"NOUS SOMMES TABASSÉS, INSULTÉS"
Les détenus de la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Kaolack donnent de la voix
Une source proche de la direction de la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Kaolack a soutenu dans nos colonnes que des détenus sont en grève de la faim pour mettre la pression sur l’administration pénitentiaire qui veut stopper le trafic de chanvre indien et l’usage du téléphone portable. Contactés par «L’As», des détenus balaient d’un revers de main cette version. A les croire, ils sont en diète depuis lundi 15 Avril 2019 pour protester contre les violences dont ils font l’objet de la part des gardes et l’interdiction qui leur a été faite de consommer du café, du thé et du lait.
Nous ne sommes pas fous pour nous engager dans ce commerce illicite dehors, encore moins ici en milieu carcéral. Comment un motocycliste peut jeter de la drogue, la nuit, par-dessus le mur, à partir de l’extérieur alors qu’il y a un mirador armé de fusil, posté 24/24 ? C’est une question de bon sens», dément un détenu joint au téléphone. Poursuivant, il soutient qu’ils en sont à leur cinquième mouvement de grève. A chaque fois, le directeur de la prison les invite à reprendre la nourriture en leur promettant de satisfaire leurs revendications. Mais au bout de quelques jours, les détenus se rendent compte qu’ils se sont faits avoir et que les promesses de la direction ne se tiendront jamais. «La vie en prison est déjà dure. Si l’on nous prive de choses élémentaires comme le café, le lait ou le thé, c’est de la méchanceté gratuite. Jamais, nous n’avons vécu cela ici. La cigarette nous aide à oublier le stress et nos problèmes. Nous sommes bastonnés, humiliés et insultés. Lorsque nos familles nous apportent des denrées, la direction ne nous donne que la moitié et garde l’autre. Quand nous rouspétons, les gardes nous frappent. Lorsqu’on en parle au directeur, il fait la politique de l’Autruche. Il y a moins d’une semaine, on a cassé le bras à l’un d’entre nous. Depuis 7 mois qu’il est là, le nouveau directeur nous fait la guerre», déclare un détenu, le cœur gros.
«L’IRAP DE KAOLACK A RAPPELE AUX GARDES QU’IL EST INTERDIT DE BATTRE LES DETENUS»
S’ils ont voulu coûte que coûte donner leur version, insiste un second détenu, c’est parce que les chambres criminelles vont s’ouvrir bientôt et si les juges voient une affaire de trafic de drogue à la Mac de Kaolack, ils peuvent penser que les détenus en grève sont de grands délinquants et ne méritent pas d’humer l’air de la liberté. Leurs proches aussi peuvent se dire qu’ils ne valent pas la peine d’être soutenus. Pour ce qui est de l’usage du téléphone, notre interlocuteur concède que tout détenu pris avec cet appareil doit faire huit jours en cellule, tel que le prévoit le règlement intérieur. Mais ceux qui en disposent ont payé des gardes, donc les responsabilités sont partagées. Dans tous les cas, si la Mac de Kaolack disposait de télé centres comme d’autres prisons, ils n’en seraient pas à se cacher pour joindre leurs proches. «Je ne sais pas pourquoi le directeur se comporte comme ça avec nous. Il n’y a jamais eu de bruits à Kaolack, ni d’évasion, ni de mutinerie. Quand nous avons débuté la grève lundi, le directeur a reçu des journalistes dans son bureau pour leur dire que nous avons suspendu notre mouvement. Je le comprends. C’est de bonne guerre qu’il nous accuse de tous les péchés d’Israël. Qui veut tuer son chien, l’accuse de rage », conclut le second détenu. Et un troisième d’enchaîner que même si la nourriture est infecte, ils la supportent et restent dignes. Tout ce qu’ils veulent, c’est qu’on les laisse purger leur peine ou attendre leur jugement en paix. Lors de l’une de ses visites, l’Irap de Kaolack a dit devant le directeur qu’il est interdit aux gardes de lever la main sur des détenus.
MEME PAS UNE VALEUR DE 10 000 FCFA DE MARCHANDISE POUR PLUS DE 1 000 DETENUS
Au sujet des fiches de pécules exigées par la direction pour leur empêcher de garder de l’argent sur eux, l’un des détenus grévistes fait remarquer qu’à la boutique de la Mac, il n’y a même pas une valeur de 10 000 Fcfa de marchandises. Ce, pour plus de 1 000 détenus. En plus, ils ne peuvent pas dépenser plus de 300 Fcfa par jour. Pour se faire de l’argent, des détenus font le linge pour d’autres et réclament 500 CFA. «Là encore, le barème de 300 Fcfa pose problème», soutient le prisonnier. Choqué, un autre détenu insiste sur les conditions d’hygiène à la Mac de Kaolack où aucune règle n’est respectée en cette matière. Ils ont une toilette pour une soixantaine de personnes et parfois il n’y a pas d’eau. Leur chambre ne fait pas 60 mètres carrés et ils sont enfermés pendant 16 h. «C’est ici que j’ai vu du chanvre indien pour la première fois. Si l’on parle de cornet, je peux comprendre qu’on dise que c’est nous, mais lorsqu’on fait état de kilogrammes, c’est parce que les gardes sont impliqués. La violence est réelle. Je vous parle de cas concret. Les gardes ont déboité le bras de Bounama Diouf et une enquête a été ouverte par la Brigade de recherche de Kaolack. Je peux vous donner la liste de tous les détenus violentés », soutient-il. «Cette ville est un carrefour et à la Mac, il y a des détenus venant de toutes les régions du Sénégal et quasiment de tous les pays de la sous-région. Quand leurs parents se déplacent pour leur amener des denrées ou un ventilateur par exemple, le directeur refuse qu’ils entrent. «Ils veulent qu’on soit asphyxié ici», fustige le prisonnier. Pour montrer que le cas de Kaolack n’est pas pris à la légère par les autorités judiciaires et administratives de la localité, le prisonnier souligne qu’une rencontre s’est tenue entre le Procureur, le gouverneur, le préfet et l’Irap pour voir comment améliorer les conditions de détention.
Pour décanter la situation, le directeur les a conviés à une rencontre hier (mercredi 17 avril) vers 16 heures. Ils ont dit niet parce qu’ils n’ont plus confiance en sa parole. «Si une autorité autre que le directeur promet que nous ne serons plus tabassés et que nous pourrons consommer du café, du thé et du lait, nous allons suspendre notre mouvement. Si nos proches nous amènent des mangues ou des «mad», qu’il nous laisse les manger et les digérer dans la paix. Nous ne réclamons pas plus», conclut le détenu.