MACKY PRÉTEND TRANSFORMER DAKAR EN KIGALI
Senghor disait qu'en 2000, Dakar serait comme Paris - Faute d'avoir atteint cet objectif, la capitale pourra-t-elle au moins égaler celle du Rwanda en matière de propreté ?
Dans son discours de prestation de serment, il a annoncé les premiers coups de balai en déclarant qu’il compte tout mettre en œuvre pour lutter contre l’encombrement urbain, l’insalubrité et les occupations illégales afin de rendre notre cadre de vie plus agréable et plus propre. Marquant ainsi le top départ des opérations de Dakar « Ville propre » et Sénégal « Zéro déchet ». Macky voudrait faire de Dakar une capitale où il fait bon vivre et agréable à visiter à l’image de Kigali (Rwanda) présentée comme la ville la plus propre d’Afrique.
Jadis, capitale des « toubabs » de l’Afrique occidentale française (Aof), Dakar n’est plus que l’ombre de cette coquette ville qu’elle fut sous les colons certes, mais aussi durant à peu près les deux premières décennies de notre indépendance. Mais ça, c’est de la préhistoire ! Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ou, plus exactement, beaucoup d’ordures se sont déversées sur notre capitale à tel point qu’elle fait partie aujourd’hui des villes les plus sales et désordonnées d’Afrique. Du centre-ville (Sandaga) aux Parcelles Assainies en passant par les Sicap-sur-Vdn, les Hlm, Castors, la Patte-d’oie, Bountou-Pikine, Hann, Yoff, Yarakh etc., le décor qui s’offre à la vue est celui d’une gigantesque décharge de détritus. Partout, tous les endroits sont envahis par les ordures ménagères, des marchands tabliers, des parcs de voitures d’occasion, des chariots de vente de café, des forokhthiaya, des loumas, des carcasses de véhicules etc. Sans oublier les charrettes et les pousse-pousse qui disputent la priorité aux automobilistes. Ne parlons pas des bœufs en divagation qui continuent à déambuler tranquillement sur l’axe Bourguiba-Foire. Et gare à qui toucherait un seul poil de ces bêtes dont on dit qu’elles appartiennent à un marabout capable de foudroyer mystiquement celui qui oserait s’en prendre à ses « nag » ! Le désordre urbain pousse ses tentacules jusque dans les maisons dont les devantures abritent des enclos à moutons dits « kharou sarakh » ou « kharou yar ». C’est pourtant dans cet environnement dégradé, puant et anarchique que vivent quotidiennement les Dakarois. Sans que cela semble les déranger outre mesure ! Au contraire, on dirait même que nos compatriotes se complaisent dans cette gigantesque poubelle urbaine. Il n’y a qu’à voir ces citoyens qui se restaurent joyeusement dans des « tanganas » et autres dibiteries situés à proximité de dépotoirs d’ordures où de canalisations à ciel ouvert d’où dégoulinent des eaux sales. Alors que la propreté et l’ordre urbain devraient constituer la première image qu’une ville offre à ses visiteurs, à Dakar, le décor est tellement repoussant que le premier réflexe d’un touriste qui y arrive serait sans doute de prendre ses jambes à son cou ! Et encore, il n’aurait rien vu s’il ne s’est pas retrouvé entouré par une meute de guides, mendiants, bana-banas, truands et on en passe…
Bref, Dakar n’a rien d’attirant, au contraire c’est un vrai repoussoir ! Ce que le président de la République Macky Sall aurait enfin fini par constater après avoir visité presque toutes les capitales du monde où les cadres de vie paradisiaques donnent assurément mauvaise conscience aux Sénégalais que nous sommes. L’exemple nous vient de Kigali, la ville couverte de mille superlatifs ! Considérée comme la ville la plus propre d’Afrique par l’OnuHabitat, Kigali, la capitale du Rwanda apparaît depuis quelques années comme un modèle de développement pour toute l’Afrique. Au point que les ressources humaines des Nations Unies classent Kigali au même niveau que les grandes métropoles occidentales ou américaines en termes de confort de vie et d’ordre urbain. « Suisse de l’Afrique », « Petit Paris », « Singapour africain », « Little NewYork » etc., les surnoms ne manquent pas pour qualifier la réussite du Rwanda en particulier dans le domaine de l’aménagement urbain. Pas étonnant que le président Paul Kagame ait été réélu avec 98,6 % des voix et notamment à Kigali où il a obtenu un raz-de-marée des électeurs soucieux d’exprimer leur reconnaissance à l’endroit du président Paul Kagame pour avoir développé et modernisé leur environnement. Après la Santé, l’Education, l’Energie, l’Infrastructure et la Sécurité, le président de la République Macky Sall va finalement s’attaquer à l’Environnement en plaçant son quinquennat sous le signe de la propreté et de l’ordre urbain. Toujours est-il que dans son discours de prestation de serment, notre bon président dit qu’il va améliorer notre cadre de vie.
Macky décrète : « Zéro déchet » !
Pour y parvenir ou prétendre, le chef de l’Etat « décrète » qu’il y a urgence à mettre fin à l’encombrement urbain, à l’insalubrité, aux occupations illégales de l’espace public etc. « Ainsi, j’appelle à une mobilisation générale pour forger l’image d’un nouveau Sénégal ; un Sénégal plus propre dans ses quartiers, plus propre dans ses villages, plus propre dans ses villes ; en un mot un Sénégal « Zéro déchet ». Je ferai prendre sans délai des mesures vigoureuses dans ce sens. J’y engage aussi les autorités territoriales et locales, ainsi que les mouvements associatifs et citoyens » avait déclaré le président de la République dans son discours d’investiture. Pour donner corps ou matérialiser l’engagement solennel du président Macky Sall, le préfet de Dakar, Alioune Badara Samb, avait réuni tous les maires du département en vue de lutter contre l’insalubrité et les occupations anarchiques dans la capitale. En même temps, on a assisté au démarrage en grande pompe des opérations de désencombrement entamées par le ministre de l’Urbanisme et de l’Hygiène publique, Abdou Karim Fofana, en compagnie de Mme Soham Wardini, maire de Dakar. « Tous les coins et recoins de la capitale seront nettoyés sur instructions du chef de l’Etat. D’ailleurs, dans ce sens, j’ai rencontré les propriétaires de parkings de voitures d’occasion sur la Vdn et leur ai donné un délai d’un mois pour débarrasser de la voie publique » a fait savoir le ministre Abdou Karim Fofana. Pourtant, cette opération Augias « Dakar ville propre », l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, l’avait initiée depuis 2010 en s’attaquant aux marchands ambulants et tabliers à travers des opérations de déguerpissement et de recasement tous azimuts. Malheureusement, cette volonté de désencombrement et d’embellissement l’ex-édile de Dakar avait été sabotée par le président Abdoulaye Wade, ensuite par son successeur Macky Sall pour des raisons électoralistes.
Ucg, facteur d’insalubrité…
En tout cas, Dakar est sale ! Vraiment sale à l’image de ses propres habitants ancrés dans l‘indiscipline, l’incivisme et l’insalubrité. Le manque d’hygiène aussi. Il n’y a rien à faire, nos compatriotes ont fini par s’enraciner dans la malpropreté et le manque d’hygiène. Paradoxalement, l’Unité de Coordination et de Gestion des déchets solides (Ucg), pourtant chargée de la collecte et du ramassage des ordures ménagères, constitue l’un des principaux facteurs de l’insalubrité à Dakar. A tous les niveaux ! D’ailleurs, il y a trois ans, votre quotidien « Le Témoin » avait mené une enquête montrant que la plupart des camions-bennes reviennent à Dakar avec une partie des ordures ménagères qu’ils transportent alors qu’ils sont censés pourtant les déverser à Mbeubeuss ! Portant une double casquette de récupérateurs-recycleurs, nos éboueurs détournent les déchets composés de vieux matelas, fûts métalliques, ferraille, meubles, vélos et autres bidons en plastique pour les vendre dans les « Parc-Lambaye » ou marchés des brocanteurs. D’où le surnom « Mbalit-Dem-Dikk » collé à ces camions-bennes d’un genre particulier. Et pas plus tard que la semaine dernière, nous avions dénoncé le népotisme et la discrimination dans le recrutement des éboueurs et techniciens de surface de l’Ucg dont les responsables et coordinateurs ont fini par transformer l’agence étatique en une entreprise familiale. Car, parmi les 500 agents de nettoiement, presque les 50 % des embauchés appartiennent aux mêmes familles ou proviennent des mêmes quartiers. Ils sont fils, frères, neveux, voisins, beauxfrères, homonymes, militants et autres recommandés des dirigeants de l’UCG ou du ministre !
Dans les zones de Rufisque et Yoff par exemple, un haut cadre de l’Ucg a recruté son frère et son neveu en qualité de superviseurs. Sans oublier un autre responsable de l’Ucg qui a embauché son fils, son frère, son beau-frère ainsi que le frère de sa maitresse pour en faire des superviseurs et chefs de zone. Pendant ce temps, de pauvres agents contractuels ont fait plus de cinq voire sept ans sans se faire embaucher. Pire, ils peinent toujours à percevoir leurs salaires. Des syndicalistes déplorent le fait que ces recrutements de parenté, de voisinage et de camaraderie ont crée un véritable laxisme dans la marche du travail. « D’ailleurs, certains agents, forts de leur protection à l’interne, ne viennent même pas sur le terrain. Il y a mieux, si on ose dire : dans certains quartiers, des agents frimeurs se débarrassent de leurs « tenues », balais ou scooters estampillés «Ucg» pour éviter d’être démasqués par les jeunes filles qu’ils veulent courtiser.
Dans ces conditions, comment voulez-vous que Dakar soit propre ? » nous confie un employé de l’Ucg se disant en possession d’une longue liste d’agents se trouvant dans les cas relatés ci-dessus. « Dites au président de la République que tant qu’il y aura des familles entières dans l’Ucg, Dakar ne sera jamais comme Kigali » confie un syndicaliste de l’Unité de Coordination et de Gestion des déchets solides (Ucg). Une chose est sûre : pour lutter contre les incivilités et l’insalubrité qui polluent visuellement — et sur le plan olfactif ! —notre quotidien du fait d’un environnement dégradé et nauséabond, le président de la République Macky Sall doit donner un coup de balai à tous les niveaux. Sinon, Dakar ne sera jamais comme Kigali. Au contraire, notre capitale se hissera au même niveau que Conakry, la ville la plus sale d’Afrique.