«LES TRAVAILLEURS SONT MORTS, LE GOUVERNEMENT FAIT LE MORT»
SIDYA NDIAYE, SECRETAIRE GENERAL DE LA FGTS
A la veille de la célébration de la fête du travail du 1er mai, le Secrétaire général de la Fédération générale des travailleurs du Sénégal (Fgts) fait le procès du gouvernement par rapport à la situation du monde du travail. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, hier, Sidya Ndiaye se déchaîne littéralement.
La fête du travail sera célébrée ce dimanche. Où est-ce que vous en êtes avec les préparatifs ?
Nous la préparons dans la sérénité, mais également dans la détermination. Nous sommes à la croisée des chemins par rapport à la prise en charge des travailleurs des collectivités locales. Parce qu'au niveau du traitement des revendications, nous avons constaté que le gouvernement fait le mort par rapport aux cahiers de doléances. Parce que les revendications de 2014 et 2015 n'ont pas encore fait l'objet de négociations. C'est, quand même, une première au Sénégal. C'est la première fois que, sur deux années, on a cumulé un retard par rapport à l'ouverture des négociations. Nous avons signé en 2015 les accords de 2013, et deux ans, on vient de nous convoquer en réunion pour ouvrir les cahiers de 2015.
Donc, manifestement, il y a quelque chose qui ne marche pas. La machine gouvernementale est grippé par rapport à la prise en charge correcte des revendications des travailleurs. Maintenant, il appartient aux organisations syndicales de se mobiliser pour vraiment relever le défi. Parce que nous considérons, aujourd'hui, que si les questions syndicales ne sont pas bien prises en charge, je crois qu'il faut aussi indexer le fait qu'on a fait éclater le ministère du Travail et de la Fonction publique, qui était un seul ministère. Je crois que le fait de les séparer a posé un problème. Je ne peux pas dire qu'il y a compétition, mais une certaine frilosité des deux ministères par rapport à la prise en charge travailleurs. Puisque la Fonction publique gère les fonctionnaires, et le ministère du Travail tous les autres secteurs. Donc, je crois que le Président doit revoir cela. Je crois qu'il va falloir revoir cela, et peut être confier ce département à un homme de confiance, un homme qui connait le terrain.
Comment trouvez-vous le travail du Haut Conseil du dialogue social ?
Dans cette grisaille, nous avons noté le bon travail du Haut Conseil du dialogue social, même si au début nous avions eu des appréhensions. Nous avons noté des efforts considérables qui sont faits pour compenser ce manque de réaction noté dans les deux ministères-là. Mais le Haut Conseil n'a pas les moyens et n'est pas un ministère. Il faut aussi que les choses soient claires et qu'on essaye de donner des moyens à cette institution, de la renforcer. Parce qu'on a vu que sur plusieurs conflits, ils sont en pole position pour les médiations. Ce qui est malheureux de constater dans notre pays, c'est que nous avons signé un pacte social. Nous avons tout fait pour valider le plan cadre. Nous avons tout fait pour que les choses marchent. Malheureusement, après la signature du plan cadre, après l'accord de principe du chef de l'État de financer ce plan à hauteur de 3 milliards sur3 ans, jusqu’à présent, les choses sont en l'état. Il y a une léthargie que nous ne comprenons pas. Ce qui fait qu'aujourd'hui, le pacte social, dont la vocation était de faire en sorte qu'il y ait moins de crises, moins de grèves, moins de protestations dans le champ social. Finalement, on a l'impression qu'on a signé cela pour rien. C'est comme si c'était un pacte mort-né. Qu'est-ce qui est à l'origine de cela ?
Je crois qu'il faudra voir du côté des autorités, puisque nous sommes prêts à engager le dialogue dans tous les secteurs pour qu'on règle le problème. Or, s'il s'agit des collectivités locales, nous constatons que les choses ne bougent pas, alors que nous avons fait des efforts en tant que travailleurs pour surseoir à notre mouvement d'humeur. Rien n'a été fait depuis lors. Nous serons obligés au sortir de ce 1er mai de remettre les pendules à l'heure. Nous allons taper durement sur la table pour que le ministère chargé de la Gouvernance locale et des Collectivités locales puisse régler définitivement nos problèmes. Il était prévu un Conseil interministériel, dont la date initiale était prévue fin février-début mars. On nous a dit, ensuite, par la bouche même du Premier ministre, fin mars-début avril. Nous sommes en fin avril, et rien n'a bougé. Il faut vraiment là que ce gouvernement comprenne qu'il doit travailler vite et bien, être au service de la collectivité et non à son service. Ce qu'on ne comprend pas, c'est que des officiels prennent des engagements et qu'ils ne les respectent pas. C'est ça notre problème. Donc, le Conseil interministériel doit pouvoir se tenir à date échue, comme il avait été programmé. Au niveau de l'Intersyndicale des travailleurs des collectivités locales, les choses vont bouger.
Est-ce à dire que vous allez bloquer de nouveau les activités des collectivités locales ?
Oui. Absolument. Parce que, si ça ne bouge pas, nous serons obligés de remettre ça. Après le 1er mai, dès que le préavis aura atteint la date fatidique de 30 jours, nous irons en grève générale. Et cette fois-ci, la grève générale risque d'être plus dure. Parce qu'on avait testé les 72 heures, etc. On risque d'aller vers des semaines de grève illimitée. Nous ferons en sorte de finir le boulot. Le Conseil interministériel aurait permis de faire l'économie de cette crise-là. Puisque nous aurions statué sur les manquements de l'Acte III de la décentralisation. Nous aurions pu corriger, apporter des rectificatifs. Mais, jusqu'à présent, nous continuons de vivre un calvaire. Il faut que les choses bougent, et nous ferons en sorte qu'il en soit ainsi.
Maintenant, de manière plus globale, vous savez qu'au niveau de l'éducation, il y a des problèmes, parce que les accords signés avec les syndicats des travailleurs ne sont pas respectés. Au niveau de la santé, les choses risquent de bouger dans les semaines à venir. Et donc tout cela fait que nous nous posons beaucoup de questions sur la volonté du gouvernement de faire bouger les choses en respectant ses engagements et en faisant en sorte que nous ayons la paix sociale dans notre pays. Maintenant, ce que nous n'acceptons pas aussi, c'est les menaces. Le ministre de l'Enseignement supérieur, Mary Teuw Niane, a menacé des professeurs. Nous avons vu le ministre de la Fonction publique, Bampassy, émettre sur la même fréquence. Il faut qu'ils arrêtent de menacer les gens. Nous ne sommes pas leurs obligés. lls doivent respecter les organisations syndicales qui font leur job. Et le Sénégal ne s'en portera que mieux. C'est tout ce que nous demandons. Or, sous ce rapport aussi, ces deux secteurs là étant en ébullition, il faut que les gens s'attaquent aux problèmes. C'est une question de volonté politique. Pour moi, l'école sénégalaise mérite plus que cela. Il faut que le gouvernement bouge, puisqu'ils avaient dit, au sortir des assises, avoir trouvé des accords réalistes et réalisables. Nous ne comprenons pas que les accords ne soient pas respectés.
Quelles sont les autres revendications que vous comptez poser sur la table ?
Nous allons poser la question de l'obsolescence de beaucoup de textes, de conventions. Ces textes datent de l'époque coloniale. Il va falloir vraiment les revisiter, les réactualiser. Cela permettrait aux travailleurs d'améliorer leurs conditions sociales d'existence. Nous demandons à l'État de respecter ses engagements sur la matérialisation de la mensualisation des pensions de retraite. C'est fondamental. Je voudrais également dire que nous constatons, depuis quelque temps, qu'un lobby, pour ne pas dire une mafia, est en train d’être organisé autour du président de la République. On veut faire porter des œillères au Président pour lui dire : voici les 4 centrales syndicales les plus représentatives. Nous ne l’acceptons pas. Pour la simple et bonne raison, que leur mandat est caduc depuis 2014. De nouvelles élections devaient être organisées. Le gouvernement ne l’a pas fait. Donc, le gouvernement est responsable.
Le gouvernement ne doit pas envenimer la situation en s’acoquinant avec les soi-disant organisations les plus représentatives. Ça n’existe pas. Sous ce rapport, je crois que nous sommes très clair. Nous ne pouvons pas tolérer que le président de la République, Président de tous les Sénégalais, accorde des audiences à des organisations syndicales de manière sectaire,en catimini. Je crois que le Président doit se mettre à l’écart de la chose syndicale et convoquer très rapidement de nouvelles élections de représentativité. Il semblerait que 300 millions ont été dégagés pour cela. Mais, je voudrais attirer l’attention du chef de l'État que, jusqu’à présent, il n y a pas eu d’évaluation des élections passées. C’est une urgence. Mais, pourquoi, diantre, ils sont incapables d’organiser des élections sociales ? C’est symptomatique de la situation. C'est grave pour certaines autorités. Nous leur demandons de manière rapide d'organiser ces élections. Nous demandons au président de la République de corriger en recevant les organisations syndicales qu’il n’a pas reçues. C’est notre droit le plus fondamental. Il doit savoir, aujourd’hui, que ce n’est pas seulement ces organisations qui doivent être reçues au Palais. Je crois qu’il faut être très clair, car nous serons intransigeants par rapport au respect, à l’indépendance et la neutralité du gouvernement sur les questions touchant aux syndicats. Nous réclamons le référendum social.
On dirait que vous êtes sur le pied de guerre...
Les travailleurs sont morts, et le gouvernement fait le mort. Aujourd’hui, le gouvernement fait le mort, c’est ce que nous avons constaté. Il faut que ça cesse. Ils sont là pourquoi ? Ils ont été élus pourquoi ? Il faut régler les problèmes des Sénégalais. S’ils ne le font pas, nous passerons à la vitesse supérieure. Aujourd’hui, il ne faut pas qu’ils se trompent par rapport à la notion de représentativité. On est parti au Sénégal avec la notion de la centrale la plus représentative, à la notion des centrales les plus représentatives. Pourquoi ? L'émiettement du mouvement syndical a fait qu'aucune organisation ne peut aller seule.