NOS MARCHÉS, VICTIMES D’UNE MALÉDICTION DU FEU ?
Occupation anarchique des espaces, installations électriques vétustes et non règlementaires, absence de bouches d’incendies, entreposage de matière inflammables…
Dans notre pays, c’est comme si le formel avait peur de l’informel. Ou comme si nos concitoyens étaient fâchés avec l’ordre. D’où le laxisme qui prévaut dans presque tous les secteurs d’activités. Notamment au niveau des marchés où l’insalubrité a fini d’être érigé en mode de vie, l’incivisme est érigé en règle alors que l’insécurité a fini de gagner du terrain. L’occupation anarchique de l’espace, l’étroitesse des allées, l’enchevêtrement des étals, cantines et tables rendent impossible l’accès des secours en cas d’incendies. Des incendies favorisés par les branchements désordonnés et au mépris de toute règle au réseau de la Senelec. Si on ajoute à cela l’absence presque totale de bouches d’incendies, on comprend que la moindre étincelle transforme nos marchés en gigantesques brasiers qui ravagent tout sur leur passage !
En quelques mois, des marchés ont brûlé à Diourbel, à Kaolack, à Ziguinchor. Il y a deux semaines, c’était au tour de celui de Petersen, en plein centre de Dakar, d’être consumé par les flammes. Et samedi dernier, c’est un magasin situé à Sandaga, le plus grand marché de la capitale, qui a été réduit en cendre. A Petersen, c’est plus de 500 cantines qui ont été ravagées par le feu. On parle de centaines de millions de francs de dégâts. Face à ces vagues d’incendies, on est tenté de se demander : nos marchés sont-ils victimes d’une malédiction qui les condamnerait à brûler les uns après les autres ?
La question mérite d’être posée dès lors qu’il ne se passe plus deux mois sans qu’un incendie spectaculaire ne se déclare dans l’un d’entre eux, réduisant en cendre ces lieux de commerce où l’incivisme, le désordre et l’anarchie ont fini par gagner droit de cité. Nos marchés sont à peu près tous pareils. On y risque l’électrocution à chaque pas. Les branchements anarchiques ont fini par y devenir partout des sortes de toiles d’araignées géantes avec des fils électriques qui serpentent entre les cantines, échoppes magasins.
Des marchés où toutes les allées sont encombrées par des centaines de petits commerces qui rendent le moindre déplacement fastidieux. Il suffit de faire un tour sur place pour voir la situation révoltante dans laquelle travaillent les vendeurs, commerçants et autres artisans s’activant dans ces lieux. Et les conditions dans lesquelles les clients sont obligés de faire leurs achats. Aucune hygiène, aucune règle, une saleté repoussante. Certains endroits sont devenus des dépotoirs irrespirables de marchandises entreposées les unes sur les autres. La viande et le poisson y sont exposés à l’air libre et pris d’assaut par des nuées de mouches. Les légumes, fruits et autres condiments sont vendus à même le sol. Ce, à côté de tas d’immondices et de flaques d’eau aux odeurs nauséabondes. Certains vendeurs, en panne d’hygiène, envoient des crachats et versent des détritus partout. D’autres « pataugent » à longueur de journée dans des flaques d’eau verdâtre où pullulent les vers. Mais s’il n’y avait que cette insalubrité et cet incivisme ! Hélas, ces fléaux ne sont rien à côté de l’insécurité grandissante qui sévit dans ces marchés.
Dans ces lieux de commerce, on trouve non seulement des matières hautement inflammables à côté d’installations électriques vétustes et de fourneaux à gaz manipulés sans soins particuliers mais aussi, il y a souvent des « essenceries » à côté. On le voit, le cocktail est déjà suffisamment explosif pour que le pire puisse se produire à tout moment. Toutes les conditions sont réunies pour que tout brûle chaque jour. Des installations électriques qui défient les lois de la physique et tout ce qui s’enseigne dans les écoles d’électricité, des bidons remplis de produits inflammables, des bombonnes de gaz… Mais, plus que tout, ce sont surtout les installations électriques qui favorisent les incendies. « Il faut non seulement qu’elles soient conformes aux normes et réglementation en vigueur mais aussi doivent être vérifiées au moins une fois par an. Chaque attributaire de cantine doit individuellement souscrire une police d’abonnement », rappelle le lieutenant-colonel Pape Ange Michel Diatta de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers. Qui se désole que « malheureusement, les prescriptions ne sont pas respectées ». Il se désole aussi du non-respect de la réglementation qui régit la sécurité des marchés. « Il y a pourtant une réglementation précise qui concerne la sécurité des marchés. Malheureusement, on constate que cette réglementation n’est pas respectée », soupire de découragement le lieutenant-colonel Diatta pour qui la charge revient aux autorités, « à tous les niveaux », de prendre leurs responsabilités face à cette situation.
Autrement dit, c’est la condition sine qua non pour prévenir ces incendies à répétition qui risquent de raser tous les marchés du pays. Car combien de fois faudra-t-il que ces marchés prennent encore feu avec les dégâts incommensurables que cela suppose pour que les autorités se décident enfin à agir ? Hélas, les Sénégalais n’aiment pas l’ordre et la discipline. Dans ce pays, c’est comme si le formel a peur de l’informel, comme si l’ordre craint le désordre et le normal est effrayé par l’anormal. A chaque fois que des autorités compétentes tentent de mettre de l’ordre dans l’anarchie qui règne dans nos marchés, c’est la grogne et des mouvements de contestation. C’est notamment le cas au marché Dior des Parcelles Assainies où même pour une opération de désencombrement organisée par la municipalité, les commerçants beuglent. La dernière en date a été la traditionnelle opération de nettoiement organisée par le maire Moussa Sy dans tous les marchés de sa commune. Un maire qui a tenu bon dans sa volonté de rendre les marchés de sa commune propres et praticables.
Exemple par le célèbre marché Dior qui respire… Les allées sont dégagées, aucun objet ne les encombre. Interdiction est faite aux marchands ambulants et tabliers d’obstruer les allées. Ce beau courage de l’édile des Parcelles Assainies n’a pas, pour autant, inspiré son homologue de la Médina, du moins selon les usagers du marché Tilène qui lui demandent de procéder à sa modernisation pour mettre les usagers dans des conditions décentes. « On y est pas en sécurité. Or, on doit avoir de la sécurité dans son lieu de travail », estime la dame Khary Lome, vendeuse de légumes qui manifeste sa compassion à l’endroit des commerçants des marchés Tilène de Ziguinchor et de Thiaroye. Elle invite les autorités à régler ce problème d’insécurité qui cause beaucoup de pertes en matériels et parfois, hélas, en vies humaines.
Selon elle, si un incendie se déclarait au marché Tilène de Dakar, ce serait pire que celui survenu dans son homonyme à Ziguinchor. « Parce que c’est un marché où la configuration fait vraiment peur. L’humidité est permanente. Il y a des branchements électriques anarchiques partout. Il peut y avoir à tout moment un cas d’électrocution. Et le jour où ça se produirait, les sapeurs-pompiers ne pourraient pas faire grand-chose. Tout serait irrécupérable », prédit notre interlocutrice. Justement, la configuration des marchés constitue un frein pour les soldats du feu qui ne peuvent pas faire leur travail correctement.
Pour l’incendie du marché de Thiaroye, malgré les moyens mobilisés, ces derniers ne sont parvenus à maîtriser les flammes que très difficilement. L’accès difficile et l’absence de bouches d’incendie ont ralenti l’intervention des hommes du lieutenant-colonel Papa Ange Michel Diatta, des sapeurs-pompiers. « La première difficulté, c’est la configuration. On a eu un souci pour l’accès et les cheminements. C’est du classique. On avait également un problème d’hydrants. Les hydrants, c’est les bouches et poteaux d’incendie qu’utilisent les sapeurs-pompiers. On était aussi souvent en rupture d’eau. On était obligé de faire des norias pour nous approvisionner en eau. Il s’y ajoute qu’il y avait des bonbonnes de gaz et des appareils sous pression dans les cantines en feu », a listé, comme difficultés, l’officier supérieur des soldats du feu. Dans ces conditions, on n’ose guère penser à ce qui se serait produit si le feu s’était déclaré Hlm, une commune dont le maire avait transformé les allées piétonnes en cantines à la veille de la dernière Tabaski…
MARCHE DIOR DES PARCELLES ASSAINIES : L’exception qui confirme la règle de l’anarchie généralisée et de l’insalubrité
Les responsables du bureau du comité de gestion du marché Dior des Parcelles Assainies, en partenariat avec le maire Moussa Sy, travaillent d’arrachepied dans des activités de sensibilisation, de veille et d’alerte à l’endroit des commerçants. Les thèmes abordés portent, entre autres, sur la « loi » d’un compteur par cantine pour éviter les court circuits — même si certains commerçants tardent encore à s’en procurer—, l’interdiction de mettre côte à côte du charbon allumé à côté d’une bonbonne de gaz pour prévenir la survenue d’un incendie etc.
Le marché Dior des Parcelles Assainies présente un décor « inhabituel » ! De la route qui mène vers le camp des sapeurs pompiers jusqu’à l’Eglise, que l’on soit à pied, en calèche ou en voiture, le dispositif sécuritaire est impressionnant et saute à l’œil nu. Un véhicule des forces de l’ordre est stationné sur les lieux. Ce, pour parer à toute éventualité. Ces forces de l’ordre sont là pour sécuriser le marché. Des policiers à côté desquels des agents de la municipalité en charge de la sécurité sont en train de faire des rondes. Ce sous le regard impuissant de marchands ambulants et tabliers sommés de quitter les lieux. Ils doivent impérativement « dégager ». Les échauffourées sont fréquentes entre les agents du maire Moussa Sy et ces « commerçants sans place fixe ». Qui se plaignent de ne pas avoir d’autre endroit où aller pour écouler leurs marchandises. A la veille de la Tabaski, ils ont tenté un forcing. Face à la détermination des agents de la municipalité à les empêcher de s’installer, il y a eu des blessés et la destruction d’un bus de la société Dakar Dem Dik.
Entre ambulants et agents de sécurité de la mairie, on est donc comme chiens et chats depuis lors. « Dior » est un marché pas comme les autres dans sa configuration. « Machallah. On touche du bois. C’est bien configuré, bien aéré »,se réjouit un des responsables du bureau du comité de gestion du marché. Cheikh Lô, c’est son nom, qui ne souhaiterait évidemment pas qu’un incendie se déclare jamais dans son lieu de travail, estime que même dans l’hypothèse où un tel sinistre y surviendrait, « il y aurait moins de dégâts que ceux enregistrés dans les marchés Tilène de Ziguinchor et de Thiaroye. Parce qu’ici, l’accès est libre. Les sapeurs n’auraient pas de problème d’accès au lieu qui brûle. Il y a aussi des bouches d’incendie », a expliqué ce tailleur de profession selon qui, tout de même, malgré cette « belle configuration » de ce « vieux marché », les occupants ne dorment pas sur leurs lauriers pour autant. En effet, estime-t-il, lucide, « un incendie reste un incendie. Et la furie de flammes peut tout ravager sur son passage. » D’où les activités de sensibilisation, de veille et d’alerte que leur « bureau provisoire » (le marché n’a pas de délégué) constitué il y a quelques mois, et qui attend d’être formalisé par le maire, mènent dans le marché. « Quand on voit quelqu’un faire quelque chose d’anormal et qui pourrait être préjudiciable aux autres, on n’hésite pas une seconde. On constitue dare- dare une délégation et on règle le problème. C’est surtout avec les étrangers qu’on rencontre beaucoup de difficultés. Ils ne maitrisent pas bien notre langue.
De plus, les réalités des pays ne sont-elles pas les mêmes. Mais pour le cas des restaurateurs, dès qu’on nous signale un cas, on s’en charge sans difficulté aucune. Parfois, ils allument du charbon de bois et mettent les bonbonnes de gaz à côté. Ce qui peut créer une catastrophe à tout moment », a dit ce « responsable » d’après qui le « bureau » du comité de gestion du marché a même pris les devants pour les cas de vol. Pour les cas d’incendie, le plus souvent fruits des branchements électriques clandestins dans les marchés, Cheikh Lô et ses autres collègues de travail auraient fait un travail sérieux avec leur édile dans ce sens. Moussa Sy, dit-il, ne veut plus que deux cantines partagent le même compteur. « Beaucoup de propriétaires ont, maintenant, leur propre compteur. Mais je reconnais tout de même qu’il y en a encore qui traînent les pieds mais nous leur mettons la pression pour qu’ils se conforment aux décisions prises. Moussa n’est pas comme les autres maires. Il est vraiment disponible et vient presque chaque semaine, parfois à chaque fois que de besoin, faire une visite dans le marché. Il connait et joue vraiment son rôle. Il est actif », loue Cheikh Lô, un des membres du bureau du comité de gestion du marché Dior.