«LE PROCUREUR A DES POUVOIRS EXORBITANTS»
Le débat sur l’indépendance de la justice continue de défrayer la chronique
Le débat sur l’indépendance de la justice continue de défrayer la chronique. Et pour Souleymane Téliko, le modèle conservateur actuel doit la place à celui réformiste afin de permettre aux juges et magistrats d’être libres.
Me Assane Dioma Ndiaye a été témoin d’un fait qui s’est passé lors d’une audience à la Cour d’Appel. Un juge, après avoir reçu un document qui lui notifie son affectation vers une autre juridiction de l’intérieur a porté l’affaire devant cette Cour. Lors du délibéré sur cette affaire, l’avocat souligne que le procureur, qui avait reçu des directives venant de sa hiérarchie a rejeté l’appel de son camarade juge. «Le procureur avait requis dans le sens voulu par ses supérieurs», se rappelle la robe noire. Mais, après son réquisitoire bien orienté, le procureur prend ses responsabilités pour s’attaquer au mode de fonctionnement de la Justice. «Elle a dit ce qu’elle pensait de ce corps qu’elle considère comme manipulé», lance l’avocat Me Assane Dioma Ndiaye. Et ceci lui fait dire que la Justice est loin d’être indépendante. Cette indépendance tant souhaitée par les juges et autres magistrats ne date pas d’aujourd’hui. Pour le président de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS), la justice a toujours fonctionné de cette manière. «Ce n’est pas un débat de personne encore moins de régime, car tout le monde en a une part de responsabilité. Ceux qui sont dans l’opposition aujourd’hui, quand ils étaient aux affaires faisaient la même chose que ceux qui sont là», a dit Souleymane Téliko. Pour le magistrat, le pouvoir doit mettre en place toutes les conditions afin de garantir une indépendance de la Justice. Pour ce faire, M. Téliko estime qu’il faut d’abord respecter des principes comme celui de l’inamovibilité d’un magistrat. Ce qui revient à dire qu’un juge ne doit pas être affecté sans son consentement.
Pour le magistrat qui a remplacé à la tête de cette structure le juge Magatte Diop, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), dans son fonctionnement et sa structure, a des conséquences graves sur les nominations. «C’est une structure qui est là, mais de manière formelle. Elle doit garantir l’autonomie dans la carrière des juges, mais aussi préserver l’image et la perception qu’ont les populations de la Justice», dit-il. Souleymane Téliko lors de ce séminaire organisé par l’Association des Chroniqueurs Judiciaires du Sénégal en partenariat avec la Ligue Sénégalaise des Droits Humains, a soutenu que la Justice fonctionne avec un modèle conservateur et la présence active de l’Etat au Conseil Supérieur de magistrature est un mauvais symbole. Et celui-ci ne garantit pas l’indépendance de la Justice. Car, dans cette situation, les nominations sont proposées par le ministre de la Justice et validées par le président de la République sans même prendre en compte les critères de mérite et du travail. «L’Exécutif doit changer de paradigme et mettre en place un organe indépendant qui gère les nominations», ajoute M. Téliko.
DESEQUILIBRE TOTAL
A côté de ces conservateurs, il existe les réformistes comme le président de l’UMS et l’avocat Me Assane Dioma Ndiaye. Dans ce modèle, c’est le CSM qui fait les propositions pour les postes les plus importants et qui est présidé par une autre entité que l’exécutif. Cela enlèverait selon lui le malaise que connaît la Justice. «Les juges, dans ce cas ne se poseront jamais de question au moment de rendre leur verdict», confie le magistrat. Le président de l’UMS qui prône un modèle réformiste ajoute que la manière dont les postes sont donnés ne manque pas de conséquences. Cela se ressent même sur le travail. Car, certains sont découragés et c’est la justice qui perd en compétence. Après avoir gagné la bataille contre les consultations à domicile, l’UMS veut atteindre un autre objectif, c’est-à-dire avoir un système judiciaire fort. Des réformes, Me Assane Dioma Ndiaye aussi en a proposé afin de changer certaines choses au niveau du parquet. «Le procureur a des pouvoirs exorbitants. C’est lui qui pose les questions, prend des décisions et peut même anéantir la décision d’un juge», a dit la robe noire et président de la LSDH. Et ces pouvoirs rendent impossible l’indépendance de la Justice. L’avocat propose la mise en place de textes qui renforcent les juges. Me Ndiaye considère aussi qu’il y a un déséquilibre total entre le procureur et les autres parties. Pour lui, le repré- sentant du ministère public fait partie du procès comme les autres. Il souligne que dans les pays anglo-saxons, le parquet, la défense et la partie civile s’assoient sur une même ligne. L’avocat pense que le système judiciaire est politisé et que les juges ont les mains liés.