«LES PENURIES D’EAU NE PRENDRONT FIN QU’AVEC KMS 3 »
Ingénieur, ancien directeur général de la SONES, consultant de la Banque mondiale, Mamadou Samb « Delco » se livre à un diagnostic sans complaisance de la situation de l’eau et propose des solutions
Ingénieur, ancien directeur général de la Société nationale des Eaux du Sénégal (SONES, société de patrimoine), consultant de la Banque mondiale, Mamadou Samb « Delco », acteur majeur de plusieurs réformes importantes de l’Etat dans le secteur de l’Eau, est bien placé pour parler des pénuries qui frappent la capitale. Il se livre à un diagnostic sans complaisance de la situation et propose des solutions. Il se prononce aussi sur ses relations avec le président de la République ainsi que sur son engagement politique…
Le Témoin – M. Mamadou Samb, le secteur de l’eau semble poser de manière constante beaucoup de problèmes au consommateur sénégalais. Entre pénuries constantes, un changement d’opérateur rocambolesque ou la qualité de l’eau qui laisse à désirer, quelle est votre appréciation ?
Mamadou SAMB - Je vous remercie pour cette question à multiples facettes. Ce qui est patent, c’est la réalité du déficit en eau de la ville de Dakar. Un déficit qui est la conséquence d’un grand retard d’investissement constaté depuis 2010 et, en même temps, d’une augmentation exponentielle de la demande. En 2012 ce déficit avoisinait les 45000m3/jour, ce qui avait conduit à la mise en place d’un Plan d’urgence (2012-2015) pour le contenir à travers un important programme de réalisation de forages sur les 3 ans avant la construction d’une station de dessalement de l’eau de mer en phase intérimaire programmé initialement pour 2017. Cette unité devait permettre de contenir et absorber le déficit jusqu’en 2018/2019 qui devait voir la réalisation de l’usine de Keur Momar Sarr (KMS) 3. Du fait des retards dans l’exécution de ce programme d’urgence et aussi de la non disponibilité des études environnementales pour le dessalement, force était de constater que, malgré quelques réalisations çà et là, le déficit en eau de Dakar restait réel et persistant. C’est dans ce contexte, et pour éviter d’exacerber la situation, que le Président a instruit le gouvernement de rapprocher la réalisation de l’usine de Keur Momar Sarr 3 et de supprimer du même coup la réalisation de la phase intérimaire. Nous sommes donc aujourd’hui suspendus à la mise en service de KMS3 (fin 2020 ou plutôt fin du 1e semestre 2021) en espérant que la pointe de chaleur hivernale ne mette à nu l’important déficit que j’ai évoqué. Il s’agit d’un déficit structurel mais résiduel dont, pour la première fois, nous connaissons le terme c’est-à-dire dans 6 à 9 mois. Il est donc impératif de le gérer en toute transparence avec les populations en arrêtant d’invoquer à chaque fois des arrêts d’usine (Ngnith ou KMS) voire des réhabilitations hypothétiques de forages. Rappelons qu’une telle situation, le pays l’avait déjà connue en 1995 avec un déficit de plus de 80000m3/jour. A l’époque, en attente de la mise en service de KMS1 par le Projet sectoriel eau, l’Etat avait lancé une forte campagne d’économie d’eau pour sensibiliser les consommateurs afin d’atténuer l’ampleur du déficit. C’est encore possible aujourd’hui de faire une campagne similaire car chaque m3 économisé réduit d’autant l’écart de production. Un des paradoxes de l’approvisionnement en eau potable de Dakar réside dans le fait que le taux de gaspillage de l’eau reste encore trop important en raison notamment des réseaux des particuliers non surveillés, du rejet sauvage d’eaux par les industriels sans aucun recyclage pour une réutilisation partielle, du traitement tertiaire encore hypothétique dans les stations d’épuration et d’autres facteurs. Il serait donc souhaitable de se pencher sur cette question en symbiose avec les populations concernées pour prendre différentes mesures telles que la revitalisation des programmes de recherche de fuites par le fermier ; la revue de paramètres de maitrise des pertes sur le réseau en vue d’obtenir des gains de rendement ; le lancement de campagnes d’économie d’eau en rendant possible la remise à niveau des réseaux publics particulièrement sujets aux pertes d’eau (Administrations, écoles publiques, hôpitaux, structures grosses consommatrices d’eau comme les casernes, les universités, les ports aéroports, etc.) Car, certes, des efforts ont été faits pour la réduction de la facture d’eau de l’Etat mais beaucoup trop reste à faire.
Si l’on vous comprend bien, Monsieur le Directeur, l’entrée en service de KMS3 devrait constituer la fin du calvaire pour les populations de Dakar confrontées à une pénurie d’eau sans précédent…
Assurément, car avec un apport théorique de 200000m3/jour le déficit serait ainsi résorbé en laissant une capacité de production nette de 150000m3/jour. Et c’est là qu’il est important de réfléchir sur l’utilisation à bon escient de cette capacité excédentaire de sorte à éviter de placer encore Dakar dans la même situation seulement au bout de quelques années. Une chose est sûre : les programmes de forages et de réhabilitations devront être absolument maintenus pour une bonne maitrise de la forte croissance de la demande et ceci malgré la marge excédentaire résultant de la mise en service de KMS3. Ce sera aussi l’occasion de s’attaquer au problème de la qualité de l’eau constamment décriée par les populations. A mon avis, une partie de l’excédent devrait être utilisée pour organiser l’arrêt des forages responsables de la forte teneur en fer, ce qui permettrait l’élimination du phénomène et clore le débat sur la qualité de l’eau quand on sait que le problème de la présence de nitrates dans l’eau a été réglé par la neutralisation et la réaffectation des forages de Thiaroye vers les zones maraichères. Il appartiendra ainsi à l’Etat de définir les modalités de réutilisation des eaux issues de ces forages pour la promotion et l’extension des périmètres maraichers et horticoles et de faire en sorte que ces eaux souterraines soient exclusivement affectées au maraichage, ce qui n’écarte pour autant les piquages par lesquels ils étaient alimentés par les ressources de l’ALG.
Il y a eu beaucoup de bruit sur les péripéties ayant conduit au changement d’opérateur dans la gestion de l’hydraulique urbaine. Quel est votre point de vue et que gagne le pays dans ce changement plutôt laborieux ?
Je ne m’étendrai pas sur les péripéties qui ont jalonné la sélection du nouvel opérateur (Ndlr, Sen’Eau). Je regrette simplement le temps anormalement long pour sa désignation et aussi pour sa mise en place. Les réglages nécessaires pour une parfaite opérationnalité de la nouvelle structure risquent de prendre encore beaucoup de temps. Je me limiterai en ce qui me concerne au lancement d’un plaidoyer pour l’équilibre technique et financier du secteur stratégique de l’eau potable. Un équilibre qui passe entre autres par les étapes suivantes :
1/ Une société de patrimoine forte, ce qui implique de lui (Ndlr, Sones) restituer toutes ses prérogatives en matière d’investissement et de contrôle de l’exploitant. Cet équilibre est essentiel pour garantir le fonctionnement harmonieux du secteur et la préservation des agrégats lies aux prix d’équilibre (prix pe, prix patrimoine, prix moyen)
2/ Une revue de certaines dispositions du contrat d’affermage qui n’ont plus aujourd’hui leur raison d’être et qui fragilisent la relation efficiente entre les deux acteurs du secteur tout en créant de manière récurrente pas mal de conflits d’interprétation entre les parties.
3/ Une nouvelle démarche de l’Etat quant au paiement de ses propres factures d’eau et aussi à la mise en place par lui de dispositions pratiques pour rationaliser et contrôler sa propre consommation.
4/ Un arbitrage effectif et régulier entre les deux acteurs pour tous les problèmes susceptibles d’altérer la bonne exécution des synergies attendues.
5/ Une bonne maitrise des prix des prestations (branchements extension, investissements d’exploitation, etc.). On laisserait ainsi à l’Etat via la SONES la responsabilité contractuelle de procéder pour le compte du fermier à la fourniture de matériel et équipement en s’astreignant à faire jouer la concurrence.
Parlons de l’assainissement. Qu’en est-il de ce secteur qui semble être à la traine avec notamment beaucoup de problèmes sur la gestion de eaux usées et pluviales ?
Il faut reconnaitre que le sous-secteur de l’assainissement est largement en retard par rapport à l’eau potable. C’est une réalité historique. Le meilleur exemple, on le tient par exemple des projets à venir de KMS3 et du dessalement de l’eau de mer. Ces deux projets vont amener en cumulé près de 250000 m3/jour à Dakar. Ce volume une fois consommé devra forcement être évacué et pourra être recyclé en partie. A défaut d’avoir couplé les investissements, on va devoir encore creuser de manière significative l’écart et nous astreindre à multiplier les problèmes d’écoulement que nous connaissons actuellement. Rappelons que Cambérène, la station de référence pour Dakar, même avec l’extension prévue de sa capacité, ne pourra recevoir que 130000 m3/jour pendant que Dakar recevra dans le même temps plus de 600000m3/jour d’eau potable après la mise en service des ouvrages précités. C’est dire que l’assainissement est et reste problématique pour le pays et mérite que des solutions structurelles lui soient trouvées. Il y a à mon avis deux problèmes sur lesquels l’Etat est fortement interpellé :
- Le statut de l’ONAS : il est notoire de constater que cette société, aujourd’hui, n’a pas les moyens minimums pour assurer correctement l’exploitation faute de ressources propres. Ses charges fixes restent largement supérieures à ses revenus propres et rendent illusoire de maintenir cette structure dans sa forme actuelle.
- Trouver l’artifice adéquat pour transférer l’exploitation vers le privé et requalifier la structure actuelle en société de patrimoine. Du reste, avant le lancement de l’appel d’offres pour le nouvel opérateur, la question d’adjoindre l’exploitation de l’assainissement a été fortement évoquée. Cela supposait le lancement d’une nouvelle étude tarifaire afin de redéfinir les parts de chaque entité et d’inclure ce volet dans le cahier des charges pour le nouvel exploitant sans que cela ne débouche forcement sur une augmentation tarifaire. Avec une structure de société de patrimoine, en sorte un méga bureau d’études, le suivi de projets en liaison avec l’Etat n’en serait que facilité et éviterait les déperditions actuelles. L’assainissement de la Baie de Hann est là pour nous le démontrer. Ce projet vieux de près de 20 ans n’a toujours pas démarré. Parmi les problèmes qui subsistent, au-delà du financement obtenu, celui des industries implantées autour de la baie de Hann pose encore problème. Il s’agit de plus d’une centaine d’usines qui rejettent toute leurs eaux usées et très chargées dans le canal connecté à la Baie. Pourtant, en se dotant d’unités de recyclage des eaux non seulement elles vont réutiliser les eaux dans leur circuit interne, mais elles vont réduire substantiellement leurs factures d’eau et participer ainsi au renforcement de l’eau disponible et rare vers d’autres usagers.
Parlons de tout autre chose si vous le permettez, M. Samb, après ces importants éclairages sur la problématique de l’eau. Que pouvez-vous nous dire, notamment, sur vos relations avec l’actuel président de la République quand on sait à quel point vous avez été proches dans le passé ?
Autant je peux être prolifique pour vous parler d’un secteur que je connais particulièrement et sur lequel j’ai encore énormément de choses à dire, autant je me contenterais de vous dire que je suis et reste fidèle à cette relation que vous évoquez et qui est plus profonde qu’on ne peut le penser. Cela, je l’explique très simplement à travers cette vieille idée qui veut que les liens de sang tout comme les relations amicales ne se bradent pas au gré des circonstances. Cela explique aussi que malgré les faux procès, les piqures de scorpions voire les morsures de serpents, je suis resté stoïque et fidèle à mes choix de vie et ça, je le resterai toute ma vie. Donc pour répondre à votre question je vous garantis qu’il n’y a pas de problème et croyez-le, je m’honore toujours de sa considération il me le rend bien. Je ne peux pas en dire plus.
Qu’en est-il de votre engagement politique aujourd’hui et particulièrement à Rufisque ?
Très bonne question car, comme je l’ai dit et décliné plus haut, la conséquence naturelle fait que je suis astreint à soutenir le président tant qu’il briguera les suffrages des Sénégalais. Après avoir joué les premiers rôles dans ma ville natale, les moyens et les circonstances m’ont rendu moins visible aujourd’hui mais n’ont en rien altéré la confiance de mes parents de Rufisque. Cela est dû au fait que, pendant près de 30 ans, j’ai investi dans ma commune en direction des jeunes, des femmes mais aussi des personnes du 3e Age que j’ai rejointes du reste. Cet investissement n’est en rien comparable à l’action des nouveaux types de leaders politiques nés spontanément et qui n’ont d’autre ressource que de nous fermer la porte et nous empêcher d’accéder naturellement aux instances qui incarnent la famille politique du Président. C’est un peu ridicule mais on apprend à faire avec tout en regrettant cette absence de synergie nécessaire pour mener ensemble une approche généreuse, réfléchie et utile pour nos populations. Ne pouvant rien y changer, l’homme libre que je suis voit que beaucoup de structures et partenaires potentiels militent inlassablement pour me voir briguer les suffrages des Rufisquois. En réponse, je leur promets d’y penser le moment venu afin de les édifier quoi que je puisse décider.
Pour terminer, M. Samb, avez-vous d’autres projets ou projections et peut-être un commentaire personnel sur l’actualité en général ?
On y passerait la nuit c’est sûr. Je me contenterais donc de remercier en les rassurant ceux-là mêmes qui ne m’ont jamais lâché grâce à leur grandeur d’esprit. Je voudrais ici les rassurer en ce sens que ma situation a ceci de particulier, c’est le temps qu’elle me laisse pour m’occuper de moi et de ma famille. Dans ce contexte, et avec le temps libre dont je dispose, je m’adonne à une pratique sportive quotidienne et aussi à un exercice d’écriture en plus de mes activités professionnelles. J’essaie par ce biais de reconstituer mon parcours depuis l’université jusqu’à nos jours. Cet exercice, passionnant du reste, me permet de revisiter les péripéties que j’ai traversées avec force détails et anecdotes de circonstance. On ne risque pas de trouver ce livre dans les rayons des librairies car ce n’est pas le but du jeu mais mes proches pourront s’en inspirer pour renforcer leurs capacités de persévérance, d’abnégation et de pardon. Je ne regrette rien de ce parcours effectué sous le contrôle du Tout-Puissant qui m’a formaté à la résistance et, Lui seul sait pourquoi, m’a rendu persévérant et fidèle à mes parents, amis et autres relations d’égale valeur.