LE SEVERE REQUISITOIRE DU JUGE TELIKO CONTRE L’EXECUTIF
La chancellerie a fait prévaloir, en lieu et place de la force de l’argument, l’argument de la force, de l’intimidation et du dénigrement dans le dessein de réduire au silence des voix discordantes
Les rapports entre l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) et la chancellerie ont été heurtés ces dernières années. Et l’ancien président de l’Ums, Souleymane Téliko, qui passait le flambeau à son successeur Ousmane Chimère Diouf, lors de l’assemblée générale élective de l’organisation, a vertement critiqué l’Exécutif qui, selon lui, cherche à réduire au silence toute voix discordante.
Après deux mandats non renouvelables aux commandes de l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums), le juge Souleymane Téliko a, au moment de passer le flambeau, peint un tableau sombre du fonctionnement de la justice. Même s’il considère qu’elle est crédible, car dotée «de magistrats, femmes et hommes d’une compétence rare, une intégrité à toute épreuve», l’ancien président de l’Ums a fustigé l’attitude des autorités de l’Exécutif vis-à-vis des magistrats. Pour bétonner ses accusations, il souligne que jusqu’au milieu de l’année 2020, le bureau de l’Ums entretenait avec la Chancellerie d’excellents rapports fondés sur le respect réciproque, la communication permanente et la franche collaboration.
Malheureusement, se désole-t-il, l’affaire Ngor Diop du nom de ce magistrat relevé de son poste de président de tribunal de Podor pour avoir mis sous mandat de dépôt un chef religieux a vicié les relations entre l’Ums et le ministère de la Justice. A partir de ce moment, rappelle Souleymane Téliko, les magistrats ont fait l’objet de multiples manœuvres de déstabilisation dirigées notamment contre l’Ums et son président. A cet effet, il cite la parution dans la presse de la lettre de démission d’un des membres de l’Ums. Convaincu que nul n’a le monopole de la vérité, le juge Téliko estime «que les divergences, aussi profondes qu’elles puissent être, doivent pouvoir s’exprimer de manière civilisée, à travers un débat d’idées, dans le respect de la liberté d’opinion que la loi reconnaît à chacun d’entre nous».
Malheureusement, relève président de l’Ums, la chancellerie a fait prévaloir, en lieu et place de la force de l’argument, l’argument de la force, de l’intimidation et du dénigrement dans le dessein de réduire au silence des voix discordantes. «Que des particuliers malintentionnés s’adonnent à un tel exercice de dénigrement contre des magistrats est déjà, en soi, suffisamment grave. Mais lorsque les auteurs de tels actes peuvent le faire sans coup férir, dans de pareilles circonstances, ce n’est pas seulement l’honneur de telle ou telle personne qui est en cause, mais l’autorité et la crédibilité de l’institution judiciaire qui se trouvent aussi bafouées », tranche le président sortant de l’Ums.
Pourtant, il estime que rien de ce que prône l’organisation qu’il dirigeait n’est fondamentalement nouveau, encore moins révolutionnaire. «Il s’agit d’un débat de principe qui transcende les régimes», dit-il avant de déplorer : «Ce qui est nouveau, en revanche, c’est cette posture de l’Exécutif qui, non content de rejeter toute perspective de réforme en profondeur de notre mode de gouvernance judiciaire, semble décidé à réduire au silence toute voix discordante qui se fait entendre à ce sujet.
«NOUS NE SOMMES D’AUCUN CLAN POLITIQUE, NI D’AUCUNE CHAPELLE»
Afin de lever toute équivoque par rapport à l’attitude du magistrat, Souleymane Téliko souligne que l’obligation de réserve n’est pas un confinement au silence, encore moins la négation de la liberté d’expression. «S’il peut arriver que, dans l’exercice de la liberté d’expression que leur consacre leur statut, les magistrats rament à contrecourant des positions dominantes, cela ne doit pas, pour autant, faire d’eux des adversaires désignés d’un quelconque régime. Je le dis ici avec force : nous ne sommes d’aucun clan politique, ni d’aucune chapelle, si ce n’est celle de la Justice que nous avons l’honneur et le plaisir de servir», martèle Souleymane Téliko.
Par conséquent, il invite les pouvoirs publics à comprendre qu’ils n’ont pas en face d’eux des adversaires, mais des acteurs responsables, soucieux de l’intérêt général et ayant à cœur de servir loyalement et dignement leur pays. S’adressant à ses collègues, l’ancien président de l’Ums estime que le souci de préserver le fil du dialogue ne doit pas les conduire à cautionner ou à passer sous silence des violations de principes qui garantissent l’indépendance de la justice et l’épanouissement professionnel des acteurs. «Dans notre office quotidien de magistrat, comme dans le cadre de l’exercice du mandat à la tête de l’Ums, nous devons, sous peine de trahir notre mission, éviter de faire prévaloir la crainte de déplaire sur le devoir de vérité et de justice », prévient-il.