L’INQUIÉTANT PROFIL DES RÉFORMATEURS
Composition controversée, absence de nombreux praticiens du droit: la légitimité des Assises pour réformer la Justice sénégalaise est d'ores et déjà questionnée au vu des premiers invités
Demain s’ouvrent les Assises pour la réforme de la Justice, voulues par le pouvoir du président Diomaye Faye. Au vu de la composition de la première liste des invités, on peut se demander si vraiment le but recherché est de reformer la Justice sénégalaise. La première liste, parce que l’on a appris entretemps que suite aux remarques de Madiambal Diagne sur Twitter, le ministère de la Justice serait en train de changer la composition de ladite liste. Seulement, les invitations étant déjà envoyées, on se demande comment annoncer à un invité que son nom aura été rayé de la liste. En attendant cette magie, considérons que la liste des participants aux Assises de la Justice qui doivent s’ouvrir demain mardi 28 mai est composée de 258 personnes, les 5 membres du comité d’organisation technique non compris. Une différence de taille avec la participation aux Concertations sur la modernisation de la Justice de mars-avril 2018, à l’initiative du président Macky Sall.
A l’époque, siégeaient dans ce comité, principalement des magistrats de haut rang et des auxiliaires de la Justice comme Isaac Yankhoba Ndiaye, ancien membre du Conseil constitutionnel et professeur d’université à la retraite. Il avait à ses côtés, 23 magistrats, avocats, greffiers, huissiers et experts sénégalais. Le comité en question était dominé dans sa composition, par des membres d’institutions judiciaires, comme les présidents de différents tribunaux ou cours d’appel du pays, ainsi que d’autres en service au ministère de la Justice. Dans le cadre de leur travail, les membres du comité se sont donné le droit d’inviter des personnalités de la Magistrature ou de la Société civile dont les avis pouvaient être pertinents dans la conduite de leurs travaux. C’est ainsi que 94 personnes, magistrats, personnalités politiques, du monde économique ou de la finance, journalistes, universitaires, avocats et autres auxiliaires de Justice, policiers, journalistes, enseignants, membres de la Société civile ou médecins, ont défilé devant le Comité de modernisation, pour donner leurs positions sur des points précis que sollicitait la structure dirigée par le Pr Isaac Yankhoba Ndiaye. Cela a permis de produire un document qui, s’il n’a pas vu la totale mise en œuvre de ses recommandations, le doit au mode de fonctionnement de son commanditaire, le Président Macky Sall, et non à ses auteurs.
La preuve, quasiment tous ceux qui ont participé à l’élaboration des conclusions de ce travail qui a pris plus d’un mois à l’époque, ont été reconduits pour l’essentiel. Si certains n’ont pas été invités, c’est certainement parce qu’ils ne sont plus de ce monde. On peut donc se demander si ces personnes vont aller à contre-courant de leurs déclarations de 2018. Si c’est pour qu’elles reprennent leurs déclarations de l’époque, quel besoin de les inviter encore ? Pourquoi ne pas se contenter de mettre en application les dispositions pertinentes qu’elles avaient sorties à l’époque ?
De même, on peut se demander, au regard de l’absence notable de présidents de juridictions judiciaires dans la liste des invités, et du grand nombre «d’anciens détenus» invités, s’il suffit d’avoir été «détenu politique» sous Macky Sall pour avoir plus de légitimité à débattre de la réforme de la Justice que des magistrats dont c’est la formation, la vocation et le métier. Peut-être que les absents auront-il eu le tort de ne pas avoir abattu un vice-président de Conseil constitutionnel comme l’un des invités, ou d’avoir gravement insulté des juges comme un certain «influenceur», 74ème à la liste des invités, pour mériter cette considération. Il est vrai que réformer la Justice, c’est aussi apprendre aux praticiens l’art d’éviter les balles des criminels ou les abus verbaux sur le net.
Et puisque l’on a voulu ratisser large en invitant des partis et des personnalités politiques (tout en mettant d’autres à l’écart), des organisations paysannes ou des syndicats d’artistes, souhaitons, d’autant que ces assises ne sont pas appelées à se tenir durant un mois comme en 2018, que les conclusions ne débouchent sur la nécessité d’inclure aussi les besoins de réformer la gestion de l’art au Sénégal, ou bien sur la nécessité de doter tous les agriculteurs sénégalais (au sens large) des mêmes moyens que leurs homologues fermiers américains !