«LE SECTEUR INFORMEL EST L’UNE DES PREOCCUPATIONS DE L’ETAT»
Entretien avec…. Ibrahima Seck, directeur des Prestations familiales et sociales à la Css :
Au terme de la Journée de vulgarisation de la Convention bilatérale de sécurité sociale signée entre la République du Sénégal et le Royaume d’Espagne, tenue la semaine dernière, M. Ibrahima Seck, directeur des Prestations familiales et sociales à la Caisse de sécurité sociale, s’est entretenu avec Le Quotidien. Membre actif de la délégation sénégalaise qui a mené les discussions avec le Royaume d’Espagne pendant 7 années, il revient dans cet entretien, sur les discussions qui ont conduit à la réalisation de la Convention bilatérale de sécurité sociale, les opportunités qu’elle offre aux Sénégalais résidant en Espagne, l’importance de la sécurité sociale et son extension, notamment pour le secteur de l’économie informelle.
Vous avez été au cœur du dispositif qui a conduit à la signature de la Convention bilatérale de sécurité so¬ciale entre le Royaume d’Espagne et la République du Sénégal. Qu’est-ce qu’on peut en retenir ?
Oui ! Vous ne pourriez pas mesurer le degré de ma satisfaction en compagnie d’une si belle équipe, composée du ministère du Travail, avec à sa tête le Directeur général du Travail, M. Karim Cissé, les collègues de l’Ipres, le ministère de la Justice, le ministère des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur. Depuis 2013, nous travaillons sur ce projet de convention. C’est une grosse fierté parce que la seule convention sociale qui était jusque-là opérante au Sénégal, était la Convention franco-sénégalaise de 1974. Avoir passé 6 voire 7 ans à négocier, après des déplacements (3 fois) sur Madrid, des visioconférences pour convaincre notre partenaire de prendre en charge les préoccupations en matière d’accident de travail et de retraite de nos ressortissants établis en Espagne, cela a été un bonheur. Ils ne sont pas moins de 70 mille Sénégalais et 13 mille qui ont la nationalité espagnole, de s’être battus et voir dorénavant que ces compatriotes, une fois de retour chez eux, que leurs droits en rente d’accident du travail et celui à une pension de retraite leur soient versés ici au Sénégal, alors que jusqu’à présent cela n’était pas encore possible. C’est immense pour nous. Cela nous motive également à aller vers d’autres pays. La diaspora sénégalaise est à la fois énorme et dynamique. L’importance de son apport dans le Produit intérieur brut (Pib) du pays n’est pas à démontrer. Elle mérite tout le respect et le président de la République l’a bien compris, en érigeant la diaspora comme 15e région depuis 2012. Nous ne faisons que suivre un sillon tracé par le chef de l’Etat à partir d’une volonté politique, pour apporter notre expertise à rendre possible ce qui ne l’était pas jusque-là. Ou tout au plus de repousser les frontières de l’impossible au profit de l’extension de la protection sociale. C’est énorme. C’est une grosse satisfaction.
Un processus abouti mais qui n’a pas été facile. Qu’est ce qui va désormais changer dans la vie des Sénégalais établis en Espagne ?
Ce n’est pas facile effectivement. Jusqu’à présent, lorsque vous avez un accident de travail en Espagne, vous êtes invalidant. L’accident est soit mortel ou il vous rend totalement invalide. Vous restez en Espagne après, pour pouvoir bénéficier de vos rentes. Si vous sortez de l’Espagne, les rentes s’arrêtent. Aujourd’hui, grâce à cette Convention bilatérale de sécurité sociale, nous avons fait en sorte que lorsque vous rentrez chez vous, dans votre famille, que vous soyez pris en charge. Ce, même s’il y a aggravation de votre situation médicale, que la prise charge se fasse chez vous, auprès de votre famille. C’est énorme pour 70 mille Sé¬négalais. C’est le même cas pour les prestations de retraite. Lorsque vous rentrez chez vous, vous les percevez comme si vous étiez en Espagne.
Comment avez-vous réussi à faire intégrer les familles polygames dans cette convention ?
Par les arguments, nous avons fait comprendre à notre partenaire, l’Espagne, que ces personnes qui ont participé au développement économique de leur pays, doivent avoir la protection sociale comme les ressortissants espagnols. Il faut savoir que le Sénégal est le deuxième pays migrant de l’Afrique en Espagne, après le Maroc. C’est une façon aussi de les remercier. Ce sont des prestations sociales auxquelles ils ont droit et parfois même, pour lesquelles ils ont cotisé pendant plusieurs années. Nous respectons beaucoup les Espagnols pour leur compréhension, parce qu’ils ont été humains. Je vous assure qu’ils ont été très sensibles, même si les négociations n’ont pas été faciles à chaque fois. On avait en face de nous, des personnes sensibles, prêtes à faire des concessions pour que la coopération entre le Sénégal et l’Espagne puisse se poursuivre avec des acquis de cette envergure.
La convention ne prend pas en compte une certaine catégorie de migrants. C’est le cas des Sénégalais en situation irrégulière en Espagne et qui peuvent être régularisés du jour au lendemain. Est-ce possible d’avoir un avenant dans ce cas, pour l’intégration de ces derniers ?
Bien sûr ! Il y a un travail qui est en train d’être fait dans ce sens. Lorsqu’on parle d’irrégularité, cela veut dire quelque part qu’il faut régulariser leur situation. Quand ils sont irréguliers, c’est-à-dire qu’ils n’ont même pas de titre de séjour. Quand bien même ils travaillent parfois pour subvenir à leurs besoins. Bien que ce soit un travail au noir. Ils travaillent et peuvent être victimes d’accident, des drames peuvent survenir. Il faut travailler davantage à faire accélérer le processus de régularisation afin que lorsque des évènements de ce genre surviennent, qu’ils soient pris en charge. Lorsqu’ils sont régularisés et ont eu un accident de travail antérieur, il y a possibilité de les intégrer. Je vous donne cette affirmation et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous battons pour arriver à ce résultat. Main¬tenant, ce n’est pas une affaire de sécurité sociale uniquement. C’est une affaire qui a une dimension politique, sécuritaire. C’est dans un ensemble que nous allons régler ça, avec la participation des associations des migrants, l’ambassade d’Espagne, les autorités sécuritaires et l’implication des autorités des deux pays partenaires. Je suis optimiste pour l’avenir.
Est-ce à dire qu’avec cette convention bilatérale, c’est un bond en avant pour les migrations sûres, ordonnées et régulières ?
Sans aucun doute. D’ailleurs, j’en profite pour vous rappeler que le Sénégal a un peuple migratoire par essence. Depuis les indépendances, le salariat était arrimé aux métropoles. Ensuite, il y a eu des crises qui sont survenues, notamment la sécheresse de 1973, la crise pétrolière des années 70. Cela a entraîné un déplacement massif des populations rurales vers la capitale ; Dakar n’avait pas la capacité d’absorber ce salariat, cette main d’œuvre. Cela a eu comme conséquence : le développement du premier phénomène de secteur informel. Il s’est intensifié avec l’avènement des plans d’ajustement structurel des années 80, puis après la dévaluation, ensuite l’apparition du numérique avec l’internet, etc. il y a eu tout un processus qui a conduit au développement du secteur informel à une vitesse exponentielle, car seul lui était capable de créer des emplois qui n’étaient pas formels. Ces emplois n’étaient pas pris en compte par la sécurité sociale et, en même temps, le secteur s’est développé avec le phénomène migratoire. Ceux qui n’ont pas pu trouver leur compte à Dakar, ont vite développé des circuits migratoires. Je pense donc que travailler à la prise en compte des migrants irréguliers par leur régularisation dans la Convention bilatérale sécurité sociale, contribue fortement à encourager la migration sûre, ordonnée et régulière.
Est-ce qu’il ne faudrait pas faire de même pour enrôler le secteur de l’économie informelle qui crée 97% d’emplois ?
Il faut dire qu’il y a déjà des initiatives qui ont été prises. Vous avez vu la 3e Conférence sociale, le thème était : «Agir vite pour capter ce secteur informel.» J’ai eu la chance de faire partie d’un comité sur le régime simplifié des petits contrats, qui travaille essentiellement sur l’extension de la protection sociale au secteur informel, au genre. Nous avons beaucoup de femmes. Il suffit de regarder tous les soirs, chaque coin de rue, pour identifier des vendeuses de bouillie de mil, entre autres. Ces dernières sont exposées aux intempéries. Elles n’ont aucune protection sociale. C’est le même cas au marché des poissons. A 4h du matin, vous y trouvez ces dernières pour acheter du poisson et le revendre. On a beaucoup de gargotières, de restauratrices. Le secteur informel, c’est l’une des préoccupations de l’Etat. Pour avoir fait trente ans de sécurité sociale, je vous assure que le principal défi est de savoir comment faire. Mais, nous allons y arriver parce qu’on est tous animés par une bonne volonté. Nous avons une volonté politique avec tous les filets sociaux, le Programme des bourses de sécurité sociale, entre autres, il y a une forte volonté politique. C’est maintenant l’expertise qui doit se mettre à la disposition de cette politique pour que les efforts conjugués aboutissent à cette extension et cette prise en compte de 80% de la population active. Dans le secteur agricole, celui de l’élevage, il y a beaucoup de femmes qui y interviennent, sans aucune protection sociale. Avec tous les dangers que ces activités comportent. Ce sont des défis sur lesquels on travaille.
Quel mot à l’endroit des bénéficiaires de cette Convention bilatérale de sécurité sociale ?
Félicitations aux Sénégalais vivant en Espagne. Nous sommes partis du constat de tous les efforts qu’ils font pour survivre et mettre leurs familles en sécurité, à l’abri du besoin. Comme nous sommes des institutions de sécurité sociale chargées d’élargir la protection sociale, nous sommes à leur écoute. Ce que nous avons fait peut encore être amélioré et nous comptons sur eux.