ODE À LA TOLÉRANCE DANS UN PAYS DE TÉRANGA
Je n’ai jamais pensé que les francs-maçons soient des ennemis de l’Islam - Ces gens ont toujours exercé leur culte sans que cela ait dérangé grand-monde - Des défenseurs autoproclamés de l’Islam prétendent purifier religieusement ce bon vieux pays
Peut-être parce que je ne suis pas un aussi bon musulman que nos censeurs et moralisateurs, qui s’arrogent le droit de décerner des brevets de bon — ou de mauvais — musulman, en plus d’être les gardiens des portes du Paradis, peut-être aussi est-ce dû à mon absence de culture, mais enfin, je n’ai jamais pensé que les francs-maçons soient des ennemis de l’Islam ou de quelque religion révélée que ce soit. A ce que je sache même, les maçons ont joué un rôle extrêmement positif dans l’Histoire, ne serait-ce qu’en promouvant l’Education, en prônant les Lumières et en se battant, entre autres, pour l’abolition de l’Esclavage entre autres actions positives. L’Esclavage, justement, que certains sont en train de restaurer en Libye et ailleurs ! Pour le reste, je n’en sais trop rien puisque n’étant d’aucune obédience et n’ayant jamais été un « frère de lumière». Et puis, pour autant que je me souvienne, au Sénégal ces gens ont toujours exercé leur culte, ou leur philosophie ou leurs rites, sans que cela ait dérangé grand-monde. Je connais des maçons qui sont des gens remarquables, aux antipodes du portrait que nos policiers de la pensée veulent dresser d’eux. Depuis mon plus jeune âge, j’ai vu aux environs du lycée Van Vo un endroit que l’on désignait comme « le temple des francs-maçons » et franchement, cela faisait partie du décor, est réellement intégré et accepté par tout le monde. Y compris par nos grands chefs religieux qui n’ont jamais éprouvé le besoin de prêcher contre les maçons. Ou contre les homosexuels ! Dans leur trop grande sagesse, ces chefs savent que la société sénégalaise, comme toutes les autres du reste, est trop complexe et qu’on y trouve du tout. Ils n’ont jamais rien entrepris qui puisse réveiller la « fitna » dans ce pays où toutes les pratiques ont toujours été recouvertes d’un voile pudique de « soutoura ».
Hélas, des individus défenseurs autoproclamés de l’Islam prétendent purifier religieusement ce bon vieux pays d’Islam — mais où les catholiques ne sont pas ostracisés — en excommuniant, en décrétant des « fatwas » vengeresses, en jetant des anathèmes, en stigmatisant. Au début des années 80, le combat de ces gens, c’était contre l’ouverture d’un lieu de culte pour les catholiques à Tivaouane sous prétexte que c’est une ville sainte ! Aujourd’hui, les disciples de Jésus disposent dans la capitale de la Tidjania d’un lieu de prière et ça ne dérange pas les chefs de cette puissante tarikha. Car c’est ça le Sénégal, la coexistence harmonieuse entre les ethnies, les confréries, les religions et même… les partis politiques ! Lesquels ont toujours su se retrouver autour de l’essentiel quand les intérêts supérieurs du pays sont en jeu. Et quelle meilleure forme de cohabitation que celle entre le domicile, à Colobane, du grand marabout mouride Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma et une église évangélique. Deux propriétés mitoyennes qui vivent ensemble côte à côte, chacune pratiquant son culte dans le meilleur des voisinages ! Ce depuis 1960 au moins. Ou cette église à Ziguinchor où sont enterrés à la fois des musulmans et des chrétiens.
Autre combat mené— avec succès, hélas !— par certains de nos groupes d’agitateurs pyromanes et intolérants, dans les années 2000 cette fois-ci, la « criminalisation » du trafic de « drogue ». Drogue ? Un bien grand mot ! En réalité, il s’agit du chanvre indien, une herbe dont même la très puritaine Amérique est en train d’autoriser la vente libre dans certains de ses Etats. L’Amérique qui n’a pas hésité à aller appréhender un chef d’Etat étranger — Noriega de Panama — ou le chef d’état-major de l’Armée de notre voisin du Sud, la Guinée Bissau, pour les punir de leur implication dans le trafic de la drogue qui détruit sa jeunesse. En légalisant le cannabis, l’Amérique sait bien qu’il ne s’agit pas en réalité d’une drogue. Et en France, une commission vient de préconiser que la consommation de cannabis soit punie d’une simple contravention, comme une infraction du code de la route. Dans notre cher Sénégal, de pauvres diables sont régulièrement condamnés à 10, 15 voire 20 ans de prison pour trafic de « yamba » ! De ce point de vue, les différentes sessions de nos cours d’assises ressemblent à des pelotons d’exécution, tellement nos juges massacrent ces malheureux trafiquants. Et si nos prisons connaissent la surpopulation carcérale que tout le monde dénonce, c’est bien parce que des centaines de gens pris avec quelques cornets de chanvre y purgent des peines de criminels endurcis et multirécidivistes. Que l’on nous comprenne bien : si c’est le trafic d’héroïne ou d’amphétamines qui avait été criminalisé, je n’y aurais pas trouvé à redire. Ce que je dénonce, c’est cette escroquerie qui consiste à faire passer le « yamba » pour une drogue « dangereusissime » et à criminaliser donc son trafic ! On se demande, du reste, pourquoi nos organisations de défense des droits de l’homme ne s’intéressent pas à ce combat-là… Parce qu’il n’est pas une priorité de leurs bailleurs de fonds occidentaux ?
En toute chose, il faut de la mesure. Ce qui a fait la force du Sénégal et constitue sa marque de fabrique, c’est sa tolérance, le caractère pacifique de son peuple, l’ouverture et la tradition d’hospitalité de celui-ci. Et cela, ça vaut toutes les richesses du monde et est plus précieux que le pétrole et le gaz découverts au large de nos côtes et dont on nous rebat les oreilles. Cette richesse inestimable qu’est la tolérance, il convient de la préserver contre les menées obscurantistes et démagogiques de quelques illuminés qui prétendent défendre notre religion, l’Islam. L’Islam dont les plus grands ennemis en ce moment sont, hélas, ces gens qui égorgent des imams, dynamitent des mosquées, mitraillent des fidèles au nom d’une conception moyenâgeuse de la religion du Prophète Mohammed (Paix et Salut sur Lui). Laquelle est, comme tout le monde le sait, une religion de paix. Pour parler de notre pays, certes, au nom de la démocratie, ces activistes censeurs autoproclamés du peuple sénégalais qui s’agitent ces temps-ci ont le droit de manifester leurs opinions ! Mais la majorité silencieuse a le devoir de réagir pour montrer sa désapprobation lorsqu’ils écornent l’image de havre de paix qui a toujours été celle du Sénégal…