L’URBANISATION GALOPANTE, UNE ATTEINTE À L’ENVIRONNEMENT
Les forêts successifs ont subi de nombreux déclassements au nom de projets pharaoniques, au mépris de l'environnement. Si Diomaye freine aujourd'hui ces dérives, un bilan critique s'impose sur les décennies d'accaparement des poumons verts du pays
La bande des filaos de Guédiawaye dont le déclassement est justifié par la création d’infrastructures et la forêt classée de Thiès où devrait être bâtie une nouvelle ville, ne sont qu’une infirme partie des déclassements inouïs des régimes successifs portant un sacré coup à l’environnement dans un monde, pourtant de plus en plus menacé par un réchauffement climatique. Au Sénégal, on a eu cure. Les populations assistent, impuissantes, à l’agression continue des poumons verts avec ses corollaires de maladies comme l’asthme, entre autres. Sans occulter l’avancée du désert du Sahara qui fait exploser les thermomètres rendant la vie difficile dans certaines parties du pays.
L’arrêt des travaux sur le littoral, y compris la bande des filaos de Guédiawaye, décidé ces dernières semaines parle régime du président de la République, Bassirou Diomaye Faye, rappelle l’ampleur de l’occupation de zones initialement destinées à la préservation de l’environnement. Les interdictions de construire à Mbour 4 dans la ville de Thiès, constituent elles aussi, une preuve de l’accaparement foncier.
Macky et ses grands travaux
A Thiès, c’est une forêt qui a été déclassée par décret n°2023-266 du 3 février 2023 par l’ancien président de la République, Macky Sall, pour la création d’une ville dotée d’infrastructures modernes de dernières générations. Dr Abdoulaye Baldé, ci-devant directeur de l’Agence de promotion des grands investissements de l’Etat (Apix), avait annoncé, au temps, la déclassification de la forêt classée de Sébikotane, pour reloger les impactés de la seconde phase du Train express régional (Ter) qui va de Diamniadio à l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd) de Diass. «Un espace a été trouvé dans la forêt classée de Sébikotane où 65 hectares ont déjà été déclassés, sur la base d’un décret», avait-t-il confié.
Les impactés du Ter ne sont pas les seuls bénéficiaires de la forêt. En conférence de presse, le 14 mars 2022, les populations, par la voix de leur porte-parole, Ousmane Ndoye, se sont insurgées contre le décret 2022-142 en date du 25 janvier 2022, portant déclassement partiel de la forêt classée de Sébikotane au profit de la SnHlm, de la Cda Filfili et du groupe Elton-Senbus-Sagam. Selon lui, «ces sociétés ont bénéficié de 75 hectares suite à une requête introduite par le maire sortant, M. Abdoulaye Lô, qui avait demandé 200 hectares». Plusieurs forêts ont été déclassifiées sous le régime du président Macky Sall. En plus de la déclassification, le 20 février 2019, de la bande des filaos de Guédiawaye, Macky Sall avait délesté de la forêt classée de Mbao de plusieurs hectares, pour la réalisation du Train express régional (Ter).
Wade, maitre des déclassifications
Les autres présidents n’ont pas fait mieux que Macky Sall. Juste après son élection, a rappelé Sud Quotidien dans son édition du 21 mars 2019, Me Abdoulaye Wade a déclassé plusieurs forêts dans la région de SaintLouis. Il s’agit, entre autres, de la déclassification par décret n°2000-255 du 28 mars 2000 de 11 hectares de la forêt de Leybar, classée le 2 juillet 1934 sous le numéro 1538. Le même décret a permis de déclassifier partiellement, dans le parc forestier de Richard-Toll, une superficie de 20 hectares, classée sous le numéro 2880 du 12 avril 1954 et 1 hectare pour la construction d’une station d’épuration des eaux usées par la Sénégalaise des Eaux (SDE). Toujours à Richard-Toll, ledit décret a permis, sur les 378,5 hectares classés le 28 juin 1932 sous le numéro 1587, de déclasser 10 hectares pour la restructuration du quartier Khouma.
Dans la région de Thiès, à Diass plus précisément, sur les 1860 hectares classés sous le numéro 224 du 21 janvier 1939, le décret 2001-667 du 30 août 2001 avait déclassé 907,35 hectares pour les besoins de la construction de l’Aéroport international de Blaise Diagne (Aibd) de Diass. Toujours dans la région de Thiès, par décret n°2006-1335 du 27 novembre 2006, une partie de la forêt classée de Pout, d’une superficie de 897 ha 70 a, ainsi que celle de la forêt classée de Thiès, d’une superficie de 44 ha 37 a, ont été déclassées parle président Abdoulaye Wade au profit de Serigne Saliou Mbacké, défunt Khalife général des mourides.
Le 12 décembre 2008, par décret n°2008-1431, le président Wade avait déclassé aussi 804 ha, constituant une partie de la forêt classée de Pout-Est (dans la zone de Tchiky), au profit de Dangote Industries, pour l’implantation d’une cimenterie. A Dakar, la forêt de Mbao fera les frais du projet d’infrastructures de Me Wade qui avait également déclassé 57 ha pour les besoins de la construction de l’autoroute à péage et de la station d’essence Sen Oil.
Abdou Diouf n’est pas exempt de reproches
Abdou Diouf, quant à lui, a délaissé une forêt classée à Thiès de son étendue pour installer les ciments du Sahel. Sur une superficie de 11.600 hectares classés sous le numéro 1943 en date du 28 août 1934, un étendu de 500 hectares avait été cédé à l’entreprise, par décret n°2000-254 du 15 mars 2000. Sans occulter les hectares de Khelcom attribués à la communauté mouride
D’ailleurs, Khelcom, avec ses 45.000 ha attribués à feu Serigne Saliou Mbacké, le 5e Khalife général des Mourides, est considérée comme la plus importante, en termes de (grande) superficie, déclassification de forêt au Sénégal. Ce qui avait suscité la colère des bailleurs de fonds, européens en particulier, et de militants écologistes qui dénonçaient son déclassement. Même si des voix s’élèvent pour souligner qu’elle n’était pas classée au moment de son attribution à Serigne Saliou Mbacké, force est de reconnaître que Khelcom appartient à une «ancienne» forêt classée, à cheval sur trois anciennes communautés rurales de trois départements (Kaffrine, Linguère et Gossas), aujourd’hui situés dans trois régions distinctes (Kaffrine, Louga et Fatick), qui a été déclassée en décembre 1977 ; c'est-à-dire plusieurs années avant que ces terres ne soient octroyées à Serigne Saliou, par Abdou Diouf, à des fins d'exploitations agricoles.
Ces déclassements ne sont pas sans conséquences. A Dakar, par exemple, Action pour la justice environnementale (Aje) dénonce l’octroi d’une partie de la bande des filaos de Guédiawaye à des usagers, déplorant ainsi une dégradation de l’environnement. Mieux, la bande des filaos est un moyen de lutte contre l’avancée de la mer. Dakar étouffe aussi à cause d’une urbanisation galopante qui a comme conséquence une bétonisation de la capitale qui est en phase de perdre ses poumons verts.
Thadé Seck, secrétaire exécutif d’action pour la justice environnementale : «L’une des conséquences les plus significatives d’un déclassement à outrance est l’érosion de biodiversité»
«Les conséquences d’un déclassement à outrance sont nombreuses, mais l’une des plus significative est l’érosion de biodiversité», estime Thadé Seck, le Secrétaire exécutif d’Action pour la justice environnementale (AJE). Pour lui, «la destruction d’une forêt implique l’élimination de tout un écosystème qui s’est formé sur de longues périodes dans cet espace». D’ailleurs, dit-il, «il convient de garder à l’esprit que dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique et les accords subséquents, les Etats signataires se sont engagés à conserver un pourcentage précis de leur territoire en vue de favoriser la biodiversité. Déclasser sans tenir compte de ces impératifs pourrait constituer une violation du droit international».
«Le déclassement d'une forêt ne peut intervenir que…»
Déclasser une forêt relève d’un processus organisé, tient d’emblée à préciser Thadé Seck, le Secrétaire exécutif d’Action pour la justice environnementale (AJE), citant le Code forestier. «Le classement et le déclassement sont des procédures organisées par les articles 27 et suivants du Code forestier. Dans ce sens, l’article 27 est clair. Il dispose : «Le déclassement d'une forêt (…) ne peut intervenir que pour un motif d'intérêt général ou de transfert des responsabilités de I’Etat en matière de gestion forestière au profit d'une Collectivité territoriale qui garantit la pérennité de la forêt». Le pouvoir de déclassement appartenant au président de la République ; celui-ci doit néanmoins motiver sa décision au regard de l’intérêt général». La forêt classée est généralement défini comme un espace préservé et juridiquement protégé, en vue de la conservation des sols, des eaux, de la diversité biologique et d’écosystèmes particuliers ou fragiles.