LES VENDEURS DE CURE-DENT TRADITIONNEL ONT PERDU LE SOURIRE
Malheureusement, avec la pandémie et la recommandation du port du masque, ils éprouvent toutes les peines pour écouler leurs produits.
Le cure -dents traditionnel ou « Soccu » accompagne les jeûneurs en période de ramadan. Chaque année, ceux qui s’activent dans la vente de ce bâtonnet aigre ou sans saveur font des affaires. Malheureusement, avec la pandémie et la recommandation du port du masque, ils éprouvent toutes les peines pour écouler leurs produits. Errant d’un quartier à un autre sans pouvoir vendre, la plupart d’entre eux sont ainsi obligés de se reconvertir. Reportage…….
On pourrait penser que le Covid-19 a complétement chamboulé l’univers de ceux qui s’activent dans les petits métiers et particulièrement le petit commerce. C’est le cas des vendeurs de cure – dent. Certains d’entre eux qui parcourent les rues de la capitale, éprouvent toutes les peines du monde à s’en sortir. Des produits qui se vendaient comme de petits pains durant le mois béni du ramadan. Cédé au prix de 25 francs l’unité, ce produit connaissait une forte demande. Son utilisation favoriserait une bonne hygiène bucco-dentaire. Il est également très recommandé par le Prophète Muhammad (PsL).
En effet, plusieurs hadiths authentiques parlent des vertus du siwak (« soccu »). Ce qui fait que ce produit fait partie des particularités du mois béni de Ramadan. Les vendeurs de ce bâtonnet voyaient ainsi leurs chiffres d’affaires tripler. La demande étant chaque jour très importante avec les rues qui étaient ainsi égayées par ces nombreuses personnes , le bâtonnet en permanence à la bouche, se curant avec force les dents. Cela leur permettait également d’avoir une bonne haleine durant toute la journée tout en usant du cure -dent en « trompe » la faim. Mais avec le port de masque, les gens tendent à perdre cette habitude, n’ayant plus la possibilité de se curer les dents. De ce fait, les étals de ce petit commerce sont désertés par leur clientèle habituelle. Installé devant son étal, tout en feuilletant les pages du Coran, le Vieux Amadou sy propose une variété de cure dent allant du goro, nebb-nebb, tamarin, sump etc.,..
Dans cet espace qu’il partage avec un vendeur de fruits, le vieil homme semble s’ennuyer. « Depuis plus de 20 ans, je suis dans le commerce de cure – dent et d’éventails. D’habitude, les gens passent devant mon étal avec l’envie irrésistible de se procurer un morceau de cure - dent. Surtout en cette période de Ramadan où les jeûneurs aiment se curer les dents, histoire de tromper la faim ou de ne pas trop cracher à tout va. Je rentrais chaque soir avec un bénéfice de 4000 voire 5000 FCFA. C’est avec cette activité que je fais vivre ma famille. Mais depuis l’obligation faite aux gens de porter un masque, c’est très difficile. Les clients n’éprouvent plus le besoin de se procurer un cure – dent », se lamente le vieil homme. D’ailleurs, il est difficile de voir dans la rue un bâtonnet dans la bouche des gens. « Le produit de la vente est insignifiant en cette période de Ramadan. Ce sont les éventails qui me permettent de tenir. Cependant, même pour ce produit, la demande est infime puisqu’il ne fait pas encore chaud », fait savoir le vieil homme.
Cure dent cherche désespérément acquéreurs
Dans son blue jeans, Abou Diallo, la trentaine, propose des cure-dent qu’il avance s’être procuré depuis sa ville natale. Son produit ce jeune homme le vante comme le ferait un éleveur de moutons de race tant il connait chaque variété de ce bâtonnet. « D’habitude les clients préfèrent les cure-dents provenant du kolatier ou du tamarinier à cause de leur goût exceptionnel et leur pouvoir de rendre les dents éclatantes », explique ce jeune vendeur. Et de poursuivre : « Je m’en sortais bien et je subvenais à mes besoins. Je parvenais à épuiser chaque jour mon stock de 200 cure-dents à raison de 25 FCFA l’unité. Mais depuis le début du ramadan et bien avant, je n’arrive plus à vendre 5 bâtonnets durant toute la journée. Ceux qui achetaient nos produits passent désormais devant mon étal avec le masque. Dans ces conditions, c’est impossible pour eux de mettre un « soccu » dans la bouche. Vraiment nous ne savons plus sur quel pied danser. Nous maudissons cette maladie et prions qu’elle s’évapore. Moi-même qui avais un cure- dent en permanence dans la bouche, je suis obligé de porter un masque », se lamente le jeune homme . Ce qui fait que le business autour de ce petit métier est ainsi au ralenti.
La reconversion pour certains vendeurs
Le jeune Alioune Seck, qui s’activait dans ce créneau de la vente de cure -dent, s’est vite reconverti quand il a senti que ça ne marchait plus comme avant. Il propose maintenant à une clientèle du café Touba. Ceci dans l’espoir d’en tirer un peu profit en attendant que les choses évoluent dans le bon sens. Et même avec le café Touba, fait-il savoir, les clients se font désirer. Certains clients ayant toujours la crainte du coronavirus. « A l’heure de la rupture, on ne voit presque plus personne. Les gens préfèrent rompre le jeûne à la maison. On sent nettement qu’ils ont peur. Le Covid-19 ayant fini d’installer la psychose chez les Sénégalais », se désole- t-il. Gros fumeur, Meissa avait toujours son cure - dent à la bouche pour ne pas trop penser à la cigarette. Mais cette année, ce jeune gérant d’une boutique de transfert d’argent dit éprouver énormément de difficultés avec le port du masque qui leur est imposé. « mais quand la boutique est déserte, je sors mon cure-dent », dit-il .
Les vertus du cure – dent
Au-delà de ces aspects, le cure -dent recèlerait de beaucoup de vertus. En effet, certains affirment même que son utilisation est une recommandation de l’islam car il permet de garder la bouche propre. Le siwak, bâton de bois d’araq, arbre qui provient d’Arabie saoudite, est considéré comme le meilleur, notamment pour ses propriétés antalgiques. Car tous les bâtonnets ne se valent pas, même si leur prix reste modeste, de 25 à 100 F CFA. Les vendeurs vanteront les vertus de plus de trente essences. Du myrobalan au tamarinier en passant par le cola et le mate xewël (« mord la chance » en wolof), qui attirerait l’argent ! Mais, pendant le ramadan, le nep nep est roi. « C’est le plus sec. Il ne fait pas trop saliver. Il empêche la mauvaise haleine, soigne les maux de dents, apaise les gencives sensibles et guérit les infections grâce à son pouvoir antibiotique », explique un jeune vendeur. Du côté des professionnels de la santé, on reconnaît qu’un « soccu » bien utilisé a de nombreux bienfaits.
D’après m. Joseph Faye, dentiste au 74 rue Carnot, ce petit bâtonnet traditionnel permet de nettoyer les dents après les repas. « C’est un moyen très efficace de nettoyer les dents. Il existe plusieurs variétés, mais le « Sump », de par ses propriétés chimiques, a des vertus thérapeutiques », dit-il. Selon le praticien, il traite les saignements de la gencive. Le dentiste n’a pas cependant manqué de mettre en garde contre le frottement excessif du cure – dent
. A l’en croire, cela pourrait entraîner l’érosion de l’émail dentaire. Selon toujours le dentiste, le cure- dent traditionnel empêche la mauvaise haleine, soigne les maux de dents, apaise les gencives sensibles et guérit les infections grâce à son pouvoir antibiotique. N’empêche, il recommande de ne pas trop en abuser. « On ne peut pas passer toute la journée avec une brosse à dent dans la bouche. C’est pareil pour le « Soccu » », conseille- t-il. « Après une séance de curage de 10 mn, il faudrait un rinçage de la bouche pour éviter que les débris laissés par le cure-dent, ne génèrent des bactéries », a-t-il conclu. Mais en cette période où le port du masque est rendu obligatoire dans les lieux publics, ce sont les vendeurs de cure- dent qui ont perdu le sourire face à des clients masqués.