«ON NE PEUT PAS SE CONCERTER SUR UNE ACTION LEGALE QUE L'ETAT A DECIDEE ET QUI CONCERNE UNE ACTION DE POLICE»
NIOKHOBAYE DIOUF, DIRECTEUR DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE, REPOND A SES DETRACTEURS
Directeur de la protection des droits de l'enfance et des groupes vulnérables, Niokhobaye Diouf, qui pilote le projet de retrait des enfants mendiants de la rue, estime que l’heure n’est pas encore à la concertation avec les gens qui disent qu’ils n’ont pas été associés. Parce qu’il s’agit d’une action légale de police, juge-t-il. Aussi a-t-il soldé ses comptes avec ceux qui estiment que l’appui apporté par l’Etat est insignifiant.
L'exécution du projet de retrait des enfants qui a débuté le 30 juin 2016 a provoqué des réactions réfractaires du côté de certains maîtres coraniques qui disent ne pas être associés à l'action. Et pourtant des mesures d'accompagnement de natures diverses (argent, vivre, produits détergents entre autres) leur ont été octroyées.
Mais en dépit de ces actes salutaires de la part de l'Etat, certains maîtres coraniques n'adhérent pas encore au projet de retrait d'urgence des enfants de la rue. Une situation qui ne laisse pas indifférent le directeur de la protection des droits de l'enfance et des groupes vulnérables qui pilote le projet de retrait. Niokhobaye Diouf précise :«On ne peut pas se concerter sur une action légale que l'Etat a décidée et qui concerne une action de police».
Interpellé sur les critiques et même menaces de certains maîtres coraniques qui s'érigent en boucliers contre le projet de retrait des enfants de la rue auquel ils ne seraient pas associés, Niokhobaye Diouf répond en effet: «Il ne s'agit pas de concertation. On n'est pas encore arrivé à ce stade-là. Quand il s'agit de retirer les enfants d'urgence, on n'a pas à se concerter».
Se voulant plus clair, il ajoute : «Tout le monde a fini par comprendre que les enfants sont dans une situation précaire et pour cela on ne peut pas demander une autorisation à des gens pour sauver ces enfants qui sont dans cette situation. Donc, dans l'urgence, nous les avons récupérés tous et la concertation va commencer là avec leurs parents pour voir quelles dispositions on va prendre. C'est à ce moment-là que la concertation aura son sens».
«Et je le répète, il s'agit de faire une action de police qui relève des prérogatives de l'Etat et de l'action des forces publiques. On ne peut donc pas se concerter sur une action légale que l'Etat a décidée et qui concerne une action de police. On ne peut pas demander à des gens est-ce qu'on peut prendre les enfants ou non, alors qu'en ce moment les enfants sont en danger», persiste Niokhobaye Diouf.
«Ce sont des gens qui ont leurs intérêts dedans qui font des pressions»
D'après le directeur de la protection des droits de l'enfance et des groupes vulnérables au ministère de la Femme, de l'Enfance et de la Famille, ces contestations sont légitimes avec des intérêts en jeu. «Nous comprenons les critiques, parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas que ces enfants sortent de la rue. Cela y compris des Ong, des associations de maîtres coraniques. Mais ce sont des gens qui ont leurs intérêts dedans et qui font des pressions. Parce qu'il y a beaucoup de gens qui y vivent de la situation de ces enfants de la rue. C’est des gens qui prennent des photos, qui font des rapports pour lever des fonds, pour dire que voilà nous voulons régler cette situation au Sénégal», a fait savoir M. Diouf.
Face à cette situation, il souligne la nécessité d'échanger avec tous les acteurs. «Il y aura concertation, parce que tout le monde a déploré cette situation. Mais on dit que c'est la responsabilité de l'Etat. Et personne n'a engagé sa responsabilité pour le retrait des enfants. Ils ont toujours mis la balle du côté de l'Etat. Et maintenant que l'Etat décide de retirer ces enfants de la rue, ils disent qu'ils sont surpris, qu'ils n'ont pas été associés. Mais qu'ils attendent de voir quel est le programme que l'Etat va mettre en place. Car ce sera un programme qui sera concerté avec tous les acteurs», dit-il.
D'ailleurs, le défenseur des droits des enfants annonce: «Un vaste recensement est prévu. On est en train de faire une enquête pour recenser l'ensemble des ‘daara’, toutes les familles qui sont vulnérables. Maintenant, quand on aura toutes ces statistiques, je pense que la concertation aura son sens. Parce qu'on va évaluer la nature des besoins, les quantités et les formes des mesures d'accompagnements qui seront délivrées à ces bénéficiaires».
Pour une adhésion massive de toutes les parties concernées, Niokhobaye Diouf rassure que «les principes de la discussion seront posés après le retrait. Qu'est-ce qu'il faut faire pour accompagner la prise en charge des enfants au niveau des familles et des ‘daaras’ ? On va voir d'abord quelles sont les ressources disponibles déjà et qui sont gérées de manière parallèle par les structures qui ont une connaissance de ce qu'ils sont en train de faire. On va fédérer et mutualiser nos efforts pour les orienter là où vraiment c'est nécessaire. Il ne faut pas que chacun travaille de son côté à financer et que cela crée des doubles emplois».
«Il faut que les gens apprennent à gagner leur vie à la sueur de leur front»
D’avis que la «mendicité est une surexploitation», Niokhobaye Diouf souligne qu’«il faut que les gens apprennent à gagner leur vie à la sueur de leur front». Ainsi, en réponse aux femmes bénéficiaires d'allocations qu'elles ont jugées dérisoires comparées à ce qu'elles gagnaient journalièrement en mendiant avec leurs enfants, M. Diouf précise que «l'aide que le ministre a donné, ce n'était pas obligatoire».
En effet, relève-t-il: «Il s'agissait de retirer les enfants de la rue. Et on pourrait s'en arrêter là. Mais le ministre a jugé nécessaire d’accorder un soutien et il y a des familles qui étaient surprises de recevoir cela, sans pour autant verser dans la mendicité. On a donné à chaque femme, même si elle a un enfant, 50 000 francs Cfa, plus un sac de riz, 5 litres d'huile, 5 kg de sucre, 2,5 kilo de lait en poudre, 18 morceaux de savon. Cela est suffisant pour une dépense mensuelle. Au-delà de la dépense, ils auront d'autres ressources. Et là, je pense qu'on se tourne vers le capitalisme».
«Cet aide, c'est pour un mois seulement. Le ministre a dit que nous avons entamé le mois de juillet, je vais vous aider à surmonter cela. Et avec cela, nous allons réfléchir ensemble sur les moyens de réinsertion. Ceux qui veulent rentrer dans leurs villages, on les fait retourner avec des projets. Ceux qui veulent rester, on leur fixe des modalités de les rendre autonomes», a-t-il ajouté pour recadrer ce débat.
M. Diouf de renchérir sur cette même lancée en disant que «si nous considérons les 75 000 francs CFa pour chaque ‘daaras’, plus du riz, du savon, etc, cela dépasse 75 000 francs Cfa. Car on est à plus de 150 000 par ‘daara’ et 120 000 francs Cfa par famille. Il y a des gens qui, en travaillant à la sueur de leur front, ne gagnent pas ce montant. Donc, si on leur donne cette somme, qu'ils considèrent que c'est un salaire qu'on leur donne».
Pour Niokhobaye Diouf, «il faut apprécier le geste, pas le montant. Ce ne sont pas des salariés. L'Etat ne peut pas être là pour tout le monde à la dimension de ses besoins». «On leur donne juste un appui pour leur permettre de se soulager et de préparer les prochaines étapes. Et c'est sûr que ces allocations ne vont pas perdurer», prévient-il.