''L’ETAT EST EN TRAIN D’ENRICHIR DES RESPONSABLES SYNDICAUX, AU MOMENT OU LES TRAVAILLEURS S’APPAUVRISSENT''
Dans cet entretien, Sidya Ndiaye s’attaque à ses camarades des 5 Centrales syndicales qui ont annoncé un préavis de grève, interpelle l’Etat par rapport à la question de l’habitat social, et se prononce sur le nouvel attelage gouvernemental.
Le chef de file de la Fédération générale des travailleurs du Sénégal (FGTS) crache du feu en cette veille de fête du Travail.
La coalition des 5 grandes Centrales syndicales a annoncé un préavis de grève, alors que l’on s’achemine vers la fête du Travail prévue le 1er mai prochain. Quel commentaire en faites-vous ?
Comme vous l’avez si bien dit, le 1er mai pointe à l’horizon. Et ces derniers temps, nous avons noté une certaine agitation de soi-disant Centrales syndicales qui, comme vous le savez, sont, depuis plusieurs années, aux abonnés absents sur le terrain de la lutte. Si vous remarquez bien, en tant qu’observateur indépendant, vous verrez que ce sont des syndicats de base, professionnels, qui occupent le devant de la scène pour leurs revendications. Si nous prenons le cas du secteur public, c’est l’éducation, la santé et la justice qui sont sur le terrain. Et ces syndicats n’ont même pas bénéficié de l’apport, ni du soutien des Centrales syndicales. Maintenant, à la veille du 1er mai, c’est très facile d’agiter des menaces ou de se signaler. Véritablement, il n’y a rien à signaler, parce que les Centrales syndicales, elles mêmes, savent très bien là où elles ont des difficultés : c’est au niveau du secteur privé. Parce que les négociations avec le patronat ont échoué. Elles ont même reconnu cela en disant qu’elles demandaient 25% d’augmentation et on leur a proposé 2%. Ce qu’elles ont même qualifié d’humiliation
Comment expliquez-vous cette attitude du patronat ?
C’est parce que les Centrales ont fui le terrain. Leurs leaders ne sont pas là pour les travailleurs, ils ne sont là que pour leurs propres intérêts. Ils ne s’occupent que de subventions, de voyages, de séminaires. C’est ça la vérité. Il faut le dire. Maintenant, moi, je les mets au défi d’aller jusqu’au bout de leur logique. Il y avait une Centrale qui avait marché, il y a quelques jours, pour menacer, mais c’était du bluff. Il n’y a pas de préavis, rien. C’est le cas de ces Centrales. Elles s’agitent avec des menaces de grève pour que l’Etat débloque encore de l’argent. Or, elles ont reçu en catimini deux fois 300 millions FCFA. Cela fait 600 millions FCFA. Maintenant, elles sont en train de négocier pour recevoir encore 300 millions ou 600 millions. Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités par rapport à tout cela. Nous interpellons le gouvernement, parce que la subvention est destinée aux Centrales syndicales. Mais, quand on l’a distribuée, personne n’était au courant. Or, pour le cas de la presse, par exemple, lorsqu’on donne une subvention, on donne l’ensemble du montant de la subvention et on fait une répartition des fonds. Ici, personne n’a eu des informations. La seule information que nous avons eue, il a fallu que je monte au créneau, à l’époque, quand il y avait Mansour Sy, pour qu’il publie l’arrêté. Même si nous ne bénéficions pas de ce fonds, nous devons savoir comment il est géré. Parce que nous sommes une Centrale syndicale. La nébuleuse que constitue cette subvention, nous allons la percer. Nous interpellons le chef de l’Etat. Puisque nous considérons que l’Etat est en train d’enrichir des responsables syndicaux au détriment de la collectivité. Parfois même, leurs militants ne sont pas au courant qu’ils ont reçu des subventions, c’est grave. On est en train d’assister à un enrichissement des dirigeants syndicaux, au moment où les travailleurs s’appauvrissent. Car, depuis Mathusalem, nous ne bénéficions d’aucune hausse du pouvoir d’achat. Si elles étaient très fortes,si elles étaient crédibles, je pense que ces Centrales n’allaient pas faire dans la menace. Elles doivent décréter une journée de grève. Elles n’ont pas besoin de préavis.
Est-ce à dire que vous jetez à la poubelle les résultats issus des élections de représentativité ?
La question des élections est quand même cocasse. Parce que, jusqu’à présent, nous n’avons pas encore les résultats officiels. Là aussi, nous voulons interpeller le ministère du Travail, parce que, depuis que la Commission nationale électorale a donné des résultats provisoires, jusqu’à présent, il n’y a pas de résultats définitifs. Or, il y a eu des recours entre certaines Centrales syndicales. Il y avait certaines qui sont passées aux élections sans récépissé et qu’on devait bannir. Mais qui, aujourd’hui, sont casées et bénéficient de subvention. Je veux vraiment attirer l’attention des autorités sur la décision de proclamer les résultats définitifs. Nous avons constaté que ces élections, non seulement, ont été mal organisées, mais qu’il y a eu un faible taux de participation. Même pas 40%. A peine 30%. Ce n’est pas crédible. Puisque, vous savez, la représentativité, c’est vrai qu’elle est quantitative, mais il y a aussi la qualité de la représentation. Malheureusement, aujourd’hui, ces Centrales syndicales veulent, coûte que coûte, se baser simplement sur les autres et bénéficier de cette manne financière dont l’utilisation n’est pas justifiée. L’Etat doit mettre de l’ordre dans tout cela. Elles n’ont qu’à aller en grève générale, elles verront. Je les mets au défi, qu’elles ne s’arrêtent pas aux menaces. Il n’y aura rien, ce n’est que du «Simb» (jeu de faux lions), du bluff. C’est du vrai saupoudrage pour qu’on les entende et qu’on leur donne de l’argent.
Quelles sont les revendications que vous comptez porter à l’attention du chef de l’Etat à l’occasion de la fête du Travail ?
Nous entendons mettre l’accent sur les problèmes de l’habitat social qui, comme vous le savez, est un problème très sérieux pour les travailleurs que nous sommes. Aujourd’hui, pour qu’un travailleur puisse trouver une maison, c’est la croix et la bannière. Même les parcelles qui étaient à disposition ont commencé à se raréfier. Parce que les promoteurs privés ont investi les réserves foncières. L’Etat doit prendre ses responsabilités face à cette problématique. Les promesses concernant l’attribution des parcelles à des coopératives d’habitat des travailleurs doivent être poursuivies et encouragées. Nous prônons la tenue des états généraux de l’habitat social afin que nous puissions véritablement aller vers l’accès aux logements, qui est un droit pour tout travailleur. Les travailleurs tirent le diable par la queue. Et à force même de tirer, le diable a disparu. Sur la question du loyer, nous allons interpeller les autorités, notamment le chef de l’Etat, pour qu’on mette en place une commission d’enquête d’évaluation de la baisse du prix du loyer à Dakar. Parce que, jusqu’à présent, c’est dur. Pourtant, on avait applaudi au début. Mais, les propriétaires de logement ont contourné la mesure pour augmenter. Nous allons également faire un focus sur le parachèvement et l’opérationnalisation de la Fonction publique locale territoriale qui, comme vous le savez, n’est pas sortie jusqu’à présent de l’ornière, malgré la mise en place du Conseil supérieur de la Fonction publique locale par le chef de l’Etat. Depuis un an, nous attendons que ce dossier soit liquidé, pour que nous puissions passer à autre chose. L’acte III de la décentralisation pose problème aussi. Puisque nous ne pouvons pas comprendre, dans ce pays, qu’avec toute l’expertise et l’expérience que nous avons de la décentralisation, que nous soyons toujours à la première phase. C’est un scandale. La question centrale du régime central des collectivités locales n’a jamais été abordée.
Que vous inspire le nouveau gouvernement formé par le Président Macky Sall ?
Comme tous les Sénégalais, nous avons suivi la formation du nouveau gouvernement. A la veille de la formation du gouvernement, on avait senti une telle fébrilité, une telle course aux postes, que j’avais déclaré que le chef de l’Etat ne devait pas céder au chantage de ceux qui criaient urbi et orbi que c’est grâce à eux qu’il avait été réélu. C’est inadmissible. Car, un gouvernement, ce n’est pas un gâteau qu’on doit partager. Si on suit la logique de ces soi-disant faiseurs de roi, cela veut dire que les 2 millions de Sénégalais qui ont voté pour le Président Macky Sall, doivent demander un poste de ministre. Donc, il faut arrêter. Et je crois que le chef de l’Etat a compris le message et qu’il a pris ses responsabilités. En toute liberté, il a choisi les hommes qu’il faut pour véritablement mener les ruptures qu’attendent les Sénégalais. On ne naît pas ministre, on le devient. Il faut que ces gens arrêtent de nous pomper l’air. Il y a un fait qui m’a choqué, ce sont les attaques lâches et puériles contre le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur. Ce n’est pas sérieux. Comment peut-on contester la nomination d’un ministre avec des arguments dénués de tout fondement ? L’acharnement contre Cheikh Oumar Anne est un scandale. Et ceux qui orchestrent ces attaques lâches doivent avoir honte. Si le Président l’a promu, c’est parce qu’il est méritant. Il a fait ses preuves partout où il est passé, notamment au COUD. Au vu de son parcours, c’est quelqu’un qui a le profil pour diriger ce ministère. Il est qualifié du point de vue professionnel. Je me réjouis qu’un enseignant chercheur, qui a fait ses preuves dans le mouvement syndical, soit promu à ce département.