LES KAMA, UNE SAGA FAMILIALE AU SERVICE DU SENEGAL
Cette grande famille sérère dont l’histoire prend les contours de Mbodiène d’où sont originaires les parents des Kama (Amath et Fatou Diouf) a marqué la vie politique du pays des indépendances à nos jours

La mort de Mansour Kama ce dimanche 02 août constitue l’épilogue de la saga d’une famille qui à travers le défunt et ses deux autres frères disparus avant lui, le juge Laïty et l’administrateur civil Pierre Babacar, a été au service de l’Etat et du peuple notamment le secteur privé local.
Autant le premier nommé a été l’artisan de la défense du patronat national et fervent acteur du patriotisme économique, autant ses deux ainés se sont brillamment illustrés à travers la justice sénégalaise et internationale, mais aussi dans la Haute administration du pays. Si la jeune génération connaît plus ou moins le président Mansour Kama, elle peinerait à évoquer les deux autres illustres fils qui ont marqué le Sénégal par leur engagement, leur courage et leur contribution dans sa construction. Le Témoin évoque la saga fabuleuse des Kama.
Comme celle des Kennedy aux Etats-Unis, en moins flamboyante, l’on peut bien parler au Sénégal d’une saga des Kama. Cette grande famille sérère dont l’histoire prend les contours de Mbodiène d’où sont originaires les parents des Kama (Amath et Fatou Diouf) a marqué la vie politique de notre pays des indépendances à nos jours. Rarement, une famille n’a été aussi présente que celle des Kama aux plus hautes sphères de l’Etat (Leïty Kama et Pierre Babacar) et au sein du privé national. Le premier, l’aîné de la famille, le juge Laity Kama, né en 1939 à Dakar et décédé le 6 mai 2001 à Nairobi (Kenya) fut le premier président du tribunal pénal international pour le Rwanda (tPIr), une fonction qu'il occupa de 1995 à 1999, pour deux mandats successifs.
Laity Kama entre dans la magistrature au Sénégal en 1969. Il a exercé comme procureur adjoint près la cour d'appel et la cour d'assises de Dakar pendant quinze ans. En 1992, il est nommé premier procureur-adjoint à la cour suprême du Sénégal.
En parallèle, Laïty Kama enseigne pendant vingt ans à l'École nationale d'administration et de magistrature (ENAM) de Dakar, un établissement qu'il a contribué à fonder1. En mai 1995, il est nommé juge auprès du tribunal pénal international pour le Rwanda (tPIr) et occupe ce poste jusqu'en juin 1999. Il est aussi élu premier président du tPIr, un poste auquel l'avocate sud-africaine navanethem Pillay lui succède en 1999. Il meurt le 6 mai 2001. À sa mort, le drapeau des nations unies est mis en berne devant le tribunal pénal international pour le Rwanda (tPIr). Tom Kennedy, le responsable du service de presse et des relations publiques du tPIr, qualifie la disparition du juge Kama de « triste perte ». En octobre 2001, l'une des trois salles d'audience du tribunal pénal international pour le Rwanda est dédiée au juge Kama…
Pierre Babacar Kama, le grand capitaine d’industrie
Si l’ainé s’est illustré dans la magistrature, Pierre Babacar Kama dénommé « le Grand » est plus connu par le Sénégal des années d’indépendance et jusqu’à la première alternance. Administrateur civil, il a été un grand bâtisseur pour avoir réussi à mettre sur pied la première industrie du Sénégal, les Industries chimiques du Sénégal (Ics). Le mercredi 12 février 2003, alors que dans tous les foyers du Sénégal, la tabaski, la fête du mouton était célébrée, une triste nouvelle est tombée. Elle prenait au début les contours d’une mauvaise blague qui suintait des cœurs après «la balma akh » et surtout au moment où tout le monde s’affairait autour des fourneaux pour de franches dégustations du mouton. « Pierre Babacar Kama est mort » apprenait-on. Le grand bâtisseur s’est effondré à Paris des suites d’une longue maladie. « Pierre Babacar Kama était de la race des grands serviteurs de l’Etat.
Tout l’avait préparé à cela » dira le président Abdou Diouf dans la préface du livre « Pierre Babacar Kama, un homme de valeur. Témoignages » par Mme Ndèye Seynabou Tall Wade. « Il est des générations qui marquent leur époque, au-delà des frontières, par-delà les clivages humains. celle dont fait partie Pierre Babacar Kama a épousé la dimension des apôtres de la construction nationale dès l’aube des soleils de nos indépendances écarlates » écrivait feu Babacar Touré, fondateur du Groupe sud communication et très proche ami du fondateur des Ics dans le même document. Babacar Touré, récemment disparu et que notre pays pleure encore, avait ajouté que « cette génération-là ne s’est pas contentée des leurres d’une soporifique contemplation. Elle ne s’est pas non laissé éblouir par l’éclat des mimétismes déstructurant des modes de pensée et des modèles de consommation légués par la métropole.
Cette génération-là, formée à bonne école, nourrie aux valeurs de la république et de l’Etat, a fourni à l’Administration des cohortes de cadres de haut niveau à l’âme de bâtisseur et à l’esprit de pionnier.
Autour de Babacar Bâ, alors ministre des Finances de Léopold Sédar Senghor, une garde rapprochée de conseillers techniques nationaux parmi lesquels, Bécaye Sène, Momar talla Cissé, Pierre Babacar Kama. Tous trois se distinguent par une formation commune de commissaires aux enquêtes économiques, après une licence de sciences économiques. Sortis de la prestigieuse école des enquêtes économiques du quai Branly à Paris, jumelle de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ». Bécaye Sène réalisa la Banque de l’Habitat du Sénégal, Momar talla Cissé sera la directeur de cabinet de Babacar Ba et, plus tard, ministre du tourisme. Le dernier du trio, Pierre Babacar Kama, réalisera les Ics, un projet utopique de 75 milliards de frs. une somme colossale à l’époque. « Certes, la conjoncture, le marasme économique, les faibles performances d’une économie sous ajustement structurel ne pouvaient guère favoriser l’avènement d’un tel projet.
Si Abdou Diouf l’a pensé, Pierre a eu à le réaliser. Pierre Babacar Kama, grâce à un style de management, réussit à doubler rapidement la production d’acide phosphorique du Sénégal en 1990. D’ailleurs, en un moment, face à un environnement en récession de la fin des années 80, l’Etat voulait changer la direction de l’entreprise pour l’arrivée de l’expertise étrangère, Pierre Babacar Kama réussit à convaincre son ami Abdou Diouf de sa capacité à redresser la situation. Il parvient au mariage avec la société sénégalaise des phosphates de Taïba pourvoyeuse de la matière première utilisée par les Ics, le 26 septembre 1996, une manière d’assurer la survie de la filière phosphatée par l’intégration des diverses composantes. C’est d’ailleurs sous son règne que verront le jour la société sénégalaise des engrais et des produits chimiques (SENCHIM) et SENCHIM AG, ainsi que la filiale ferroviaire (La Sefics), la sous-traitance et l’essaimage favorisant la création d’entreprises moyennes autour du géant. Le 12 novembre 1998, il a réussi à mobiliser auprès des partenaires financiers un pactole de 180 milliards de francs pour le doublement de la capacité des Ics.
Pierre Babacar Kama, à son départ des Ics en 2001, avait laissé une société qui réalisait un chiffre d’affaires tournant autour de 200 milliards de francs avec une production passée à 600.000 tonnes » écrivait votre serviteur, auteur de ces lignes, dans les colonnes du « Matin » du 13 février 2003. Kama a laissé en postérité les hôtels Laguna Beach et Sarène Beach. Le journaliste Mamadou oumar ndiaye, dans le « témoin » du 16 février 2003, dira que Pierre Babacar Kama était un seigneur. ce dernier et son défunt frère Mansour n’ont jamais voulu exécuter une condamnation de 46 millions de frs contre le témoin dans une affaire de diffamation.
Le témoin soutenait alors le transporteur Mapathé NDIOUCK dans une affaire qui opposait ce dernier à Pierre Babacar Kama. « Un jour, il m’a appelé au téléphone portable pour me demander de passer à son bureau à l’immeuble Fahd. A mon arrivée et devant ma gêne, il m’a demandé d’oublier ce qui s’était passé, estimant que c’était un malentendu et qui lui, avait tourné la page. Il voulait qu’on échange des vues sur la situation du pays. Deux ou trois fois de suite, nous nous sommes revus, toujours pour parler des problèmes du pays. Jamais l’ombre d’un reproche dans sa voix, ou son regard. C’était un seigneur » écrivait Mamadou Oumar ndiaye, actuel directeur de publication du « témoin » quotidien.
Mansour Kama, un patriote économiste
Le florilège d’hommages rendus par tous les segments du pays à Mansour Kama, décédé ce dimanche 03 août, témoigne, si besoin en est, que la vie de l’homme sur terre n’a pas été inutile. Bien au contraire ! Les témoignages sont unanimes sur l’engagement de l’homme dans la mise en place et la défense d’un patronat local pour faire face à l’accaparement du tissu économique par le patronat étranger. C’était tout le sens du combat mené depuis plus de 30 ans par Mansour Kama à la tête de la confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES) dont il fut un des fondateurs avec feu Maktar Sow. Il avait d’ailleurs succédé à ce dernier — qui fut le fondateur de la société industrielle des produits laitiers — à la tête de la CNES. Dans le sillage du Plan d’ajustement structurel des années 90 qui avait débouché sur le fameux Plan Sakho-Loum, des plans marqués par des mesures drastiques et contraignantes des Institutions de Bretton Woods et dans un contexte marqué par des monopoles étouffants comme sur le riz avec la caisse de Péréquation, le sucre avec la compagnie sucrière sénégalaise, le système économique du pays était gangréné par des verrous administratifs ou politiques. Des verrous dominés par des affairistes et des clans permettant la mise en place de situations de rentes au profit de privilégiés. Mansour Kama avait compris la nécessité.