquelles ils s’entassent soit chavirant soit prenant feu. Pour mettre un terme à ce phénomène inquiétant que beaucoup expliquent par le manque de travail des jeunes au pays, le ministre Mansour Faye — dont la ville, Saint-Louis, a payé un lourd tribut le weekend dernier aux accidents en mer — propose la criminalisation de la pratique.
Selon lui, c’est la seule façon de décourager les organisateurs et les migrants. «J’estime même qu’il faut penser à la criminalisation de la pratique, en tout cas de tout ce qui est passeurs, organisateurs, ceux qui profitent de la détresse des jeunes. Il faut les sanctionner durement et c’est une demande que nous lançons à l’endroit du chef de l’Etat pour pousser la réflexion à ce niveau. Il faut criminaliser cette pratique», a déclaré l’édile de Saint-Louis.
Face à cette déclaration du beau-frère du président de la République, Mansour Faye, le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye et le président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme Assane Dioma Ndiaye ont pris son contre-pied. « Ceux qui vivent de cela peuvent, dans le cadre de la stratégie qu’on a, être lourdement condamnés. Et on n’a pas forcément besoin de criminaliser », a indiqué le premier flic du pays, Aly Ngouille Ndiaye. Il a rappelé qu’avec la loi de 2005 sur la traite des enfants, les convoyeurs encourent jusqu’à 10 ans de prison. Cela étant dit, sanctionner plus durement encore ces migrants serait une catastrophe, estime-t-il. « Nous avons aujourd’hui un arsenal qui existe pour condamner de façon très ferme les convoyeurs notamment. Le dispositif n’est pas répressif pour les candidats à l’émigration parce qu’ils sont considérés comme des victimes », a expliqué le ministre.
Quant au président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme Assane Dioma Ndiaye, il est d’avis lui aussi que la criminalisation de cette pratique est contre-productive. « Le durcissement, ou encore la criminalisation, ce ne sont jamais des solutions productives en matière de crime. Ça veut dire que la personne qui est dans une situation de commettre un crime ne se soucie pas de la peine qu’elle encourt. Ce n’est pas pour autant que ça la dissuadera de passer à l’action. Avec l’émotion, forcément, il y a des propositions, des réactions de tous bords. Mais je pense que ce qui est le plus urgent, ce n’est pas une criminalisation du phénomène en tant que tel. L’expérience montre qu’une criminalisation n’a jamais été un facteur de dissuasion : la peine de mort est là par rapport à certaines infractions. Et regardez avec la criminalisation du viol, on assiste toujours à la recrudescence des viol partout à travers le Sénégal », a indiqué Me Ndiaye.
A cet effet, l’avocat propose de s’attaquer aux cerveaux qui embarquent ces jeunes dans cette aventure vers la mort. « On n’a jamais voulu savoir où aller jusqu’à la source pour s’attaquer vraiment au noyau, ce qui était l’épicentre du problème : les propriétaires de pirogues ou passeurs. Ce sont eux qui organisent les voyages et encaissent réellement l’argent. Oui, c’est le menu fretin, les migrants qui sont souvent traduits devant les tribunaux. Ces pauvres gens, dès qu’on les attrape, on les amène devant les tribunaux et les condamne. Pendant ce temps-là, les principaux responsables sont dans une impunité totale. Mais on constate de plus en plus qu’on recherche les organisateurs, ceux qui sont dans le réseau et incitent les jeunes au départ. C’est eux qui constituent le noyau du trafic, une association de malfaiteurs qui mettent en danger la vie des personnes, mais aussi font ce qu’on peut appeler un trafic d’êtres humains. Parce qu’en réalité, leur intention n’a jamais été de faire parvenir ces jeunes à destination, mais surtout d’encaisser de l’argent », s’est désolé le patron de la Ligue sénégalaise des droits humains.
Avant de donner la solution à ce problème : « Ce qu’il faut, c’est de s’attaquer aux vrais criminels : les passeurs et propriétaires de pirogues, qui sont jusque-là épargnés, au lieu de penser qu’il faut juste s’attaquer injustement aux candidats à l’émigration ». Car, encore une fois, selon Me Assane Dioma Ndiaye, la justice aura du mal à gérer tous les dossiers de ces migrants.