MILLE ET UN PIEGES D’UNE DESCENTE AUX ENFERS
6000 Sénégalais qui voulaient entrer en Europe de manière illégale, ont été interceptés par les garde-côtes européens en 2017
L’immigration clandestine demeure une réalité pour beaucoup de jeunes Sénégalais qui, à la recherche d’une vie meilleure, tentent d’aller en Europe de manière illégale et au risque de leurs vies. Ces dernières années, le chemin vers la Libye est l'un des plus favoris. Les accords de libre circulation des personnes et des biens instaurés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), facilitent ce voyage plein de risques. Après un départ facile à la gare routière des Beaux Maraichers de Pikine, à bord des bus en partance pour le Mali, beaucoup de jeunes se retrouvent otages des passeurs en Libye, s’ils ne se perdent pas, et à jamais, dans le désert. Ceux qui, à partir de la Libye, réussissent à embarquer pour l’Europe n’arrivent pas tous à destinations, des centaines d’entre eux périssant dans le naufrage de leurs embarcations de fortunes lors de la traversée aventureuse de la Grande Bleue. Et l’un des derniers drames de cette immigration clandestine, c’est la mort de 2 Sénégalais, parmi les 11 victimes du chavirement d’une embarcation de 12 personnes (dont 1 seul rescapé) dans ces eaux Méditerranéennes, aux larges des côtes espagnoles, fin mars 2018
6000 Sénégalais qui voulaient entrer en Europe de manière illégale, ont été interceptés par les garde-côtes européens en 2017, avait annoncé le directeur exécutif de l’Agence Frontex, Fabrice Leggeri, en conférence de presse à Dakar, mercredi 14 mars. Lors de cette même rencontre, il avait estimé que les migrants ouest-africains avaient plus ou moins changé de méthode de voyage. La traversée maritime, à bord de pirogues, n’était plus très fréquente. Elle avait été délaissée au profit de la voie terrestre. 119.000 personnes ont ainsi rejoint l’Europe en passant par la Libye en 2017. Cette ruée vers la Libye est confortée par les chiffres: rien que pour cette année 2018, l’Organisation internationale pour les migrations (Oim) a déjà rapatrié 645 Sénégalais de ce pays en crise. Malgré les arrestations, les morts dans le désert du Sahara, les noyades dans la Méditerranée et le rapatriement, de jeunes sénégalais continuent d’emprunter cette voie. Ils prennent très souvent les bus en partance pour le Mali. Mal informés, ils sont donc très fréquemment abusés par des gens mal intentionnés qui leur font rêver d’une route sans dangers. Des promesses qui se transformeront plus tard en mirages. Grande mosquée de Dakar, des affiches autour de la grille de l’édifice renseignent sur les différentes compagnies en partance pour le Mali ou dans les pays de la sous-région. Elles sont nombreuses. Face à la concurrence, chacune des compagnies laisse un numéro de téléphone où il est possible, pour le candidat au voyage, d’avoir quelques informations sur les offres disponibles. Ils sont nombreux à vanter les services offerts. « Nos bus ne mettent pas trop de temps, comparés aux autres », disent certains, quand d’autres, par contre, misent sur une climatisation assurée tout au long du voyage. Les tickets sont vendus dans des locaux qui font office de bureaux. Parfois, il n'y a qu'une seule personne, assise devant une table, pour accueillir la clientèle et présenter toutes les possibilités de voyage. En plus des abords de la mosquée, les billets de ces compagnies sont aussi vendus à la gare routière des Beaux Maraichers de Pikine. Des bureaux de vente y sont installés. Cependant, nombreux sont les clients qui ont du mal à faire un choix à cause des rabatteurs. Avant même d’arriver aux sièges respectifs des différentes compagnies, le client est intercepté par des jeunes gens. Parfois, c’est sur le pont qui mène à la gare routière que les clients sont traqués. Les coûts du voyage sont abordables. Pour le Mali, le coût du billet est de 25.000 f Cfa. Aller au Burkina Faso coûte 45.000 ou 50.000 f frs, selon que le passager descend à Bobo-Dioulasso ou Ouagadougou. De Dakar à Niamey, il faudra débourser 75.000 f Cfa
UNE LIAISON FAITE A PARTIR DE DAKAR
Comme de nombreux jeunes de son âge, Alphousseyni Diallo 22 ans, rapatrié de Libye où son voyage s'est arrêté, rêvait de rejoindre l'Europe. C’est ainsi qu’au lendemain de la Tamkharit de l’année 2017, en compagnie d’un de ses amis, il prend la direction de la gare routière des Baux Maraichers, à la quête d’un bus en partance pour le Mali. Sur place racontet-il, les offres sont presque aussi nombreuses que les compagnies. Son choix fait, il paye 25.000 f frs pour le trajet. En partant pour Bamako, la capitale malienne, Alphousseyni Diallo n’avait d’yeux que pour l’Italie. Au lieu de départ pour le Mali, raconte-t-il, beaucoup de rabatteurs se disputent la clientèle. Certains d'entre eux, qui savent que le Mali n’est qu’un pays de transit pour de nombreux jeunes, tentent de convaincre certains clients, histoire de les attirer vers un autre trajet, jusqu'à la destination finale, l’Europe, raconte le jeune homme. Une option qu’il n’a pas choisie, car dit-il, un réseau géré par un passeur, à partir de Saba en Libye, lui avait déjà été recommandé
BAMAKO, POINT DE CONTACT AVEC LES PASSEURS
Le voyage entre Dakar et Bamako se fait en deux jours. Les accords de la Communauté économique et monétaire ouest africaine-(Cedeao) et ceux de l’Union économique et moné- taire ouest africaine (Uemoa) aidant, les citoyens ont la liberté de circuler entre les différents pays membres des deux organisations. Entre le Mali et le Séné- gal, nous ne nous sommes arrêtés qu'à deux postes de contrôle. Le carnet de vaccination contre la fièvre jaune et la carte nationale d’identité sont les seules pièces demandées par les contrôleurs Sénégalais. L’amende infligée à la personne non détentrice de l’une de ces pièces varie entre 1000 et 2000 frs, raconte Alphousseyni. Facile donc de rejoindre le Mali où le candidat à l’immigration, déjà en contact avec son potentiel convoyeur, commence à dessiner les contours de son voyage européen. Dakar, Bamako, Ouagadougou, Niamey et enfin Agadez, voilà ce chemin périlleux qu’empruntent les candidats à l’immigration. Une fois dans la capitale malienne, les candidats changent souvent de compagnies ou de bus, raconte Alphousseyni Diallo. «A notre arrivée à Bamako, il y avait beaucoup de candidats à l’immigration. Nous n’étions pas que des Sénégalais. Il y avait aussi des Guinéens, des Maliens des Gambiens et des Ivoiriens. J’avais 450.000 frs avec moi. On a été accueillis par des rabatteurs une fois à Bamako. Il y a là- bas des gens qui ont des connections avec les passeurs. Mais, c’est la personne qui nous a été recommandée à partir de Dakar qui nous a mis en rapport avec une compagnie de transport, et qui nous a dit disant qu’on devait payer 90.000 au chauffeur.» Makhtar Ndiaye, aussi connu sous son nom d’artiste, Big Makhou Djoloff, est lui aussi un rapatrié de la Libye. Depuis son retour à Dakar, il s’est engagé à lutter contre cette immigration irrégulière. Trahi par un supposé producteur qui lui a promis des lendemains meilleurs au sortir d’un spectacle, il est tombé sur le chemin des passeurs dès son arrivée au Mali. «C’est après une prestation à la place de l’obélisque, dans le cadre des vacances citoyennes, que j’ai été approché par un supposé producteur qui m’a dit qu’il devait aller prendre des jeunes au Mali et en Côte d’Ivoire pour qu’on aille ensemble au Nigeria. Il a dit avoir besoin de jeunes pour un projet. Je suis parti avec lui en bus jusqu’à Bamako. Mais, une fois en terre malienne, il a commencé à changer de discours. C’est là-bas que je me suis joint à un groupe de jeunes qui devaient rallier l’Italie avec l’aide de passeurs», raconte-t-il. L’immigration clandestine, en passant par la Libye, attire surtout des jeunes mal informés. «Si ce ne sont pas des connections établies à partir de Dakar, ce sont des rabatteurs qui expliquent aux candidats le trajet à suivre de Dakar à Agadez en passant par Bamako et Niamey», dé- plore-t-il
LA TRAITE DES PERSONNES, UNE REALITE
« En même temps, il y a des rabatteurs sénégalais établis entre Dakar, Bamako, Niamey et Agadez, qui aident à la traversée. Ils ne disent pas tout sur les dangers. Les jeunes ne sont pas bien informés », déplore Big Makhou. Le voyage tranquille promis par les passeurs n’est qu’un mirage qui se dissipe peu à peu au cours du voyage. Entre tracasseries, mauvais traitements, et travaux forcés, le migrant est laissé seul face à son sort par des passeurs obnubilés par l’appât du gain. Cependant, en dépit de ces accords de libre circulation, Alphousseyni Diallo té- moigne que les candidats à la migration font l’objet de plusieurs tracasseries entre Bamako et Niamey. A titre d'exemple, ils sont obligés de payer d’importantes sommes aux différents postes de contrôle
PRINCIPAL PAYS DE DEPART DES RAPATRIES : NIGER, LE TEMPS DE LA GALÈRE
5548 migra nts assistés en trois ans. Et parmi ces personnes rapatriées, l’écrasante majorité vient du Niger. 645 individus ont été assistés par l’Organisation internationale pour la migration (Oim) depuis le début de l’année 2018. 655 parmi eux sont des hommes. Les femmes sont au nombre de 34. La plupart des candidats à l’immigration irrégulière sont des jeunes âgés entre 18 et 26 ans. Les rapatriés âgés entre 27 et 35 ans sont estimés à 205 personnes. Ces migrants viennent pour la plupart du Niger (307 individus). La Libye arrive en seconde position avec 241 personnes. 54 rapatriés sont venus du Maroc. Toujours selon les chiffres de l’Organisation internationale pour la migration, 3023 personnes ont été assistées en 2017. 2944 sont des hommes. 79 femmes ont été secourues. 2, 8% des assistés sont des mineurs. Les personnes assistées par l’Oim en 2017 viennent principalement du Niger, de la Libye et du Maroc. 1416 migrants sont venus du Niger. 1146 migrants ont été rapatriés de la Libye et 194 personnes sont venues du Maroc. Kolda reste la principale région d’origine des migrants, avec 751 personnes, suivie de Dakar, avec 390 migrants. Tambacounda totalise 341 migrants. Pour l'année 2016, le nombre de rapatriés était de 1880 personnes. Ils viennent principalement du Niger (69%), de la Libye (17%) et du Maroc (2%). Kolda, Dakar et Tambacounda restent les principaux lieux de départ des migrants rapatriés. Le Niger est principalement le pays de rapatriement des migrants du fait de sa proximité avec la Libye. Les migrants en situation de dé- tresse ou ceux retrouvés dans le désert sont logés dans des camps d’accueil à Agadez et à Niamey
TRANSPORT INTER-ETATS Peu de restrictions faites aux propriétaires de bus
A cause de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace de la Cedeao et de l’Uemoa, l’implantation d'une compagnie de transport inter-Etats ne souffre que de très peu de contraintes. La présence des bus de transport inter-Etats utilisés par les candidats à l’immigration est réglementée dans le cadre des accords de la Cedeao et de l’Uemoa qui garantissent une libre circulation de toute personne issue de ces deux communautés. En conséquence, aucune réglementation restrictive n’est imposée aux compagnies de transport présentes à Dakar. Le directeur des transports terrestres, au ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, Cheikh Oumar Gaye, informe que conformé- ment à ces dispositions des organisations sous-régionales, il est permis aux propriétaires de ces compagnies issues de l’un des pays membres des deux organisations sous-régionales de s’installer au Sénégal. Le seul interdit qui leur est fait est le transport domestique, soutient Cheikh Oumar Gaye. C'est-à-dire le fait de transporter des passagers à l’intérieur du pays. Ils doivent passer d’un point A du pays de chargement vers un point B du pays de débarquement. Ce marché de transport est presque sous le contrôle de compagnies étrangères. Le directeur des transports terrestres informe que seule une compagnie sénégalaise est présente parmi les onze qui assurent le transport inter-Etats. Des rapports de voyage envoyés tous les jours Le directeur des transports terrestres, Cheikh Oumar Gaye, interrogé sur les formalités d’inscription, reconnait l’existence de bureaux d’enregistrement mais également la présence de rabatteurs qui rendent informelle l’organisation du voyage pour certaines compagnies. Interrogé sur la supposée présence de ré- seaux qui organisent le voyage pour les candidats à l’immigration, Cheikh Oumar Gaye répond qu’il n’est « pas au courant d’un quelconque réseau». Toutefois, il indique la présence d’un poste de police sur les lieux, avec des éléments chargés de contrecarrer tout acte mafieux. Mieux, ajoute-t-il, des rapports sont quotidiennement envoyés aux différentes autorités en charge de la sécurité. « Il y a des manifestes que nous envoyons tous les jours, à la gendarmerie, au ministère de la Justice et au ministère des Transports. Pour chaque véhicule qui part à l’étranger, les passagers à bord et leurs filiations sont connues. S’il y a un usager suspect, la vérification auprès des manifestes nous permettra de l’identifier. Les données dans les manifestes sont recueillies dans les guichets d’inscription des passagers», dit-il.
LES CONVENTIONS SUR LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ET DES BIENS DANS LA CEDEAO ET L’UEMOA
Il s’agit principalement du protocole A/P1/5/79 du 29 mai 1979 sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement. Ce protocole fixe les principes généraux de la libre circulation des personnes et du droit de résidence et d’établissement, de la circulation des véhicules de transport et surtout le principe de l’abolition des visas et permis d’entrée pour les citoyens de la communauté. L’Union économique et monétaire ouestafricaine (Uemoa), instituée par un traité signé le 10 janvier 1994 à Dakar, dans le cadre de l’intégration économique, s’est engagée dans un processus d’uniformisation des conditions d’admission, de séjour et d’établissement des ressortissants de ses pays membres. C’est cette disposition qui a découlé sur la mise en place d’un visa unique. Il faut noter aussi que la modification, le 23 janvier 2003, du Traité de l’Uemoa, consacre une série d’articles à la libre circulation des personnes et des biens et aux droits d’établissement.
DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE Le Sénégal appelé à ratifier la Convention de Kampala
Le Sénégal doit ratifier la Convention de l’Union africaine pour l’assistance des personnes déplacées appelée Convention de Kampala. L’invite est du chef de délégation de la Croix rouge internationale, Christophe Luedi, qui a pris part hier, jeudi 5 avril, à la rencontre de formation des membres du Conseil consultatif national des droits de l’homme
Le chef de délégation de la Croix rouge internationale au Sénégal, Christophe Luedi, plaide pour la ratification de la Convention de Kampala sur le droit international humanitaire. Venu présider l’atelier de formation des membres du Conseil consultatif national des droits de l’homme hier, jeudi 5 avril, il a trouvé nécessaire l’amélioration des mécanismes du cadre d’intervention sur les droits humains. «Il y a un besoin de travailler pour un cadre de travail permettant de dresser les problématiques humanitaires concrètes qui peuvent se poser à l’absence de conflits armés, d’où l’importance pour le Sé- négal de se doter d’un cadre légal conforme à la Convention de l’Union africaine pour l’assistance aux personnes déplacées communément appelée Convention de Kampala de 2009», a-t-il dit. Mieux, Christophe Luedi souhaite qu’une plaidoirie soit faite pour permettre la ratification de cette Convention signée par le Sénégal en juillet 2011. Pour le chef de dé- légation de la Croix rouge internationale, cette Convention protège les victimes de déplacement forcé lors des conflits. Aussi permet-elle une approche intégrée mettant en exergue les trois types de solutions durables pour les personnes dé- placées à savoir le retour volontaire, l’intégration locale et la réinsertion. Pour le directeur de cabinet du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Meissa Diakhaté, «s’il est heureux de constater que le Sé- négal n’a pas vécu, à ce jour, un conflit d’une ampleur qui nécessite d’éprouver les règles les plus strictes du droit international humanitaire, il est néanmoins utile de rappeler que sa seule adhésion aux instruments internationaux pertinents l’oblige à mettre en œuvre des actions requises en temps de paix». Le droit international humanitaire est un ensemble de règles qui visent à limiter les effets des conflits armées et qui protègent les personnes qui ne participent pas aux hostilités.