L’HUMANITE ET LES PAUVRES PAYENT ENCORE LES ERREURS DES RICHES
5 ans après la cop21, quel bilan pour ce premier accord mondial juridiquement contraignant sur le changement climatique ? Que reste-t-il de cet accord dit «ambitieux» ?
12 décembre 2015-12 décembre 2020 ! Cela fera 5 ans, samedi prochain, que se terminait sur une note de grand espoir la 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies (ONU) sur les changements climatiques (COP21). Pour la première fois, depuis plus de 20 ans de négociations, l’humanité entérinait un «accord universel» pour lutter contre les changements climatiques. Le document qu’il est convenu d’appeler «l’Accord de Paris pour le climat», invitant à limiter la hausse des températures à 2°C (degré Celsius) maximum par rapport à 1850, a été paraphé par 195 Etats membres de l’ONU. 5 ans après, quel bilan pour ce premier accord mondial juridiquement contraignant sur le changement climatique ? Que reste-t-il de cet accord dit «ambitieux» ?
Le 12 décembre 2015, le conclave de plusieurs jours, lors de la 21e Conférence des Etats parties à la Convention-cadre des Nations unies (ONU) sur les changements climatiques (COP21) prenait fin sur «la plus belle et la plus pacifique des révolutions», se réjouissait François Hollande, alors président de la République française, hôte de la COP21 à Paris. Il s’agit de «l’Accord de Paris pour le climat». 195 pays s’étaient engagés pour limiter la hausse des températures à 2°C (degré Celsius) maximum, par rapport à 1850. Ainsi, pour la première fois depuis le début des négociations sur le climat en 1992, un nombre record de 195 Etats venaient d’entériner un «accord universel» pour lutter contre les changements climatiques.
Dans le cadre des célébrations du 5e anniversaire de cet accord, une Conférence-débat a été organisée, le jeudi 3 décembre dernier, à l’amphithéâtre Abdoul Aziz Wane de l’Ecole supérieur polytechnique (ESP) de Dakar. C’est à l’initiative des Ambassades de France et du Royaume-Uni au Sénégal, en partenariat avec le ministère sénégalais de l’Environnement et du Développement Durable, l’ESP de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar et la Délégation de l’Union européenne (UE).
C’est en prélude au Sommet virtuel «Ambition climat» prévue le samedi 12 décembre 2020. «Etape importante du calendrier climatique, cet anniversaire sera l’occasion de remettre le climat au cœur de l’agenda collectif et de susciter auprès des Etats parties à l’Accord de Paris de nouvelles annonces sur le rehaussement de l’ambition attendue pour la COP26 qui se tiendra à Glasgow en 2021», informe un communiqué de l’Ambassade de France au Sénégal reçu le 1er décembre dernier. Le sommet d’après-demain, samedi 12 décembre 2020, co-organisé par l’ONU, le Royaume-Uni, la France, le Chili et l’Italie, sera une première occasion pour des annonces ambitieuses de la part des Etats. L’UE est invitée à impérativement annoncer une rehausse de l’objectif européen à au moins 55% de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030. De même, Oxfam France appelle Emmanuel Macron à annoncer une augmentation des financements climat à destination des pays en développement à hauteur de 8 milliards d’euros par an d’ici 2025, dont 4 milliards pour l’adaptation. En attendant Glasgow 2021 (COP26), force est de constater que cinq (5) ans après l’Accord historique de Paris sur le climat, le bilan inquiète plus d’un : la série d’événements extrêmes et de catastrophes naturelles continue de plus belle. Leurs impacts se sont multipliés à travers le monde, touchant de plein fouet les populations vulnérables ; les Etats, sauf à de rares exceptions, tardant à mettre en œuvre de mesures suffisantes pour réduire leurs émissions de GES et peinant encore à mobiliser les financements nécessaires pour les pays en développement.
Multiplication d’évènements extrêmes, des impacts des dérèglements du climat
En effet, ce premier accord mondial juridiquement contraignant sur le changement climatique, adopté lors de la COP21, en décembre 2015, définit un cadre mondial visant à éviter un changement climatique dangereux en limitant le réchauffement de la planète à un niveau nettement inférieur à 2°C et en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5°C. Il vise également à renforcer la capacité des pays à faire face aux conséquences du changement climatique et à les soutenir dans leurs efforts. Mais, 5 ans après, le bilan n’est pas reluisant. En atteste que, depuis 5 ans, les scientifiques continuent de tirer la sonnette d’alarme sur l’urgence d’agir pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, conformément à l’Accord de Paris. En 2018 déjà, un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, en anglais Intergovernmental panel on climate change, IPCC) montrait que si les émissions continuent au rythme actuel, nous atteindrons 1,5°C en 2040 et qu’il existe un écart important en termes d’impacts entre un réchauffement de 1,5°C et 2°C. Chaque dixième de degré supplémentaire est un choix de vie ou de mort. Pis, la planète étant déjà en surchauffe, les 5 dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées et 2020 n’a pas fait exception. Depuis 2015, les impacts du changement climatique se sont intensifiés et multipliés. En 2019, 820 événements météorologiques extrêmes ont été recensés. Ce chiffre a augmenté de plus de 20% en 5 ans. Et rien qu’en 2020, des cyclones dévastateurs ont frappé l’Inde et le Bangladesh ; la Chine, la France (Nice) et le Niger, y compris le Sénégal et la Côte d’Ivoire, entre autres pays en Afrique de l’Ouest, ont subi des inondations «meurtrières» et l’Australie et les ÉtatsUnis ont connu des vagues de chaleur et des incendies sans précédent.
24,8 millions de personnes déplacées, à cause de catastrophes naturelles, en 2019
En 5 ans, les déplacements de populations à cause de catastrophes naturelles ont bondi de 30% pour atteindre au moins 24,8 millions de personnes en 2019. Et personne n’est à l’abri, même si personnes les plus pauvres et marginalisées sont les plus touchées, et notamment les femmes. D’ailleurs, «Les populations des pays pauvres ont ainsi cinq fois plus de risque d’être déplacées à cause de catastrophes climatiques extrêmes et soudaines que celles des pays riches».
Retrait des Etats-Unis du traité de Paris, un véritable coup dur
En 5 ans, rares sont les Etats qui ont pris des mesures à la hauteur de l’urgence climatique. Pendant ce temps, les émissions globales de GES ont augmenté de 1,5% en moyenne chaque année depuis 10 ans, avec une courte stabilisation entre 2014 et 2016. Et 11 pays du G20, représentant 80% des émissions de la planète, ont pris l’engagement d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 – dont la Chine (en 2060), l’Union Européenne et le Japon – et certains Etats déploient des stratégies de court terme très ambitieuses, comme l’Uruguay, le Costa Rica ou l’Espagne. Seulement, peu de pays se sont engagés à réduire leurs émissions dans le court terme, soit d’ici 2030.
Le véritable coup dur porté à l’Accord de Paris, c’est le retrait des Etats-Unis d’Amérique (USA). Décidé en 2017 et concrétisé il y a un an avec la saisine de l’ONU d’une requête dans ce sens, les USA, deuxième pollueur mondial, à ce jour le premier émetteur historique de gaz à effet de serre et premier producteur de pétrole et de gaz, ont officiellement quitté la barque, sous l’impulsion de Donald Trump, depuis le 5 novembre 2020, au lendemain des élections américaines. Même si un rapport publié cette année par les Procureurs généraux des États alertait sur le fait que l’annulation par Trump de décisions prises par son prédécesseur Barack Obama pour réduire la facture énergétique américaine pourrait se traduire par une augmentation des émissions de carbone des États-Unis de plus de 200 millions de tonnes par an d’ici 2025.
Ainsi, après un délai de trois ans, les USA deviennent la première nation au monde à se retirer officiellement de l’Accord de Paris sur le climat. En meeting à Lexington dans le Kentucky, Donald Trump a confirmé le retrait de l’accord «horrible, coûteux, unilatéral» de Paris, se félicitant que son pays soit «et de très loin le premier producteur d’énergie au monde» et qu’il ait gagné «la guerre du beau charbon propre». Cependant, la réaction de la communauté internationale ne s’est pas fait attendre. Très rapidement, l’UE et la Chine en tête, elle a marqué son attachement à l’accord climatique. Et de nombreuses personnalités américaines se sont retrouvées sous la bannière «We are still in» (“Nous sommes toujours là”) pour réaffirmer leur foi en l’accord et en la lutte contre les changements climatiques. Mieux, la promesse du président nouvellement élu, Joe Biden, de faire revenir les USA, dès le premier jour de son mandat qui commence en janvier 2021, dans l’accord climatique peut sonner comme un «cadeau d’anniversaire» pour les cinq ans du traité de Paris. D’ailleurs il s’est engagé à faire voter un «Green New Deal» au niveau national.
Face à l’inaction des Etats, une mobilisation citoyenne mondiale
Face à l’inaction de nombreux Etats, les citoyennes du monde entier se sont largement mobilisées ces dernières années pour exiger de leurs gouvernements des actions plus ambitieuses sur le climat. Exemple : lancé par Greta Thunberg en août 2018, le mouvement «Friday for future» d’appel à la grève pour le climat a rencontré un grand succès auprès des jeunes. Il s’y ajoute les nombreuses marches un peu partout dont «la Marche du Siècle» organisée en France, au printemps 2019, qui a réuni plus de 350.000 personnes. La pétition de «l’Affaire du Siècle» – un recours en justice contre l’Etat français pour inaction climatique – a réuni plus de 2 millions de signatures en 2019, un record pour une pétition en France !
Financements climat pour les pays en développement : Encore loin des 100 milliards de dollars par an promis d’ici 2020
Il y a plus de 10 ans, les pays riches se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an, d’ici 2020, afin d’aider les pays en développement à s’adapter aux effets des changements climatiques et à réduire leurs émissions. Mais le bilan de ces engagements est aujourd’hui laisse à désirer. Non seulement le montant des 100 milliards n’est pas atteint, mais ces financements se font aussi très largement sous forme de prêts. De leur côté, les pays développés ont déclaré 62,2 milliards de dollars de financements climat en 2018. Des chiffres largement surestimés par les pays riches. Un rapport d’Oxfam France, publié en octobre 2020 révèle en effet que ces financements ne pourraient en réalité représenter qu’entre 19 et 22,5 milliards de dollars par an, déduction faite des remboursements de prêts, des intérêts et autres surestimations faites. Soit seulement 1 tiers des sommes déclarées. Par ailleurs, 80% de ces financements déclarés ont été réalisés sous forme de prêts et sont donc à rembourser, obligeant les pays les plus pauvres à s’endetter encore davantage pour faire face à une crise climatique dont ils ne sont pas responsables. Et la France qui se glorifie de sa prouesse de 2015 n’est pas moins un mauvais élève puisque que 97% de ses financements se font sous forme de prêts. Pour terminer, il faut noter que les financements accordés pour l’adaptation sont insuffisants. Et, après l’annulation de nombreux événements internationaux en 2020 en raison de l’épidémie de Covid, les défenseurs du climat osent espérer que 2021 sera une année cruciale pour redonner de la vigueur à l’action climatique dans le monde. L’année 2021 devra être l’occasion pour les pays développés d’annoncer de nouveaux objectifs, plus ambitieux, notamment lors de la COP26.
Relèvement financement, principe de la neutralité carbone, baisse de température attendue pour le siècle… : Ces succès du Traité de Paris sur le climat
En novembre 2021 se tiendra la COP26 à Glasgow en Ecosse. Entretemps, les Etats doivent annoncer de nouveaux objectifs pour réduire leurs émissions d’ici 2030 et mobiliser des financements pour les populations vulnérables. Mais, en attendant, malgré la prédominance des catastrophes, les événements extrêmes de ces dernière années, le non respect de certains engagements, il est encore prématuré de tirer un bilan définitif de l’Accord de Paris, adopté en 2015 et entré en vigueur avec une célérité inédite moins d’un an plus tard, reconnaissent des experts. Le Traité de Paris est en effet prévu pour succéder au Protocole de Kyoto et couvrir la période après 2020. Toutefois, en dehors des faiblesses (voir par ailleurs), montrant qu’en matière climatique l’urgence n’est jamais loin, il faut relever des points forts du traité. Et l’un des premiers succès de l’accord, c’est d’avoir consacré le principe de la neutralité carbone, alors que jusque-là, les leaders des pays développés tergiversaient sur des réductions de quelques pour cents de leurs émissions de gaz à effet de serre. Selon les estimations du site internet «Climate action tracker», la dynamique insufflée par l’accord a permis, en cinq ans, de faire baisser, de +3,6°C à +2,9°C, la hausse des températures attendue pour la fin du siècle. En supposant que les engagements pris et annoncés jusqu’ici seront réalisés, la hausse du thermomètre mondial à la fin du siècle pourrait être de 2,6°C, voire de 2,1°C, partant des estimations les plus optimistes du Climate action tracker. Toutefois, l’on est loin des objectifs de Paris: contenir le réchauffement nettement sous 2°C et si possible à 1,5°C. L’autre avantage, c’est qu’il s’agit d’un traité rassembleur ou presque... en ce sens qu’il a permis «de rassembler la quasi-totalité des États autour d’un objectif commun». Ce qui lui confère une portée quasi «universelle».
Financement en hausse, même si…
En outre, même si le financement climat est souvent motif de crispation récurrente qui irrite les pays en développement, il est en hausse depuis plusieurs années. Cependant on est encore loin du compte. Selon un récent rapport de l’OCDE, ce financement climat a atteint 78,9 milliards en 2018, en hausse de 11% par rapport à 2017. A ce rythme, les 100 milliards promis par les pays développés ne seront pas atteints pour 2020... Dans un autre registre, sous l’impulsion de l’Accord de Paris, des progrès énormes, notamment technologiques, ont été engrangés dans le secteur énergétique ou dans l’industrie. Contrairement aux secteurs de la mobilité, de l’agriculture, du bâtiment... ce qui plombe un peu les progrès réalisés de l’autre. «Résultat: les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter ou, au mieux, de stagner».
Covid-19 attenue les émissions de gaz à effet de serre
L’autre constat, c’est que la crise sanitaire liée à la Covid-19 s’accompagnera sans doute d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre, certes. Mais des interrogations demeurent pour l’après-Covid-19, avec comme enjeu essentiel, des plans de relance compatibles avec l’esprit et la lettre de l’Accord de Paris. En attendant, concernant les engagements climatiques des Etats parties qui réactualisent, tous les cinq ans, à la hausse, leurs contributions déterminées au niveau national, devait être dévoilés en 2020, en vue de la COP26, censée se tenir en novembre 2020 à Glasgow. Mais elle a été reportée d’un an, pour cause de pandémie. Donnant encore une marge aux pays dont peu, encore moins parmi les gros émetteurs, ont soumis leur nouvelle contribution déterminée au niveau national revue à la hausse. Même si certains États profitent de la pandémie et du report de la COP26, la Chine, premier émetteur mondial de GES, l’Union européenne, le Japon et la Corée du Sud ont pris des engagements vers la neutralité carbone à plus ou moins long terme. Et le Sommet (virtuel) climatique de l’ONU du samedi 12 décembre prochain, censé marquer le cinquième anniversaire de l’Accord de Paris, devrait être l’occasion pour certains de sortir du bois et de faire de nouvelles annonces...