LE TOILETTAGE DE LA LOI 1964 SUR LE DOMAINE NATIONAL S’IMPOSE
Depuis quelques années déjà, la tension monte entre populations locales, bénéficiaires d’attributions foncières, exploitants familiaux, ou investisseurs privés
La question du domaine national et de la problématique des terres est une véritable bombe pour la cohésion et l’harmonie sociale jusqu’ici, légendaire. Depuis quelques années déjà, la tension monte entre populations locales, bénéficiaires d’attributions foncières, exploitants familiaux, ou investisseurs privés. Une situation préoccupante parce qu’instaurant beaucoup d’incertitudes et d’insécurités au niveau local. Dans ce dossier, des experts préconisent le renforcement de la loi et la mise en pratique des décrets d’application.
Le domaine national sénégalais est régi par la loi 64-46 du 17 juin 1964 qui, lui-même, est subdivisé en 4 catégories de terres : à savoir les zones urbaines, les zones classées, les zones pionnières et les zones de terroir. En l’espèce, il est question de la 4ème catégorie. Avec l’urbanisation des campagnes, la ruralisation galopante des villes et l’envahissement des investisseurs étrangers, le foncier se révèle en véritable enjeu stratégique de survie, entrainant des tensions régulières un peu partout sur le territoire national. Un mal être, bien compris par le chef de l’Etat Macky Sall, qui d’ailleurs, n’a pas manqué de saisir le ballon au rebond lors de la journée nationale de la décentralisation d’octobre 2020 pour demander aux maires de ne pas «octroyer des terres sans motif valable».
À cette circonstance, il avait clairement déclaré qu’il recevait «au quotidien entre 20 et 50 dossiers portant sur le litige foncier». Ce, pour montrer combien il urge ensemble de trouver solutions aux nombreux litiges fonciers. Dans sa lecture des choses, l’heure était venue de s’assoir autour d’une table pour revoir ensemble les limites de tout ce qui a été fait jusqu’ici dans le sens d’une bonne gouvernance du foncier. Sur ce, devant un conglomérat de maires venu prendre part à cette journée, il leur adressa ceci : «il faut, en raison de la complexité de la gestion des terres, concilier tradition et modernité, mais aussi les besoins locaux et les intérêts nationaux». Il a, ensuite expliqué les contours du décret pris en septembre dernier, relativement à l’affectation et à la désaffectation des terres du domaine national. Qui selon lui : «va dans ce sens».
Face à ce parterre de décideurs politiques à la base, le président Sall avait souligné la nécessité de «mener une réflexion sérieuse sur la difficile question du foncier dans le but de revoir la distribution des terres afin de ne pas léser les générations futures», alertait le chef de l’Etat. Ce constat alarmant l’amena à dire : «Une réflexion sérieuse doit être faite. Il faut une réforme et voir comment distribuer les terres», avait-il invité. a regarder de près, on sous-entend du président de la république que c’est la loi 64-46 du 17 juin 1964 qu’il faille réviser.
LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL EST UN BON TEXTE
Mais cette proposition n’agrée pas amadou Tidiane Wane, ancien conseiller du président Abdou Diouf sur les questions de développement rural, non moins ancien responsable socialiste et ancien coordonnateur des maires du Sénégal. Pour lui : « la loi sur le domaine national est excellent », précise-t-il d’emblée, avant de faire remarquer sa tentative de réforme qu’il avait envisagé pendant qu’il était aux affaires : « Moi-même, à un moment j’ai essayé de voir dans quelle mesure il était possible de réviser cette loi mais je m’en suis vite rendu compte que cette loi était vraiment bonne. Surtout quand il s’est agi de l’après barrages dans la vallée du fleuve Sénégal».
Convaincu que la terre transcende sa valeur vénale M. Wane, par ailleurs ancien directeur général de la Caisse de Péréquation et de stabilisation des prix (Cpsp), met en évidence la vielle histoire entre l’homme et la terre, singulièrement l’africain. Pour lui : «la loi sur le domaine national est très claire en ce sens qu’elle stipule que seul un Sénégalais, habitant le terroir est en droit d’avoir le foncier pour faire de l’investissement. Or, de plus en plus ces terroirs sont envahis par des investisseurs étrangers, soutenus par les plus hautes autorités du pays sous prétexte qu’ils investissent. Donc, participent au développement à la base, en créant de l’emploi et de la richesse. Mais, en réalité, ce sont des emplois moins-disant. Car, ce sont des emplois de secondes tâches». Donc, «il faut respecter les décrets d’application de cette loi», clame-t-il. Concernant les investisseurs nationaux, il convoque la constitution sénégalaise qui stipule que « le citoyen sénégalais peut habiter où il veut et y faire des investissements mais à la condition d’y habiter et payer des impôts», explique-t-il.
LE RENFORCEMENT DE LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL EST IMPERATIF
Moustapha Ngaïdo, enseignant à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, par ailleurs, expert associé à l’Initiative, prospective agricole et rurale (Ipar) déconseille de ne pas jeter le domaine national aux orties. Certes, explique-t-il : « Il y a des insuffisances par rapport à la loi sur le domaine national. Pour autant, il ne faut pas le jeter dans la poubelle ». L’universitaire de proposer une revue de ladite loi, qui pour lui «est dépassée sur plusieurs points notamment sur le développement durable». Poursuivant son argumentaire, il indique : «en 1964, on ne parlait pas de développement durable. Or, maintenant toutes les lois foncières que nous avons, intègrent la problématique du développement durable». le second point évoqué est relatif au déplacement des populations. Sur ce, il dira : «lorsqu’il est question de déplacer une population pour un projet d’intérêt général, il faut respecter un certain nombre de principes notamment le libre consentement et éclairé des populations concernées. Et ceci est bien pris en compte dans la plupart des lois en vigueur. Or, ceci n’était pas pris en compte dans la loi 64». autre point soulevé et qui n’est pas des moindre, admet-il : « Certes, nous avons des problèmes en ce qui concerne le foncier rural mais également avec le foncier urbain. Et sur ce, il faut à mon avis revoir un certain nombre de réformes importantes soient mises en place», oriente-t-il. Et d’ajouter : «il faut revoir le travail qui a été fait par la commission nationale de réforme foncière si on estime qu’il y a des insuffisances pour voir comment relancer le processus de réforme foncière…».
IL FAUT DONNER DU SENS AU TEXTE
Mamadou Mignanne Diouf, coordonnateur du Forum civil de soutenir ceci : «la terre, c’est ce qui fait la vie et tout ce qui fait la vie intéresse tout le monde. Donc, c’est normal la convoitise. la convoitise liée à l’- habitat, à l’agriculture, à la transformation et à l’occupation ». aujourd’hui, souligne-t-il : «Notre pays ne fait pas exception à la problématique des terres. Ceci est constatable partout dans le monde. Et c’est même l’actualité brulante. les investisseurs privés frappent à toutes les portes où ils estiment pouvoir se faire des affaires. Donc, tout pays ne disposant pas d’un cadre juridique normé et mis en application s’explose naturellement à des conflits pouvant déboucher sur de grandes crises». Il estime que nos lois sont bonnes. «le Sénégal dispose de bonnes lois, et je crois sincèrement ce qu’il faut faire, c’est de mettre en pratique les décrets d’application», conseille-t-il. Evoquant le cas des collectivités territoriales où l’on note plus de difficultés, il fait savoir que «c’est tout à fait normal qu’apparaissent dans ces collectivités plus de problèmes pour la simple et bonne raison que ce sont les collectivités territoriales qui délibèrent».
Toutefois, fait-il remarquer «dans ses terroirs, il se pose souvent le problème de respect des procédures de délibération, de favoritisme, et de corruption», déplore-t-il. Pour s’en convaincre ajoutera-t-il : « à ce que je sache ce sont les collectivités territoriales qui font les délibérations et qui les soumettent pour validation à l’autorité administrative habilitée à approuver le délibératif », explique-t-il. Donc, « il faut que les décrets d’application du domaine national soient respectés pour éviter ces litiges fonciers. Parce que dans certains cas, on constate des abus de pouvoir, de corruption, de copinage et d’incompétence». Bref, préconise-t-il : «il faut qu’on applique la loi en sanctionnant les hors-la-loi»