L’ENTRETIEN-VÉRITÉ DE CHEIKH TIDIANE SY AL AMIIN
Fils de Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amin et président du Cadre Unitaire de l’Islam (Cui), Cheikh Tidiane Sy est revenu sur les soubresauts de cette médiation et les attaques subies par les chefs religieux dans l'affaire Sonko
Il a été le bras technique des médiations entreprises par les émissaires des khalifes généraux avec les différents protagonistes dans la grave crise née de l’arrestation de Ousmane Sonko. Fils de Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amin et président du Cadre Unitaire de l’Islam (Cui), Cheikh Tidiane Sy est revenu sur les soubresauts de cette médiation etles attaques subies par les chefs religieux dans cette affaire
Comment jugez-vous ces attaques contre les représentants des khalifes ?
C’est vrai, on a subi des attaques venant parfois même de certains religieux qui n’étaient pas impliqués dans la médiation. Je n’ai pas compris pourquoi. Mais aujourd’hui, je peux dire que cette médiation a été initiée par le CUI, mais sous l’autorité des différents khalifes généraux de ce pays. Maintenant, quand les gens ne sont pas dans le secret des dieux ou bien qu’ils sont loin des centres de décision des familles religieuses, ils peuvent ne pas avoir les bonnes informations et instrumentaliser la presse à ce titre. C’est ce qui s’est passé. Le CUI a simplement organisé les conditions d’une médiation. Nous avons juste été le bras technique, si je peux dire, dans cette médiation. Et c’est sur cette base-là que nous avons entamé d’abord des discussions avec le président de la République sur sa demande. Le président de la République avait lui-même senti la nécessité d’un apaisement. Et c’est lui qui a initié cet appel à l’apaisement, quand il a su que les religieux étaient en train d’intervenir. Il a ouvert ses portes pour montrer toute sa volonté à dialoguer. L’opposition aussi, dans sa globalité, nous a saisi par le biais d’Alioune Tine qui est intervenu de manière très active dans ce dossier. Il nous a permis d’approcher l’opposition et de discuter avec elle. Elle a montré aussi toute sa disponibilité à aller vers un apaisement. Les religieux ont encore une fois joué leur rôle. Dans les moments de crise, on se retourne vers eux pour leur demander d’intervenir, car ils sont les dépositaires des cœurs, de la sensibilité du peuple. Ils ont joué sur cette corde pour faire revenir la paix. Et uniquement pour la paix. Il y a une mauvaise perception que les gens ont de plus en plus du religieux, qu’ils sont des parasites, qu’ils sont dans des dispositions à se nourrir du sang du peuple, on leur donne de l’argent gratuitement. C’est une fausse perception que les Sénégalais ont de plus en plus des religieux. Mais dans cette affaire, Ils ont, une fois encore, montré qu’ils ne sont pas dans ce registre et qu’ils sont dans des schémas de régulation.
Une partie de l’opinion et certains acteurs politiques trouvent que les religieux ont réagi un peu tardivement. Qu’en pensez-vous ?
On était quand même dans un cas assez spécifique parce que dès le début, on a parlé d’une affaire privée. Il est difficile pour un religieux d’intervenir dans une affaire privée qui concerne deux citoyens, même si l’un d’entre eux est un citoyen hors du commun. Je vais taquiner le Président qui disait que les religieux sont des citoyens ordinaires. Cette affaire a montré qu’il y a parfois des citoyens qui ne sont pas ordinaires. Autant pour celui qui était accusé que pour ceux qui sont intervenus pour que les choses se calment. Cela veut dire juste que dans ce pays, il y a des citoyens qui, lorsqu’ils entrent en action, peuvent tourner le cours de l’histoire. Au début de cette affaire, j’ai été saisi pour faire la médiation mais je ne voyais pas par quel bout prendre l’affaire. Est-ce qu’il fallait demander à la personne qui a porté plainte de la retirer ? Est-ce qu’il fallait demander à l’accusé de répondre à la justice ? Je n’avais pas les réponses. Malheureusement, nous sommes passés d’une affaire politique à une affaire sociale. C’est là que maintenant entrent en jeu les religieux en tant régulateurs sociaux. C’est à ce niveau-là que la médiation a véritablement démarré. Il fallait d’abord parler au peuple. Par la suite, nous avons approché le M2D pour discuter avec eux sur les schémas de sortie de crise sociale. De même, nous avons discuté avec le président de la République. Donc c’est lorsque la tension a commencé à monter que les religieux sont entrés en jeu. Pour moi, il n’y pas eu de retard. Il faut dire aussi qu’il y a eu en amont une médiation au plus haut niveau, parce que les khalifes généraux sont des conseillers gratuits, si je peux dire, des différents protagonistes. Ils ne sont jamais insensibles à des situations pareilles.
L’activiste Kémy Séba a demandé aux Sénégalais de choisir entre la révolution et le «Masla», en tirant sur les chefs religieux….
Révolution vers quoi ? Nous sommes dans un pays, parfois avec des crises que nous transcendons dans la discussion et la concertation afin de trouver une nouvelle voie qui nous permet d’ajuster notre trajectoire. Une révolution, c’est un changement de paradigme total. Est-ce qu’on a aujourd’hui les moyens de mener une révolution ? J’ai entendu Ousmane Sonko dire que la révolution est en marche. C’est sa conception de la politique. Moi je pense personnellement qu’aujourd’hui, nous avons besoin de discuter sur des schémas de développement qui puissent nous permettre progressivement d’aller vers le mieux-être. Le Sénégal est un peuple de «Masla». Ce qui n’est pas mauvais en soi contrairement à ce que pourrait penser l’activiste Kémi Séba. On a fait une indépendance sans verser de sang. Est-ce que c’est mauvais en soi ? Des pays comme l’Algérie continuent à panser leurs plaies. Ce pays a pris son indépendance dans le sang. Il est dirigé pratiquement par des militaires depuis la guerre d’indépendance. Vous prenez le cas de la Guinée qui a pris une indépendance très tendue, jusqu’à présent, elle n’arrive pas à avoir une démocratie correcte. Franchement, je ne me retrouve pas dans ces schémas révolutionnaires. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est rediscuter notre trajectoire, notre développement économique et social, de gouvernance politique, de management publique. Ce sont des choses sur lesquelles nous pourrons discuter. On doit ouvrir un dialogue national sur des bases beaucoup plus réfléchies et qui correspondent aux besoins de l’heure. Le dialogue qu’on avait eu jusque-là n’était pas une demande sociale. Aujourd’hui, elle est plus que nécessaire, car il y a une cassure entre la jeunesse et l’Etat. Elle a besoin d’être recollée.
L’autre explication des émeutes, selon de nombreux spécialistes, c’est le chômage endémique de la jeunesse. En tant que chef d’entreprise, quelle doit être la réponse efficace face à ce problème?
Depuis l’indépendance, toutes les politiques de jeunesse ont échoué. La raison, c’est qu’elles sont toujours axées sur la création de l’emploi par l’Etat. On a beau dire la nécessité que l’Etat ne crée pas des emplois, mais quand il s’agit de définir les politiques d’emploi, on dirait qu’il oublie cette assertion pour mettre en place des schémas de création d’emplois, alors que le rôle de l’Etat est de mettre les conditions de création d’emplois et non de les créer. On a connu le financement des maîtrisards avec Abdou Diouf. C’était un échec. Quand le Président Abdoulaye Wade est venu au pouvoir, il a mis en place le FNPJ avec tout ce que cela avait comporté comme moyens mobilisés. Echec ! Aujourd’hui, Macky Sall essuie le même échec. Et je suis obligé d’être crû avec la DER même si le coordinateur Pape Sarr fait un travail de terrain très assidu. Les derniers évènements ont montré que ces politiques n’ont pas donné des fruits. Je suis un ancien banquier et j’ai l’habitude de dire que la microfinance ne peut pas permettre à un pays de se développer. C’est une parenthèse pour entretenir les gens dans la pauvreté. Elle permet de régler des problèmes ponctuels, sans avenir. Ce qu’il faut, c’est mettre en place une véritable politique de développement, en développant des chaînes de valeur dans tous les secteurs d’activités pour que des privés nationaux puissent créer des emplois via des entreprises viables. Sans cela, on sera toujours dans un éternel recommencement. Malheureusement aujourd’hui, l’Etat n’a pas mis les conditions d’émergence de champions nationaux. Et il faut reconnaître que le Sénégal a une grande distribution qui est entre les mains des étrangers. On dit qu’on est un pays pétrolier, mais les PME sénégalaises ne sont pas mises à niveau pour pouvoir accompagner les grandes multinationales qui vont intervenir dans ce secteur. Ce qui risque de se passer, d’autres PME européennes vont venir prendre ces parts dans le pétrole. Si l’Etat veut une vraie politique de développement, la souveraineté nationale doit être mise en avant.
Qu’est-ce qui explique le silence du khalife des tidianes?
On ne jette pas de l’huile sur le feu. Et nos khalifes généraux savent quand parler, comment parler et à qui parler. Pour moi, c’est même manquer de respect à nos guides que de dire qu’ils doivent prendre la parole. Ce sont des gens qui sont au fait de ce qui se passe dans le pays. Ils maîtrisent aussi bien les enjeux que les dangers. Il est vrai qu’on connaît le franc-parler de mon père et guide Serigne Babacar Sy Mansour, mais il parle quand il le faut. Ce n’est pas quelqu’un qui parle à tout bout de champ pour faire plaisir à des personnes. Il avait pris ses responsabilités avec la Covid-19. Mais avec cette crise, il a estimé qu’il fallait gérer ça avec la manière la plus discrète, la plus inclusive pour que chacun prenne ses responsabilités.
Certains sénégalais pensent aussi que les marabouts profitent de la «Baraka» de leurs grands-pères pour vivre sur le dos des fidèles..
J’ai toujours dit qu’il ne faut pas qu’on transforme nos foyers religieux en royauté. Nous, jeunes religieux, nous nous prenons maintenant pour des princes. Nos pères et grands-pères ont eu toujours des activités en dehors de leurs missions religieuses. Si vous prenez El hadji Omar Tall, Serigne Touba ou encore El Hadji Malick Sy, ils ont vécu des périodes de résistance où il leur faillait survivre parce qu’ils étaient face à un adversaire qui était la colonisation. Les chefs religieux doivent développer des activités qui leur permettent de gagner leur vie. C’est une fausse perception de penser que les marabouts au Sénégal sont des parasites. Nos guides ont toujours eu des activités qui leur permettaient de subvenir à leurs besoins. De plus en plus, la nouvelle génération pense qu’elle peut vivre de la «Baraka» de ses ancêtres. Même si cette «baraka» existe, je pense qu’ils doivent donner l’exemple. Ils gagneraient à devenir des modèles. Ils ont effectivement un rôle social à jouer. Mais cela ne les empêche pas de tenir un rôle citoyen tout court.
Le Cadre Unitaire de l’Islam que vous présidez a-t-il les coudées franches pour agir efficacement dans l’espace social ?
Notre rôle, c’est de prôner le vivre ensemble. C’est aussi de promouvoir les sciences religieuses. C’est par la force des choses que nous sommes entrés dans la médiation. D’abord quand nous avons senti qu’il y avait des dissensions entre musulmans concernant le croissant lunaire et des conflits dans les réseaux sociaux. C’est pourquoi, le Cadre unitaire est une structure agréée de Facebook au Sénégal. Cela veut dire qu’il a la possibilité de demander à Facebook d’enlever une image choquante ou bien qui peut saper l’unité nationale. Nous pensons que le rôle que joue le Cadre doit être renforcé. Nous pouvons être des passerelles entre les différentes communautés religieuses. Car il est important que les religieux se concertent de manière systématique sur tous les sujets ayant trait à la religion. Aujourd’hui, le culte est géré par le ministère de l’Intérieur. Mais je pense qu’il y a une nécessité de prise en charge du culte par l’Etat du Sénégal de manière formelle. Pour moi, un ministère du culte ne serait pas de trop..