LES JEUNES ATTIRÉS PAR LES SIRÈNES DE LA MER
Une vague d’émigration clandestine sans précédent est constatée à Cayar
Thiès, première région minière du Sénégal en termes d’implantation et de contribution, a abrité le premier atelier du Projet d’appui à la dissémination et au suivi des contrats miniers, gaziers et pétroliers à l’initiative de la coalition Publiez ce que vous payez (Pcqvp), en collaboration avec Appui à la gouvernance et aux initiatives de la société civile (Agis). Une occasion pour les acteurs et experts de faire une analyse critique de l’impact de la découverte de ces ressources dans la région de Thiès, surtout à Cayar où une vague d’émigration clandestine sans précédent est notée, mais également dans la zone des Niayes avec l’exploitation exponentielle de la nappe phréatique par les industries minières implantées dans la zone.
Troisième centre de pêche artisanale du Sénégal, Cayar navigue désormais sur un océan d’or noir avec les récentes découvertes d’un important gisement de pétrole et de gaz sur ses côtes. Une situation qui ne devrait pas être sans conséquences sur les activités de pêche dans cette localité considérée comme un grand pôle économique de pêche, d’agriculture et surtout de commerce, selon Lamine Dramé, ancien maire de Cayar. S’exprimant au cours d’un atelier sur le Projet d’appui à la dissémination et au suivi des contrats miniers, gaziers et pétroliers, organisé par la coalition Publiez ce que vous payez (Pcqvp), composé de l’Ong la Lumière, du Forum civil, d’Amnesty, de la Raddho, d’Enda, de l’Ondh et du Réseau des personnes affectées par les opérations minières, en partenariat avec Appui à la gouvernance et aux initiatives de la société civile (Agis). Le formateur spécialiste en décentralisation et développement local de signaler qu’«impact de l’exploitation du gaz et du pétrole ou pas, la commune de Cayar vient de connaître la saison de pêche la plus désastreuse de son histoire». Il estime que «les mise à terre (produits capturés) ont baissé de plus de la moitié. Un manque à gagner énorme qui a des conséquences sur le devenir des populations dont la pêche était jusqu’ici la seule activité, source de revenus. C’est une saison où il n’y a pas eu de campagne à Cayar. Et cette exploration du pétrole et du gaz sans aucun doute a eu des effets néfastes sur la pêche dans la ville côtière».
Conséquence : «Une vague d’émigration clandestine sans précédent est constatée.» Une situation qui rappelle, selon M. Dramé, «celle qui avait frappé la localité en 2006, avant de s’estomper par la suite dans les années 2010». Et de poursuivre : «Ce que nous avons vécu ces derniers mois est pire que ce que nous avons connu en 2006. Depuis avril, près d’un millier de jeunes quittent la commune pour aller en Espagne. Et le plus écœurant ces derniers jours, ce sont les femmes et les enfants de 12 à 13 ans qui partent sans perspective, sans objectif en Espagne.» Du coup, «ils créent une situation sociale désastreuse au niveau de Cayar parce que beaucoup de pirogues laissées à quai ne peuvent plus aller en mer. Et au niveau des familles, ils laissent derrière eux de jeunes épouses, de jeunes enfants. Et cela est sans conséquences au niveau social parce que les parents vont faire face à des charges qu’ils ne peuvent pas assumer». Et d’ajouter que «cette même tension sociale, ils l’ont aussi créée en Espagne. Les ressortissants de Cayar établis en Espagne, qui accueillent ces derniers, sont en train de lancer un cri du cœur parce qu’ils ne parviennent plus à les héberger et ils ne peuvent pas les laisser dans les rues». Il termine par déplorer «des pertes immenses de mise à terre, estimées entre 2 et 4 milliards de F Cfa de revenus, de chiffres d’affaires, alors que la société qui explore n’a donné que 106 millions de fonds de dotation à la commune. Mais qui va combler ce gap ?», s’interroge Lamine Dramé comme pour dire que ce que «l’Etat gagne ne vaut pas ce que perdent les populations. Ce sont des ressources nationales qui appartiennent au Peuple selon la Constitution». Mais ceux qui subissent les conséquences de l’exploitation, ce sont les localités où on exploite les ressources. Au moins, il devrait y avoir une discrimination positive en faisant des investissements au niveau de ces localités, construire des écoles et des infrastructures de formation professionnelle pour préparer ces jeunes à faire d’autres métiers. Mais, insiste-t-il, «il faut prendre des mesures pour atténuer la crise sociale qui va s’installer dans les prochains mois au niveau de ces familles où les jeunes sont partis. L’Etat doit prendre des mesures et régler ce problème au profit des populations».
Pire qu’en 2006
Que dire de l’impact de ressources minières dans la zone des Niayes, menacée par le géant Dangote qui exploite de manière «exponentielle sa nappe phréatique» ? «Nous avons été informés que les fours utilisés au niveau de la cimenterie Dangote ont besoin de beaucoup d’eau pour pouvoir se refroidir. Et les populations riveraines craignent que cette eau pompée n’impactent leur vécu parce qu’il ne faut pas qu’on arrive à une situation où on aimerait avoir de l’eau potable et qu’on ne puisse pas l’avoir», alerte Dénèba Diouf, 3e adjoint au maire de la commune de Thiès-Ouest. Qui ne manquera pas de signaler les impacts négatifs que cela va avoir sur l’agriculture et le maraîchage dans cette zone où plus de 80% des légumes du Sénégal sont cultivés. Le représentant du président du Réseau des élus locaux pour la gouvernance des ressources minérales de signaler que «nous ne sommes pas contre la création d’entreprises pour se développer, mais il faut respecter les normes environnementales». Il déplore «la signature des contrats qui sont assez vagues sur la responsabilité de ces entreprises par rapport à ce qu’elles doivent faire pour combler ce gap». Pour dire qu’«on note qu’il y a une insuffisance, un manque de clarté et d’initiative sur les choses qui devraient être prises en compte et très clairement dans les contrats signés avec les exploitants envers les populations impactés».
Ainsi, il a salué l’organisation de cet atelier qui «nous offre aujourd’hui une meilleure visibilité des contrats qui sont signés par l’Etat du Sénégal dans le cadre de l’exploitation des mines, du gaz et du pétrole». Dans la même lancée, la coordonnatrice de l’Agis, Aminata Niang Ndiaye, revenant sur la pertinence de ce Projet d’appui à la dissémination et au suivi des contrats miniers, gaziers et pétroliers, mis en place par sa structure avec l’appui d’Osiwa et l’ambassade de la France au Sénégal, estime qu’«au total, 37 contrats et 16 conventions minières ont été signés par l’Etat. Il y a eu beaucoup de débats sur le contenu de ces contrats. Et comme vous le savez, ce sont des contrats et conventions très techniques. Alors, nous nous sommes dit qu’il faut, comme les ressources naturelles appartiennent au Peuple, que les citoyens puissent comprendre leur contenu et ainsi apporter leurs préoccupations, surtout les obligations des investisseurs, mais également le contenu local. Et c’est dans ce cadre que nous avons décidé de faire une étude critique, indépendante qui va utiliser toute la rigueur scientifique pour éclairer les gens sur les différents aspects de ces conventions et contrats pour au finish apporter une grille de lecture simplifiée pour que tout Sénégalais puisse lire et comprendre. C’est une étude d’analyse critique sur les contrats pétroliers, gaziers et sur les conventions minières. Nous avons restitué l’étude au niveau national avec des recommandations claires envers l’Etat du Sénégal qui a enclenché une réforme du Code pétrolier. Et c’est l’occasion pour que les gens puissent prendre en compte toutes les autres parties prenantes». Elle conclut : «Aujourd’hui, nous sommes à Thiès, première région minière du Sénégal, pour restituer cette étude et nous allons ensuite aller à Saint-Louis, à Kédougou», explique la coordonnatrice de l’Agis devant les experts dans les domaines pétroliers, gaziers et miniers qui ont passé en revue les différents contrats signés par le gouvernement.